Les détenus et la religion

Sur le chemin de Compostelle avec des personnes détenues

Marcher entre Le Puy et Conques du 5 au 16 juin 2017 sur le chemin de Compostelle avec des personnes détenues à la Maison d’arrêt de Lyon-Corbas

 » Le chapelet est une lumière dans l’obscurité de la prison  »

Au Chili, étant enfant, Khristian Briones admirait les criminels qui dévalisaient les camions de nourriture pour la distribuer aux affamés. Élevé dans la pauvreté, il n’échappe pas à une infernale spirale qui le conduit de l’alcool à la délinquance et se retrouve dans des prisons pour mineurs : « Je suis devenu accro à la drogue et de plus en plus violent », a-t-il confié. Mais paradoxalement, il demeure « catholique à sa façon ».
Dans les prisons chiliennes la violence est inouïe et très vite, il y reçoit 20 coups de couteau et se retrouve même brûlé au troisième degré sur un tiers de son corps. Pourtant sa vie va basculer grâce au chapelet.
Avec le programme de réinsertion de l’ « Atelier du Rosaire » mis en place pour les délinquants, il se met à fabriquer des chapelets. À ce moment-là, Khristian Briones est touché pour la première fois. « Le chapelet est une lumière dans l’obscurité de la prison », assure-t-il aujourd’hui.
Libre, il renforce un peu plus sa foi. Avec huit autres anciens détenus, il se met à vendre des chapelets dans les bus et commence à étudier le travail social. Il est devenu lui-même instructeur à l’Atelier du Rosaire.


J’étais en prison
et vous m’avez visité » …
Au cœur de l’Yonne, la congrégation des Sœurs de Jeanne Delanoue a répondu à l’appel d’une congrégation dont la communauté devait fermer. En accord avec l’évêque du diocèse de Sens-Auxerre, elle l’a remplacée dans sa mission, en particulier auprès du centre de détention de Joux-la-Ville. Trois religieuses y sont présentes pour les détenus et leurs familles, l’Église locale et la population.
«C’est super que vous fassiez ça !». Sur le quai de la gare de Vermenton où elles raccompagnent une visiteuse, sœur Simone et sœur Alphonsine provoquent l’admiration d’une avocate venue de Paris pour une audience au centre pénitentiaire de Joux-la-Ville. La jeune femme s’est rendue en taxi dans cet établissement dédié aux longues peines et ouvert en 1990 au lieu-dit «La Poste aux alouettes». Elle a ainsi pu expérimenter la difficulté pour les familles d’aller y visiter leurs proches. Car si le bâtiment est bien tenu et le cadre apaisant, l’établissement est implanté dans un no man’s land de verdure, à 6 km
du village. D’où la mise à disposition d’un studio pour héberger les familles qui n’ont pas toujours la possibilité matérielle de repartir, ni les ressources financières pour s’offrir une chambre d’hôtel et qui attendent parfois un autre parloir fixé au lendemain. Ouverts les week-end et jours fériés, les parloirs sont réservés le matin de 8h30 à 10h aux habitants de l’Yonne, de 10h30 à 12h à ceux des départements limitrophes, et aux autres l’après-midi (13h30-16h30). Le studio sert également aux détenus en permission accompagnés de leurs familles.
ACCUEILLIR ET RASSURER LES FAMILLES
Sœur Anne-Marie gère le studio parfaitement équipé et loué 15 euros la nuitée. «Ici les personnes sont tout à fait autonomes. Le studio est pratiquement occupé tous les week-ends soit une fréquentation d’une centaine de personnes par an, de toute la France et de toutes nationalités, souvent de familles assez précaires. Dans la semaine c’est un détenu avec un membre de sa famille qui vient pour quelques jours de permission », racontent les sœurs. Dans un local attenant au centre de détention, les bénévoles de La Halte accueillent les familles les jours de parloirs. L’association peut prendre en charge deux fois par mois 50 % du coût du trajet en taxi. Sœur Simone, sa secrétaire, fait partie de l’équipe de bénévoles, une douzaine, tous  retraités.  «Notre rôle, explique-t-elle, est de permettre que les familles trouvent quelqu’un pour les accueillir avec le sourire, avec respect et compréhension, offrir une tasse de café, donner un renseignement et, lors de la première visite qui les met souvent en grande souffrance, de répondre à leurs questions et de les aider à remplir les fiches déclarant les objets qu’elles
apportent au détenu. Il s’agit de rendre moins lourd le stress de l’attente ou la sortie de parloir. Sœur Simone assure une à deux permanences par mois à « l’abri familles».
Sœur Alphonsine, malgache, est membre de l’aumônerie catholique et se rend à la prison environ deux fois par mois pour un temps dit de « réflexion chrétienne » avec de temps en temps une messe. « C’est, précise-t-elle, le seul endroit où il n’y a pas de surveillant. L’important est de permettre aux détenus de s’exprimer librement. » Elle est la seule de leur petite équipe (dix personnes) qui fait le lien entre les hommes (environ 500 détenus) et les femmes (une centaine). Le fait d’aller en  binôme auprès des hommes la rassure. Elle dit avoir été énormément aidée au départ par les formations de l’administration pénitentiaire et celles de l’aumônerie nationale des prisons. « Nous sommes, témoigne-t-elle, une fenêtre ouverte dans la vie de ces détenus toujours avides de savoir ce qui se passe dehors. » Et elle ajoute : « Tout ce que je vis en prison résonne avec la Parole de Dieu. Cette mission m’a confirmée dans le charisme de ma congrégation. Je me trouve très à l’aise avec ce que d’autres ont organisé avant nous. »
SOUTENIR UNE ÉGLISE RURALE PAUVRE
Les Sœurs de Jeanne Delanoue ont pris en 2007, le relais des Sœurs de Nevers qui étaient arrivées à Joux-la-Ville dès l’ouverture de la prison. Elles sont arrivées avec cette feuille de route : « Maintenir la présence d’une communauté auprès des détenus et de leurs familles, participer à la mission de cette Église rurale pauvre – la messe, qui n’a lieu une fois par mois rassemble moins de 30 fidèles avec les villages des alentours – être attentives aux défavorisés, aider à l’intégration de laïcs, ouvrir sa porte et accueillir ceux qui sont en peine. » Elles tentent, en travaillant avec d’autres, de relever tous ces défis, se faisant proche de la population par leur accueil, leur vie fraternelle. Ainsi sœur Simone (81 ans) fait partie de l’équipe d’animation de la paroisse Saint-Martin-en-Avallonnais et accompagne les animateurs de l’aumônerie des sixièmes.
Sœur Alphonsine (66 ans), se rend chaque semaine à Avallon (17 km) dans le quartier populaire de La Morlande pour le «
Café sourire » du Secours catholique. Sœur Anne-Marie (83 ans), visite les personnes âgées et les malades, est membre de
l’équipe paroissiale des obsèques et s’occupe de la liturgie. Tout reste très fragile, mais quelle précieuse présence !
SERVANTES DES
PLUS REJETÉS
Jeanne Delanoue (1666-1736) devient, très jeune, dame de charité à Saumur. Pour répondre à l’appel qu’elle reçoit de Dieu,
elle s’occupe des pauvres plus que des clients de la mercerie familiale, elle héberge des orphelines, des femmes âgées, des handicapés, des mendiants de passage… En 1704, quelques jeunes filles se trouvent disposées à l’aider et même à revêtir l’habit religieux. Ainsi naît la Congrégation de Sainte Anne de la Providence. À sa mort, elle laisse une douzaine de  communautés, hospices, petites écoles. Elle a été béatifiée le 9 novembre 1947, puis canonisée le 31 octobre 1982.
La Congrégation des sœurs de Jeanne Delanoue compte aujourd’hui près de 300 religieuses présentes en France, à Madagascar, en Indonésie et au Mali. Tout ce que je vis en prison résonne avec la Parole de Dieu

20 ans de prison dont 10 à enrôler des islamistes : témoignage d’un repenti

https://vimeo.com/224746917 Glaçant. Terrifiant. Un « radicalisateur » raconte 10 années de prison à fabriquer des djihadistes. Dans les années 90, Mohamed se radicalise en prison au contact de musulmans salafistes. Devenu imam autoproclamé, il exhorte à son tour des détenus à partir faire le djihad. A 40 ans, après 20 ans à l’ombre, celui que les surveillants surnommaient « Oussama Ben Laden » a aujourd’hui décroché et …

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Trois fois meurtrière, elle cherche la rédemption sur le chemin de Saint-Jacques. Le chemin de St Jacques et les prisons espagnoles :

Alvaro Real | 04 juillet 2017

 

Atteinte de schizophrénie paranoïde, auteur d’un triple meurtre, Noelia de Mingo s’est engagée sur les routes de Compostelle après des années d’internement en centre psychiatrique.

En 2003, Noelia de Mingo, souffrant de problèmes psychiatriques, est interne en rhumatologie à l’hôpital universitaire de la Fondation Jiménez Díaz à Madrid. Alors qu’elle n’avait pas pris ses médicaments, elle fait une crise psychotique, se saisit d’un couteau de quinze centimètres, tue trois personnes et en blesse six autres.

Après onze années d’internement dans un centre psychiatrique, elle est remise en liberté conditionnelle. Au cours de cette période, elle suit un programme strict afin de trouver la voie de la guérison. C’est ainsi que dans le cadre de son traitement curatif, elle part sur le chemin de Saint-Jacques.

Avec des éducateurs et des fonctionnaires du centre de Fontcalent, elle marche pendant une semaine jusqu’au tombeau de l’apôtre. « Au cours de ce voyage expiatoire, elle se rend avec d’autres internes jusqu’à Lugo, point de départ de ce pèlerinage très spécial. Puis ils cheminent ensemble pendant une semaine, à raison de vingt kilomètres par jours. Comme pour n’importe quel pèlerin, ils s’étaient préparés minutieusement pour affronter ce défi et mieux supporter l’effort jusqu’à Saint-Jacques, rapporte le site El Español. Non contente de son expérience sur la route de Compostelle, Noelia de Mingo renouvelle l’expérience du pèlerinage en se rendant à Caravaca de la Cruz, un sanctuaire de la région de Murcie qui abriterait un morceau de la Vraie Croix. À l’issue de ces deux expériences, Noelia présente des signes manifestes de mieux-être, voire de guérison.

Encouragés par les institutions pénitentiaires, les pèlerinages sur le chemin de Saint-Jacques de détenus espagnols sont aujourd’hui quotidiens. C’est le cas pour les prisons de Pampelune, Palencia, Soria, Madrid VII (Estrema), Ségovie et Brieva (Ávila), Lugo-Bonxo ou encore Palma de Majorque.

Aumônier du centre pénitencier de Majorque, Jaume Alemany part une fois par an pendant huit jours sur le chemin de Saint-Jacques depuis Sarriá accompagné de douze détenus. « Cette expérience est pour eux une marque de confiance à respecter. C’est un véritable tournant », a-t-il déclaré au journal ABC. Il explique également qu’il ne s’agit pas simplement d’une activité récréative mais bien d’une étape faisant partie du processus de réinsertion : « Je ne souhaite pas y emmener les prisonniers les plus exemplaires. Il n’est pas question là d’une récompense mais d’une thérapie. Ce cheminement doit être fait avec ceux qui en ont le plus besoin ou susceptibles d’en tirer le meilleur profit ».

Le chemin de Saint-Jacques et la santé mentale

Les centres et collectifs liés à la santé mentale sont également nombreux à choisir d’intégrer le pèlerinage de Compostelle à leur programme de réinsertion sociale. La Confédération pour la santé mentale en Espagne, œuvrant dans ce sens depuis 2003, souhaite qu’il soit un moyen de « restaurer l’image des personnes victimes de maladies mentales en montrant leurs vraies capacités et réclamer un traitement complet ».

Le cas de la réinsertion de Noela de Mingo divise largement l’opinion publique. Personne ne doute cependant des bienfaits des pèlerinages, et plus particulièrement de celui vers Saint-Jacques, sur la santé mentale et la réinsertion sociale. Un chemin spirituel de dépassement et de rédemption qui aide de nombreuses personnes à retrouver une place dans la société.


Il se forge des saints dans les prisons espagnoles

En Espagne, à la prison de Vitoria, un prêtre vient visiter un prisonnier et le trouve grelottant de froid. On est en hiver et le malheureux n’a qu’un maillot de corps. Le Père quitte sa soutane, enlève chemise et pull-over et les lui donne. Ce simple geste ouvre le cœur de l’assassin. Le jour même, Juan-José se confesse. Toute son existence est changée. De sa prison il écrira : « Heureux jour que celui où je suis entré dans cette prison ! C’est là que j ‘ai appris à prier, à pleurer mes péchés. »

Le 28 novembre 1951 Juan-José est condamné à mort. Seul dans sa cellule, il se résigne peu à peu. Près du lit un crucifix et une image de la Sainte Vierge. Tous les jours, il récite le chapelet, fait son chemin de croix et communie quotidiennement. Il se prive de tabac, de café, de dessert. Il porte un cilice.

Une nuit, il aperçoit en songe Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus qui lui promet son intercession. Début 1953, il obtient du Pape Pie XII une bénédiction apostolique pour l’heure dernière. Il passe l’ultime nuit en prière puis assiste à la messe où il communie. L’heure arrive. Juan-José est parfaitement calme. Un témoin dira : « II se forge des saints dans les prisons espagnoles. »


Quelle place pour Marie dans ce partage de ma joie ?

Raymond Fau, né en 1936, est un chansonnier français qui a composé de nombreux chants d’Eglise et accompli des tournées de concerts dans plus de 40 pays !

Son témoignage : « La chanson pour moi est avant tout un moyen de rencontre. – Ce que je dis à ceux qui m’écoutent ? Ma joie de croire… Dans ce partage de ma joie, la Mère de Jésus a une place essentielle. Raymond Fau sort un chapelet de sa poche et continue : « Vous voyez, c’est mon compagnon. Dans les rues des villes, dans le métro à Paris, avec son rythme le chapelet transporte dans un autre univers. Les Chrétiens d’aujourd’hui ont tort de ne pas y croire ».

Mon plus beau souvenir ?… à la prison des femmes de Rennes. Il y a deux ans, j’ai passé la veillée de Noël chez elles, avec mon guitariste. Les détenues avaient eu la permission de « dialoguer ». Je me souviens surtout d’un 15 août passé avec elles. Elles chantaient le vieux cantique « j’irai la voir un jour ». Cela aurait pu faire sourire, j’ai pleuré comme un gosse.

Et Raymond conclut : « Le chant ça fait partie de ma vie, mais chanter le Christ-Amour, c’est terriblement exigeant. La Vierge Marie est là pour m’aider ».


« J’étais prisonnier et vous m’avez visité »

septembre 2016, il y avait 68 253 détenus, l’équivalent de la population de Saint-Nazaire ou de Colmar, soit une augmentation de près de 15 % en 10 ans, dont 3 % depuis 2015. Parmi ces 68 253 détenus, environ 3 % de femmes.

«J’étais prisonnier et vous m’avez visité” (Mt 25, 36). Je n’avais jamais vraiment creusé ce que signifiait cette phrase de l’Évangile avant de côtoyer le milieu carcéral. Je croyais même qu’en disant cela, Jésus pensait aux victimes innocentes de la justice, aux prisonniers condamnés à tort. Maintenant que j’ai rencontré des détenus, je sais que mon interprétation de l’Évangile était erronée. » Béatrice, influencée par l’exemple d’amis, a participé pendant trois ans à la messe dominicale de la maison d’arrêt et du centre de détention de Rennes. Comme la plupart de ceux qui ont connu cette expérience, il y a un avant et un après. Cette jeune professionnelle dans les ressources humaines sait maintenant que la grâce pénètre aussi les cœurs de détenus quels que soient les délits ou crimes qu’ils ont pu commettre.

C’est dans cette même région rennaise qu’un détenu qu’elle a accompagné a connu une sorte de rédemption : Énock, 32 ans, est sorti il y a un an de prison. Condamné pour vol à main armée et trafic de stupéfiants, ce père de quatre enfants a retrouvé la foi de son enfance pendant sa détention. Plusieurs années très dures, de tourments et d’isolement. « Je m’en voulais beaucoup d’être loin de mon foyer et d’avoir démissionné de mon rôle d’époux et de père, reconnaît-il aujourd’hui. Et je voulais me racheter. »

Par l’intermédiaire de l’aumônier protestant d’abord, puis de l’Aumônerie catholique, Enock ne sombre pas, mais reprend espoir. Les visites qu’il reçoit de sa famille et des aumôniers lui permettent de se remettre à prier. Il devient même un témoin pour ses codétenus, n’hésitant pas à leur transmettre l’espérance qui est en lui. Une fois libéré, il a retrouvé sa famille et un métier : « Maintenant, je goûte le plus simple moment familial comme un privilège. » Aujourd’hui sacristain dans sa paroisse, il conclut : « Ma vision de la prison a changé. Je sais que derrière ces murs et ces barreaux, il y a des vies. »

C’est parce qu’il y a des vies dans les prisons françaises que de nombreux chrétiens sont mobilisés. Rien qu’au Secours catholique, deux mille bénévoles œuvrent au sein du département Prison Justice. « La base de notre engagement est bien cette parole du Christ : “J’étais en prison et vous m’avez visité” », atteste d’ailleurs Paul Charvet, responsable-adjoint de ce département.

« Comme une lumière… »

Quand on le rencontre dans un café de la gare du Nord à Paris, rien ne laisse deviner le passé d’Hadi et son caractère affirmé. « En prison, nous avoue-t-il cependant en sirotant un café, il faut une force de caractère énorme. Sinon, t’es fichu. » Il sait de quoi il parle. Ce Français d’origine kabyle a passé dix-neuf ans derrière les barreaux, dont dix à Clairvaux, une des six maisons centrales en France « pour les détenus les plus dangereux ». Libéré depuis avril 2015, il porte un bracelet électronique. Lui, sa « rémission », il la doit notamment à un moine cistercien venant le visiter régulièrement dans sa cellule. « Alors qu’en prison rien n’aide à s’en sortir, ce moine avait des paroles apaisantes. C’était comme une lumière qui venait de l’extérieur et qui m’éclairait l’esprit. En discutant, j’ai pris conscience des fautes et du mal commis. » Avec ses lunettes grises et ses cheveux bien peignés, ce quinquagénaire à l’allure anodine semble avoir tourné la page prison. Depuis peu, il travaille dans le transport de personnes à mobilité réduite.

L’histoire d’Énock et d’Hadi n’est pas unique : combien sont-ils, ces hommes ou ces femmes, jeunes ou plus âgés, qui ont retrouvé l’espoir – et parfois l’espérance – grâce à de telles visites ? Malgré leur passé et les délits ou crimes qu’ils ont commis, n’ont-ils pas eux aussi besoin du soutien de ceux dont l’éducation fut porteuse ou le parcours exempt de condamnation judiciaire ? Ne faut-il pas se réjouir de voir des chrétiens se mobiliser ?

Parmi eux, Jean, 39 ans, cadre dans un ministère. Une fois par mois, il va à la rencontre des détenus d’un des bâtiments de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis pour préparer et suivre la messe dominicale. Suivie d’un échange amical et bienveillant, la rencontre est l’occasion d’un chemin intérieur tant pour les prisonniers que pour ceux qui viennent jusqu’à eux : « Leur approche de la miséricorde est humble, atteste ce bénévole de l’association Paul et Silas. La plupart de ceux que je vois ont reçu une éducation chrétienne et sont parfois baptisés, d’autres découvrent ou redécouvrent la foi. Certains pensent qu’ils ont commis une faute tellement grave qu’ils sont indignes de tout pardon. Ils sont en souffrance et quand certains d’entre eux découvrent ce qu’est la miséricorde divine, c’est une leçon pour moi. Édifiant ! »

En plus d’une présence auprès des détenus qui en font la demande, certains se mobilisent aussi auprès des familles. C’est le cas à Marseille, dans l’établissement pénitentiaire pour mineurs (EPM) du 11e arrondissement, où une Équipe Saint-Vincent écoute et accueille les familles venant visiter leur enfant ou un proche. « Les parents qui arrivent sont en grande détresse, raconte Laurence, sa présidente.En lien avec l’administration pénitentiaire, cette Équipe Saint-Vincent («une vingtaine de femmes solidaires et unies ») fonctionne en binôme dans un local, tel un « sas de décompression » avant le parloir avec les jeunes détenus. « Quand un mineur est incarcéré, toute la famille souffre de culpabilité et de honte. Certaines viennent de loin et n’ont que peu de temps sur place. Notre écoute bienveillante et attentive les rassure », constate Laurence. Et laisse des traces dans le cœur des familles et même des mineurs incarcérés « étonnés de voir que des personnes prennent du temps gratuitement pour eux, sans chercher aucun avantage ».

À une bonne heure de route de là, dans la maison d’arrêt Sainte-Anne, à Avignon, un détenu a connu l’enfermement : un « cloaque infâme », raconte-t-il aujourd’hui. Écopant de neuf mois de prison au début des années 2000, Ludovic a heureusement bénéficié de l’aide d’une femme, aumônier protestante. « Ma vie s’en est trouvée transformée, la prison prenait un tout autre visage, il me semblait qu’à présent un « co-détenu invisible” partageait les quelques mètres carrés qui m’étaient alloués. Mes moments de découragement se transformaient en moments de prière et j’acquis la certitude que Jésus Christ, invisible dans notre réalité, ne l’était plus dans mes souffrances ni dans les appels à l’aide que je Lui lançais. Il était là pour faire naître en moi cet amour jusqu’alors inconnu. En un mot, Il était vivant. »

Devenu un véritable témoin de foi pour les prisonniers après sa libération, Ludovic donne aujourd’hui des conférences pour raconter son parcours. Enfant maltraité par ses parents, ce « Tim Guénard des prisons » anime désormais le Groupe de prière des prisons de France, en lien avec la Fraternité du Bon Larron, une association catholique réunissant mille cinq cents membres au service des détenus, en particulier par l’échange de courriers. Donnant une conférence à Lisieux, en août 2010, il disait, de sa vie en prison : « Le bon Berger avait laissé ses quatre-vingt-dix-neuf brebis pour venir chercher sa centième que j’étais pour me conduire dans ses verts pâturages, près des eaux paisibles où Il restaure mon âme. Il était venu jusque dans la prison, non pas pour me juger, mais pour me sauver, non pour me jeter la pierre, Il pouvait le faire, Il est sans péché, mais pour me pardonner, pour me montrer une autre voie, pour m’amener à la repentance, pour m’emplir de son amour et m’offrir sa grâce. »

Des visites, mais aussi des prières et des lettres

En France, d’autres larrons sont devenus bons au contact d’une présence chrétienne visible ou invisible. Certains ont un contact direct avec les prisonniers (les aumôniers, par exemple, peuvent entrer dans les cellules), d’autres les rejoignent par la prière ou par lettre. C’est le cas de Nadia-Catherine, dont le deuxième prénom est un hommage reconnaissant à l’intercession de sainte Catherine de Sienne.

Baptisée à Pâques 2015 dans la cathédrale de Rouen, cette jeune femme d’origine algérienne a rejoint la Fraternité du Bon Larron il y a deux ans. De passage à Paray-le-Monial quand elle était catéchumène, Nadia est entrée en contact avec cette association qui apporte un accompagnement fraternel et spirituel aux détenus. « Un handicap physique m’empêchant d’aller directement à la rencontre de prisonniers, j’ai choisi d’avoir une correspondance par lettre avec l’un d’entre eux comme le propose l’association », explique-t-elle. Venant d’une famille musulmane, elle a été éblouie par la phrase de saint Matthieu « C’est à moi que vous l’avez fait » (25, 40) : « La première fois que j’ai lu ce passage de l’Évangile sur les œuvres de miséricorde, j’ai souri tellement je trouvais ça beau. À partir de là, c’est resté gravé dans ma mémoire. » Étudiante en droit public, elle correspond aujourd’hui avec un détenu protestant condamné pour homicide involontaire. Un véritable lien invisible les rapproche : « Le Seigneur nous demande d’aimer sans retour mais, là, cette correspondance m’apporte autant que je donne. Je reçois véritablement de l’amour en échange. »

Pour certains enfin, c’est le travail qui est l’occasion de côtoyer des détenus. Anne Landèche est médecin d’une prison de province depuis une dizaine d’années. Au départ simple opportunité professionnelle, cette expérience « s’est avérée passionnante » pour cette quinquagénaire. Jusqu’à écrire un livre chez Parole et Silence, édité en 2015, Je t’ai gravé dans les paumes de mes mains. Récit d’un médecin de prison. Le secret pour elle ? « Il ne faut pas faire des cases : les mauvais et les bons, les gentils et les méchants. Les détenus ont le même désir d’aimer que moi.  Il faut les aborder avec une bienveillance inconditionnelle, à condition, précise-t-elle, de ne pas être naïf ou dupe du passé. » Cette mère de deux enfants ne cache pas les difficultés à travailler en centre de détention. « Mais les échanges avec les détenus sont souvent d’une telle densité qu’on en ressort vivifié de l’intérieur. »

Les armes de la Miséricorde

Ni angélisme, ni parole moralisatrice : celui qui visite ou rencontre des détenus se doit d’être à leur service. « S’il s’en trouve parmi vous qui pensent qu’ils sont envoyés pour “évangéliser” les prisonniers et non pour les soulager, pour remédier à leurs besoins spirituels et non aux temporels, je réponds que nous devons les assister en toutes manières par nous et par autrui : faire cela, c’est évangéliser par paroles et par œuvres, et c’est cela le plus juste », disait saint Vincent de Paul, considéré comme le premier aumônier des prisonniers au XVIIe siècle.

Dans la maison d’arrêt et le centre de détention de Perpignan, Georges essaie de traduire en actes ce conseil : « Quand je suis devant un détenu, j’essaie de le considérer comme le Christ. » Père de famille retraité du secteur viticole, aumônier catholique de prison et diacre permanent dans son diocèse, il est enthousiaste et insatiable sur la condition sine qua non quand on rencontre un détenu : « Comme le Christ nous a dit “Je ne suis pas venu pour juger mais pour sauver”, nous aussi nous devons nous présenter devant les détenus avec les seules armes de la Miséricorde. Si je commence à imaginer quels crimes ou délits la personne en face de moi a commis, je sors de ma mission. Le Christ aime quand même cette personne : pas pour ce qu’elle a fait, mais pour ce qu’elle est ! »

Fidélité, gratuité, écoute sans jugement, tel pourrait être le triptyque de la visite en prison. Une attitude qui porte du fruit et qui permet à l’Aumônerie catholique des prisons (voir encadré ci-dessous) de garder la confiance de l’administration pénitentiaire. Si la misère morale ou le prosélytisme de l’islam reste préoccupants, il n’en demeure pas moins que la présence chrétienne dans ces lieux d’enfermement est un gage d’espérance.

L’Aumônerie catholique des prisons

Six cent soixante-six personnes ont un agrément d’aumônier catholique ou d’auxiliaire d’aumônerie catholique. Si les premiers peuvent directement visiter les personnes détenues dans les cellules (la plupart des aumôniers en ont les clés), les seconds ne le peuvent pas : ils viennent en prison pour animer un groupe biblique ou partager la parole de Dieu, animer un groupe de chants, rencontrer les détenus pour la messe dominicale et préparer avec eux la célébration, participer à des ateliers avec les détenus. Sur ces 666 catholiques engagés, on compte 127 prêtres, 436 laïcs, 58 diacres, 45 religieux ou religieuses.

L’aumônier national est le Père Jean François Penhouët. Il est nommé par la Conférence des évêques de France sur proposition des neuf aumôniers régionaux et de celui représentant l’Outre-Mer. Envoyés en mission par leur évêque, les aumôniers et leurs auxiliaires sont agréés par l’administration pénitentiaire. L’Aumônerie catholique est présente dans les 187 établissements pénitentiaires du territoire français. Actuellement, sept aumôneries sont reconnues par l’État : catholique, protestante, israélite, musulmane, orthodoxe, Témoins de Jéhovah et depuis peu bouddhiste.


Mary Wagner : « j’étais en prison et vous m’avez visité »

L’hiver dernier, en prison, j’ai entendu d’un ami, un prêtre en Pologne, qu’il y avait la possibilité d’une visite à Vanier par un prêtre qui était en pèlerinage avec une réplique d’une icône de notre-Dame de Czestochowa, ou, « la Vierge noire ». Père Peter West, de H.L.I., avait commencé le pèlerinage deux ans plus tôt et faisait son chemin dans le monde entier pour les intentions de la vie et de la famille. Bien que père West avait reçu la demande de visite de Vanier à court préavis, il parvint à trouver le temps de venir et dire une messe – à la veille de l’Annonciation !

Les autorités à Vanier ont accueilli la demande inhabituelle de la visite de l’icône et facilité des arrangements pour la messe dans la chapelle. Douze détenus ont été autorisés à être invités et le personnel ont également été invité. Environ 20 employés sont venus, pour la plupart du personnel médical.

Je savais que tous les détenus qui avaient été invités, et je savais aussi qu’au moins huit d’entre eux étaient les. La Messe n’était pas annoncée à l’avance et quand les femmes ont été invitées, ils surent rien sauf qu’ils avaient été invités à aller à la chapelle pour la messe. douze femmes ont été invitées et dix accepté.

Ouest de père nous a donné une histoire de l’icône et il a également expliqué comment la « Vierge noire » était devenu un symbole d’espoir pour les femmes : tout au long de l’histoire, des tentatives ont été faites pour détruire l’icône – d’où les cicatrices ou les barres obliques sur son visage – mais l’icône reste intact, même si évidemment marqué.

Père parle de l’amour infini de Dieu pour chaque personne dès le moment de la conception et du préjudice grave de l’avortement et de la nécessité de la miséricorde de Dieu et le pardon si on a participé à un avortement. Il a dit la vérité dans l’amour aux femmes-mères-dont les enfants avaient été tués dans l’utérus. J’ai vu des larmes dans les yeux des femmes, mais je savais qu’ils étaient des larmes de guérison. Quelqu’un a parlé de la vérité dans l’amour dans leur cœur, à un endroit qui si désespérément nécessaires à atteindre avec le message de Dieu de miséricorde.

Après la messe, nous avons été invités à prier le premier mystère joyeux et de rester pour un temps de vénérer l’icône. Nous avons été puis escortés vers les blocs de cellules, touchés de façon tangible, renouvelés, par les grâces que nous avions reçu.

Ce soir-là, deux femmes qui venaient de masse mis en demande à voir un prêtre pour la confession. L’un d’eux m’a dit que cela faisait plusieurs années qu’elle avait reçu le sacrement de la réconciliation, et que l’invitation à la messe avait donné son espoir.

Le lendemain, l’aumônier de la prison m’a dit que plusieurs le personnel restés avant l’icône pendant une longue période, abordé que notre dame avait manifesté son amour de manière, ou peut-être tout simplement déplacé par ce qu’ils ne pouvaient pas comprendre ou mettre en mots.

Un des policiers qui avaient escorté nous m’a remercié pour ce qui avait eu lieu la veille. (Gloire à Dieu !)

Grâces soient rendues à Dieu pour la masse pour l’icône visitez, père-Ouest et pour tout ce que Dieu fait et donnant au sein de ces murs de la prison, pour les détenus et le personnel.

« Et de sa plénitude nous avons tous reçu, et grâce sur grâce » (John 01:16).

Marie Wagner, décembre 2014

C’étaient des larmes de guérison (II)

Dans la prison de Vanier (Québec), où il célèbre la messe en présence de l’icône de Notre Dame de Czestochowa, le père West fait une homélie devant des prisonnières qui ont avorté. Il évoque la gravité de cet acte mais aussi la miséricorde de Dieu. Ainsi quelqu’un parlait à leur cœur dans la vérité et avec amour, en touchant un endroit qui avait désespérément besoin d’être atteint par la miséricorde de Dieu.

Après la messe, toutes ont été invitées à prier le premier mystère joyeux et à rester un moment pour vénérer l’icône. Ce soir-là, deux des femmes qui étaient venues à la messe ont demandé à voir un prêtre pour se confesser. L’une d’entre elles m’a dit qu’elle n’avait pas reçu le sacrement de réconciliation depuis de nombreuses années, et que l’invitation à la messe lui avait redonné espoir.

Le lendemain, l’aumônier de la prison m’a dit que plusieurs membres du personnel étaient restés longtemps devant l’icône, émus par le fait que la Vierge ait manifesté son amour d’une telle manière. Un des officiers qui nous avaient escortées m’a remerciée pour ce qui s’était passé la veille (gloire à Dieu) !

Merci à Dieu pour tout ce qu’Il a donné à l’intérieur des murs de la prison !

Mary Wagner, décembre 2014

From Ocean to Ocean


Des volontaires animent la messe à la prison de Fleury-Mérogis

Azur Guirec | 09 mai 2017

©P.RAZZO I CIRIC

12 Janvier 2014 : Messe dominicale à la Maison d’Arrêt de Bois d’Arcy, animée par l’équipe de l’aumônerie et un groupe de jeunes de 2e année prépa du lycée Sainte Geneviève de Versailles. La messe est célébrée par P. Dominique PELLET, aumônier de la prison, assisté du diacre Dominique DEGOUL, s.j.

Un groupe d’étudiants parisiens se rend une fois par mois à Fleury-Mérogis, le plus grand centre pénitentiaire d’Europe, pour animer la messe dominicale.

Levés à l’aube, ils quittent Paris alors que la ville sommeille encore. Après une petite heure de voiture, ils arrivent sur le parking immense et désert de Fleury-Mérogis. Rien autour, l’endroit isolé semble mort. Pourtant ce sont bien 4 880 personnes qui vivent dans cet espace concentré. Une population équivalente à celle d’un village français.

Fleury-Mérogis, la plus grande prison d’Europe

Fleury-Mérogis est une maison d’arrêt : c’est une prison abritant les prévenus en attente de jugement ou les condamnés à des peines courtes, ou bien encore les condamnés en attente d’affectation en centre de détention. Ce centre est le plus grand d’Europe, avec théoriquement 2 855 places, mais qui compte en réalité 2 000 détenus de plus que les effectifs prévus initialement. La prison est conçue sur un modèle hexagonal, en pieuvre, pour pouvoir surveiller la totalité de la structure avec un minimum de personnel : un œil central et plusieurs longs bras rattachés à ce cœur, avec à chaque bras plusieurs étages.

Tous les dimanches, des groupes viennent pour animer des messes à Fleury. Six messes sont célébrées en même temps, à plusieurs endroits de la prison, animées par différentes aumôneries. L’accompagnement spirituel, s’il existe bel et bien en prison, reste tout de même faible : peu de personnel pour beaucoup d’âmes. Pendant la semaine, les détenus peuvent s’entretenir avec les aumôniers présents, et deux fois par semaine, des discussions sont prévues autour de textes de l’Écriture. « J’en entends des vertes et des pas mûres » reconnaît l’aumônière. Elle est là deux journées par semaine pour discuter avec ceux qui le souhaitent. « Mais ça me rappelle qu’au fond nous partageons une même humanité ».

Les étudiants, après plusieurs contrôles, pénètrent dans l’enceinte. Ils longent un des bras par l’extérieur : des fils pendent d’un grillage à l’autre, astucieux moyen pour communiquer d’une cellule à l’autre. « Oui, on les laisse faire ça, il faut savoir trouver la juste mesure, ce n’est pas toujours facile », explique l’aumônière. Les jeunes finissent par entrer dans la pièce qui sera ce matin leur chapelle, ils installent l’autel et le décorent des fleurs qu’ils ont apportées. Les détenus commencent à arriver, et les saluent chacun leur tour d’une poignée de main.

La messe, lieu de miséricorde

La messe commence. Soixante détenus dans une pièce, pour écouter un prêtre et chanter des chants pieux… Ne rêvons pas, ils ne sont pas sages comme des images ! Mais ils sont là, et participent. Ils se succèdent pour les lectures, dans leurs langues. Puis vient le moment de la prière universelle : c’est une révélation. Chacun peut venir au micro pour confier ses intentions à ses frères et à Dieu. Certains lisent les prières qu’ils ont composées, d’autres récitent celles qu’ils ont apprises. L’un d’eux, un habitué du premier rang et que l’eucharistie fait vivre, prie chaque semaine pour ses frères de prison qui ne viennent pas à la messe. Puis il prie pour le Pape, pour l’Église : la communion des saints est décidément partout, jusque dans ces lieux où la misère humaine est si lourde. L’eucharistie, institution de la miséricorde, prend alors tout son sens dans un endroit pareil.

À la fin de la messe, les étudiants offrent une rose à chacun d’eux. Leur joie est belle : leur confier une rose, c’est leur confier une responsabilité à la hauteur de celle du Petit Prince. La délicatesse de cette rose tranche avec la force de ces hommes, qui fièrement gardent le sourire. L’un explique qu’il offre à son amie toutes les fleurs qu’il a reçues, et qu’elle les a séchées pour en faire un gros bouquet. L’autre explique que ces roses sont ce détail qui change l’allure de sa cellule, et qu’elles embellissent sa vie pour une semaine.

Pendant un bon quart d’heure, les étudiants et les détenus peuvent discuter. « Le coup de la rose, c’est un bon moyen pour entrer en contact avec eux » explique l’une des étudiantes, car les approcher n’est pas toujours simple. Certains sont là depuis cinq ans, d’autres depuis quelques mois. Ils racontent leur vie à Fleury : une ou deux heures de sortie chaque jour, une cellule de 9 m2 partagée avec un colocataire qu’ils n’ont bien-sûr pas choisi. Certains travaillent en atelier, d’autres se forment, d’autres ne font rien. Les journées sont monotones, et cette messe est pour eux le signe d’un jour d’exception. D’ailleurs plus d’un s’habille en circonstance, portant fièrement son chapelet autour du cou. Ces détenus sont attachants, et ce malgré les fautes qu’ils ont commises et que les étudiants ignorent. Ils ont ces personnalités entières qui sont capables du pire, comme du meilleur.

Visiter les prisonniers, une œuvre de miséricorde

Visiter les prisonniers est l’une des œuvres de miséricorde. Ces quatorze œuvres, sept corporelles et sept spirituelles sont les gestes de charité que l’Église depuis son origine demande de pratiquer, et que le pape François a souvent rappelé à l’occasion du Jubilé de la Miséricorde. Les détenus aujourd’hui sont nombreux, et ces âmes qui ont commis de lourds méfaits sont des âmes assoiffées. Bien souvent, leurs cœurs sont des chantiers sauvages, qui attendent la Parole apaisante pour ordonner leurs vies.

Certes Dieu peut tout, mais il a fait de ses enfants des messagers de sa Parole, il donne pour tâche aux baptisés de devenir prophètes auprès de ceux qui ne savent pas encore. Le temps pascal est terminé, nous sommes entrés dans le temps apostolique, le temps de la mission, le temps du Saint-Esprit. La prison ne serait-elle pas une terre curieusement féconde, un terrain missionnaire à portée de main ? Ces lieux, bien loin des yeux, sont remplis d’âmes en peine. Alors si l’aventure vous tente, n’hésitez pas à vous renseigner auprès de votre diocèse ou de votre aumônerie !


Le pape François, à la suite du Christ, n’en finit pas de nous appeler à sortir, à aller jusqu’aux périphéries et il donne des indications pour ce chemin, un chemin vital non seulement pour ceux qui ne seront pas rejoints si l’Église ne sort pas, mais pour l’Église elle-même qui ne sera plus Église du Christ si elle ne suit pas le Christ qui sort.

« Nous ne découvrons pas le Seigneur, si nous ne n’accueillons pas l’exclu de façon authentique ! Rappelons-nous toujours l’image de saint François qui n’a pas eu peur d’embrasser le lépreux… » (Homélie du pape François – dimanche 15 février 2015)

500 chapelets aux détenus de la prison de Padoue…

chapelet aux détenus

Le pape François vient d’offrir 500 chapelets aux détenus de la prison de Padoue, dans le nord-est de l’Italie.

Un des jeunes détenus, un Chinois de 30 ans, baptisé en prison, Zhang Agostino Jianqing, en avait fait la demande au pape qu’il a pu rencontrer le 11 janvier 2016, à la veille de la présentation du livre du pape «Le nom de Dieu est miséricorde», le 12 janvier à Rome.

Il a témoigné de sa découverte du Christ, grâce aux larmes de sa mère – à l’instar des larmes de sainte Monique, mère de saint Augustin d’où le choix de son prénom de baptême : « Agostino » -, et de la coopérative sociale où il travaille en prison.

Il raconte : « J’ai ressenti la présence du Seigneur dans l’amour de maman. Jésus a envoyé les siens me chercher : tous les amis rencontrés pendant mon parcours de catéchisme. Le 17 avril 2015, j’ai reçu le baptême, la confirmation, et la première communion dans  la prison, pas dans un autre lieu, mais là où Jésus est venu me rencontrer et où j’ai rencontré Jésus ». Le père Marco Sanavio, prêtre de Padoue, a remis personnellement les chapelets aux prisonniers.


Mémoire de fin d’études de Conseiller Pénitentiaire d’Insertion et de Probation de Francis Bonnet sur la religion en prison (ENAP 2003) :

Comment la religion, et notamment la religion catholique, peut aider les détenus à surmonter le choc de l’incarcération et à entreprendre un chemin de conversion … exemples de conversions célèbres …

« Si nous accordons trop d’importance à la science et à la technologie, nous risquons de nous éloigner de ces aspects du savoir et de la compréhension humaine qui aspirent à l’honnêteté et à l’altruisme…Personne ne peut nier les bienfaits matériels sans précédent qu’ont apportés science et technologie, mais nos problèmes humains fondamentaux n’ont pas changé ; nous sommes toujours, sinon plus encore, confrontés à la même souffrance, à la même peur et à la même tension. Il n’est que logique d’essayer de trouver un équilibre entre le développement matériel et le développement de valeurs spirituelles. »

Teuzin Gyatso, XIVe dalaï lama du  Tibet

« Une vie sans religion est une vie sans principes et une vie sans principes est un bateau sans gouvernail « .

Gandhi, Lettres à l’Ashram

« Ce qui est important pour chaque homme, ce qui confère un poids à sa vie, c’est qu’il se sait aimé par Dieu. Celui-là précisément qui est dans une situation difficile tient bon quand il sait que quelqu’un l’attend, qu’il est désiré et utile ».

Cardinal Joseph Ratzinger, préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi

PROLOGUE

«  La place de la religion dans la France de ce début de III ème millénaire est centrale.  La question de l’espérance, celle du sens de la vie, est sans doute la question la plus importante de l’existence[1]. »

Le livre choc de Nicolas Sarkosy secoue le monde politique actuel et relance le débat sur la laïcité et la place du religieux dans notre société. L’affaire du voile islamique, le financement des mosquées par l’État, la formation des imans dans des établissements universitaires français, l’intégration des musulmans en France, la place des religions dans un État laïque, le regain d’intérêt pour l’Église Catholique manifesté par un nombre croissant d’adultes demandant le baptême ou le succès des Journées Mondiales de la Jeunesse organisées à Paris, le phénomène des sectes, l’attrait pour le bouddhisme et les philosophies orientales ou l’engouement pour l’ésotérisme en sont des illustrations marquantes.

De multiples ouvrages, articles, émissions, débats, spectacles et films inondent les médias et les librairies.

Le dernier film de Mel Gibson, « La Passion du Christ », a eu un retentissement mondial. En France, différents spectacles et comédies musicales ayant un thème religieux se sont produits dernièrement : « Les Dix Commandements », «  Notre Dame de Paris », «  Jésus de Nazareth »…

Jacques Weber, le comédien bien connu, interprétait récemment le rôle de Pilate au Théâtre Montparnasse dans la pièce d’Eric-Emmanuel Schmitt, « L’Évangile selon Pilate ».

L’artpictural n’est pas en reste avec cet article paru dans le Figaro Magazine du 24/12/2004 : « Art religieux, art joyeux », présentant la création d’une « Nativité » par le chef de file mondial de la peinture naïve contemporaine, Alain Thomas, qui installera son œuvre dans la chapelle du Sacré-Cœur de la cathédrale de Nantes. Après avoir écrit que «  L’Église ne boude pas la modernité : après les fresques de Cocteau, les vitraux de Soulages, les objets sacramentels de Goudji ou les croix de Rispal, voici une  « Nativité», par Alain Thomas », la journaliste conclut son article par cette phrase : «Alain Thomasrend hommage à unDieude paix, d’amour et d’innocence qui ignore tout de la violence. »

Dans la presse écrite, un dossier publié dans le journal «l’Express» du 28/03/2002, intitulé « Les religions au banc d’essai», notait ce paradoxe : « alors que les églises se vident, la quête de spiritualité n’a jamais été aussi forte, et la France accueille des croyants de toutes origines… On s’imagine vivre dans une société qui aurait remisé la religion au placard. A tort. Alors qu’on pressentait la disparition du religieux, celui-ci revient en force, partout. »

L’hebdomadaire « Paris Match » a présenté également plusieurs livres récents abordant le thème de la religion, en parlant de « miracle pourl’édition ! ». Mentionnant notamment les livres de Didier Van Cauwelaert[2], de Jacques Duquesne[3], de Frédéric Beigbeder et de Monseigneur Di Falco[4] ou de Jean-Marie Rouart[5], elle note :

« Tout le monde s’y met. Même les philosophes les plus sceptiques se penchent sur le besoin de religiosité de notre société : « Islamisme convulsionnaire, religiosités consuméristes, foules déplacées par le  Pape, OPA spirituelles des évangélistes américains, etc., l’actualité du début de ce millénaire semble plaider pour un « retour du religieux », indiquent ainsi Luc Ferry, ancien ministre de l’Éducation Nationale, et Marcel Gauchet, rédacteur en chef de Débat. »

Charles Debbasch et Jean-Marie Pontier[6] reprennent cette analyse en  expliquant qu’« une conclusion rapide conduirait à affirmer qu’aujourd’hui, la baisse de la pratique et l’affaiblissement des croyances religieuses[7] témoignent d’un recul du religieux en France.

Deux grandes tendances marquent l’évolution de la société. La première est commune à la plupart des pays d’Europe occidentale, c’est la tendance à l’établissement d’une société sécularisée[8].

La seconde est plus spécifique à la société française, c’est l’affirmation de la laïcité[9]. La société française est partagée :

Une partie de ses membres continue de se rattacher et de se référer à la foi chrétienne comme guide de vie, qu’il s’agisse des catholiques ou des protestants, et il en est de même pour les juifs et les musulmans.

Une autre partie de la population continue de s’inspirer, plus ou moins vaguement, de la morale chrétienne. En effet, « si le fait que la société française (…) n’établit plus son consensus autour des autorités religieuses, ne peut-être contesté dans sa globalité, il ne s’ensuit pas pour autant que les valeurs spirituelles et morales semées par le christianisme cessent de remplir un rôle de repère dans les esprits » (G. Defois, Les chrétiens dans la société).

Enfin, une autre partie de la population vit en-dehors de toute référence religieuse, quelle qu’elle soit et conduit son existence selon de tout autres critères qui peuvent être aussi bien le plaisir que la domination.

Cependant, aujourd’hui, se manifeste un réveil du catholicisme. Celui-ci fait sa rentrée sur scène. Un effort est fait pour affirmer l’identité catholique et l’identité chrétienne.

A l’origine de ce renouveau se trouvent plusieurs facteurs. Le pape Jean-Paul II a joué un rôle non négligeable. Homme de médias, il incarne une nouvelle image de l’Église, où les interrogations inquiètes ont cédé la place à la tranquille réaffirmation des vérités dont l’Église s’estime porteuse. Lors de l’un de ses voyages en France, Jean-Paul II interpelle la France : « France, qu’as-tu fait de ton baptême ? », et ces visites pastorales du pape réveillent un catholicisme un peu engourdi.

La sécularisation dont il a été question précédemment débouche sur des impasses, la raison est devenue incapable de chasser les « ténèbres de l’irrationnel ». Le retour au sacré ne profite pas nécessairement aux Églises, mais il est peut-être une chance pour elles.

A cela, il faut ajouter un certain renouveau du catholicisme dans les milieux intellectuels, où l’on n’a plus honte de s’avouer catholique, et où le point de vue catholique se fait de nouveau valoir.

… Notre société laïcisée, sécularisée, rationaliste[10] connaît un regain d’intérêt pour le religieux qui ne laisse pas de surprendre. »

Jean Sévilla revient sur ce thème dans son article « Dieu en France », paru dans « Le Figaro Magazine du 24/12/2004 :

« Désenchantement du monde ou retour du spirituel ? S’il s’agit de qualifier le rapport que notre société entretient avec l’au-delà, on entend dire tout et son contraire. D’où l’intérêt de la sociologie religieuse[11], qui se donne pour objet de dresser l’évaluation des croyances et des pratiques en se fondant sur des critères objectifs et non sur des impressions.

Dans ce domaine, Gérard Cholvy et Yves-Marie Hilaire, tous deux professeurs émérites d’histoire contemporaine (le premier à l’université de Montpellier, le second à l’université de Lille), figurent parmi les grands spécialistes français. Ils viennent de publier «  Le Fait religieux aujourd’hui en France »[12] qui analyse ce phénomène de 1974 à nos jours, en incluant la loi sur le voile de mars 2004.

A travers ces pages, on suit la crise qui a frappé, du catholicisme au protestantisme, les confessions chrétiennes et, à l’inverse, le renouveau identitaire du judaïsme ou l’apparition de spiritualités venues d’Orient. L’année 1989 constitue une césure symbolique dans la mesure où cette date voit à la fois la chute du mur de Berlin et l’affaire des foulards de Creil.  « Une peur chasse l’autre, soulignent les auteurs : celle de Mahomet succède à celle de Marx».

L’arrivée de l’Islam, devenu la deuxième religion pratiquée en France, se traduit par un débat où sont posées des questions fondamentales : la définition des fondements culturels de la nation, la nature du lien social, la fonction de la laïcité.

Dans notre époque sécularisée, la foi paraît minoritaire. Mais que ce soit à travers les jeunes catholiques de la génération Jean-Paul II, le courant évangélique chez les protestants ou l’engagement des intellectuels juifs, ce volume met en exergue des « germinations nouvelles ». L’Histoire n’est jamais finie : dans le passé, on a observé tant de flux et de reflux religieux que nul ne saurait dire si Dieu ne reviendra pas demain frapper à notre porte ».

Ivan Rioufol analyse également ce thème dans un article intitulé «Le retourdu religieux? », paru dans le magazine « Madame Figaro» du 22/12/04 :

« Le retour des bigots, des chaisières, des processions ? C’est ce qu’annoncent les bien-pensants, affolés de constater que des opinions sont en train de leur échapper.

Ils mettent en garde contre l’ordre moral, l’intégrisme chrétien, la pensée réactionnaire. En réalité, il n’est rien de tout cela. Se profile simplement ce qui était prévisible : un refus, chez nombre de Français, de suivre davantage les vaines obligations d’une société superficielle et déboussolée. Le matérialisme a peut-être atteint une impasse.

Ce qui s’est passé aux États-Unis, avec la victoire de la « révolution conservatrice » menée par George W. Bush, annonce peut-être, pour demain, un semblable bouleversement des mentalités en Europe, et singulièrement en France. Dans leur majorité, les Américains n’ont pas voté pour des avantages mais pour des idéaux. Les plus défavorisés se sont détournés de John F. Kerry qui proposait pourtant de les défendre. Ils ont soutenu Bush, qui parlait religion et éthique.

La mentalité française n’est pas celle des États-Unis puritains. Mais un même besoin de renouer avec des traditions, des héritages et des codes s’observe ici aussi. La ferveur religieuse, mesurée ces jours-ci à travers la fréquentation des églises, tend à se distinguer du folklore mercantile de Noël. Une nouvelle spiritualité s’affirme, face à la double pression de l’intégrisme laïque d’une République qui ne sait plus faire rêver et de la dévotion des musulmans qui affichent leur religion avec fierté.

La trop discrète Église catholique commence à relever la tête. Elle n’a pas craint de s’afficher dans les rues durant les fêtes de la Toussaint, notamment à Paris, ou de distribuer des milliers de Nouveaux Testaments comme à Lyon, à l’occasion de la fête des Lumières célébrée chaque huit décembre dans cette ville. Sans parler des Journées mondiales de la jeunesse qui se sont déroulées à Paris et qui ont montré un nouveau visage jeune, gai et moderne des chrétiens d’aujourd’hui.

Dans le même temps, des hommes politiques, comme Nicolas Sarkozy, semblent avoir pressenti la nouvelle attente en défendant le rôle de la religion dans la société. La polémique née du refus d’inscrire les racines chrétiennes de l’Europe dans le préambule de la Constitution européenne a également montré à quel point la question restait sensible.

A cette redécouverte du religieux s’ajoute, comme aux États-Unis, où les onze États consultés ont refusé de légaliser le mariage homosexuel, le besoin de revenir à des valeurs. Le Britannique Tony Blair l’explique bien : «  les gens veulent des règles, de l’ordre et des comportements appropriés ».

En France, même le Parti socialiste n’est pas en reste : dans un rapport récent, il a admis que « les nouvelles libertés personnelles dont ont bénéficié les hommes et les femmes de la génération 68 n’ont pas eu que des effets positifs sur la structuration identitaire et psychologique de leurs enfants.»

Un peu partout, des esprits se réveillent. Cela s’appelle une bonnenouvelle ! »

Ce phénomène de renouveau spirituel largement reconnu ne semble donc pas propre à la France, ni même à l’Europe  (débat sur la mention des racines chrétiennes de l’Europe dans le préambule de sa Constitution, problème de l’intégration de la Turquie dans l’Europe, antisémitisme…) mais touche l’ensemble de la planète : élections américaines marquées par un débat de société portant sur les valeurs morales et religieuses, lutte contre les Talibans, guerre en Irak, conflit israélo-palestinien ou serbo-croate,  attentats terroristes de groupes islamistes, affrontements entre communautés hindoues et musulmanes en Inde et au Pakistan, exactions commises au Soudan par le nord musulman contre le sud chrétien et animiste, génocide arménien ou rwandais, etc.… la liste n’est pas exhaustive.

Ce retour du religieux au premier plan de l’actualité s’accompagne d’un retour de la morale[13] ou de l’éthique dans le discours politique, économique, social, éducatif, culturel ou scientifique. La crise des valeurs et la perte des repères traditionnels dans un monde en pleine mutation, ont conduit les gens à se retourner  de nouveau  vers des références passées. Après la libération des mœurs de mai 68 et le rejet de tout interdit, l’on assiste au retour d’un discours prônant la nécessité de l’autorité et du respect des lois pour permettre une vie sociale harmonieuse.

La crise de notre modèle de société occidental serait ainsi avant tout une crise des valeurs qui trouverait son origine dans la perte des  repères traditionnels, en particulier moraux et spirituels. L’échec des grands courants de pensée matérialistes et athées du XXe siècle qui avaient voulu remplacer les religions instituées en faisant miroiter un paradis sur terre[14], ont laissé un videidéologique que s’empressent de combler mafias, sectes et gourous en tous genres, laissant les populations dans le désarroi et la confusion des idées.

« Le XXIe siècle sera spirituel ou ne sera pas », aurait dit André Malraux.

« Certes, approuvent Luc Ferry et Marcel Gauchet, déjà cités, dans «  Le religieux après la religion[15] », mais ce spirituel-là prend une forme un peu paradoxale : les religions s’éteignent au même moment que l’individualisation du croire prolifère ;on peut constater laperte d’influence des religions constituées au profit d’une« libération »toujours plus grande de l’individu.  Les religions seraient ainsi en voie d’extinction au profit de nouvelles formes de religiosité. »

Alors, s’interrogent-ils, « mort de Dieu ou retour du religieux ? »

Cette période correspondrait, selon eux, à « un processus de longue durée, décrit par Gauchet dans son livre majeur, «le Désenchantement du monde[16] », à savoir la «sortie de la religion», c’est-à-dire l’effacement d’une vision du monde où le religieux structure tous les secteurs de la vie terrestre (hétéronomie) au profit d’une société qui s’auto-institue sans référence à une loi extérieure et supérieure (autonomie) [17]».

Pour Luc Ferry, l’on se dirigerait ainsi vers « l’élaboration d’un nouvel humanisme fondé sur une spiritualité sans religion, un divin sans Dieu ».

Marcel Gauchet, quant à lui, considère que «l’avenir n’est pas non plus du côté des religions traditionnelles : le   « substratanthropologique » qui a nourri toutes les religions s’investirait désormais hors du champ des religions constituées, aboutissant à l’émergence d’un « absolu terrestre », d’un « homme sans Dieu».

Mais, pour Jean-Marc Bastière[18], « l’orientation de l’humanité vers cet « individualisme radical » serait une impasse. L’alternative pourrait être le christianisme, « religion de la sortie de la religion » qui pourrait trouver en lui les ressources d’insuffler son génie aux temps nouveaux, en participant à une nouvelle synthèse qui dépasserait l’opposition entre hétéronomie et autonomie, loi et liberté. »

L’impasse de cet individualisme radical tiendrait principalement à son caractère inhumain.

Le philosophe Jean-François Mattéi développe cette idée dans son livre sur l’inhumanité du monde actuel paru en 1999, La Barbarie intérieure[19], couronné en 2001 par le prix Cardinal Mercier de l’université de Louvain.

Selon lui, « le monde serait devenu inhumain et l’on assisterait à l’avènement d’une « nouvelle barbarie » qui ne renvoie  pas à une violence extérieure mais à l’intériorité même de l’homme quand elle se proclame autonome et suffisante en se coupant de tout recours à l’extériorité. L’enfer ne serait pas les autres, comme l’a écrit Jean-Paul Sartre, mais soi-même dès que l’on se ferme à toute ouverture – sur Dieu,  le monde ou les autres hommes – pour se complaire en soi. La barbarie intérieure serait donc la régression du Moi dans la désertion de l’Autre ».

Ainsi, poursuit-il, « si l’on cherche les causes des régressions de notre civilisation (nazisme, terrorisme, violence, banalité du mal, perte du sens, indifférence à la souffrance…), on ne la trouvera pas à l’extérieur de cette même civilisation, pas plus qu’on ne trouvera pas la cause du repli d’un individu sur son égoïsme à l’extérieur de ce même individu. La barbarie tient à l’effondrement de l’humain, incapable de se hausser à hauteur d’homme.

Le sujet moderne, en tant que sujet de droit, est devenu un « sujet de fait », qui n’est plus, comme chez Leibniz, relié à Dieu. Il ne garde plus de lien avec la loi naturelle[20] ou avec la loi morale, moins encore avec la loi religieuse, se contentant d’être un sujet purement factuel, qui n’agit qu’en fonction de ce que ses passions ou ses désirs lui imposent. Il n’est plus, comme le voulait Sartre, qu’  « une passion inutile », qui ne trouve plus aucun sens à sa vie et serait ainsi devenu pour lui-même  «  l’être suprême », comme l’affirmait Marx, en critiquant la religion.

Soljenitsyne, après Dostoïevski, a avancé que les troubles et les violences que connaissait la civilisation occidentale, en premier lieu avec le communisme, étaient en grande partie issus des Lumières[21] et du culte de la Raison que la Révolution française a essayé d’instaurer en se réclamant des « philosophes » du siècle[22].

Il faudrait cependant nuancer cette thèse qui, en un sens, se trouve en germe chez Rousseau. Il est le premier, en effet, à montrer le danger, pour l‘homme, de se couper de tout lien avec, d’une part, la tradition grecque et romaine, et d’autre part, la religion.

La raison, en tant que principe universel, n’est pas concernée par la barbarie, la régression ou la déchéance. Héritière du logos grec et de la ratio romaine, elle fonde la connaissance et l’action de l’homme sur le socle de l’universalité, et par là, ouvre la pensée à une extériorité. L’intériorité, au contraire, est d’emblée repliée sur la particularité de chacun.

L’individualisme moderne peut être qualifié de « barbare » dans la mesure où il ne permet plus à l’homme de se hisser au niveau de l’universalité exigée tant par la connaissance (la vérité) que par l’action (la justice). »

Répondant à une question sur la possibilité ou non de vivre sanstranscendance et sans religion, Jean-François Mattéi poursuit :

« EmmanuelLévinas a dénoncé l’abandon moderne du souci de transcendance et a soutenu que toute l’Histoire occidentale était une destruction de la transcendance. L’Antiquité voyait l’homme intérieur rattaché à un principe substantiel qui le dépassait : « Bien » de Platon, « divin » qui est « là-haut » de Marc-Aurèle, « un » de Plotin ou « Dieu » de St Augustin. »

La Modernité, au contraire, a pris un tournant subjectiviste[23] qui ne renvoie à l’homme que son seul reflet. Désormais aveugle à sa propre énigme, dans le parfait retournement de la formule de St Paul : « Je suis devenu énigme à moi-même » (Rm 7, 15), le sujet moderne détourne son regard de toute source extérieure et l’incline vers lui-même en se repliant sur le moi.

L’homme antique fondait la hauteur de son âme sur le monde ou, chez Platon, sur cet au-delà du monde qu’est le Bien ; l’homme chrétien fondait la dignité de la personne en Dieu ; l’homme moderne fonde uniquement son moi sur lui-même. Selon la remarque d’Hannah Arendt dans  « Condition de l’homme moderne », celui-ci se détourne des vérités éternelles comme du monde pour faire retraite dans sa propre intériorité.

Je ne crois pas qu’il soit possible de vivre sans « transcendance », alors que la moindre expérience artistique en établit la réalité, ni sans « religion », puisque le monde contemporain nous montre les dangers de ses succédanés. »

A la question : « Le christianisme, dites-vous, accomplit une révolution spirituelle ; de quelle façon lutte-t-il contre la « barbarie » et permet-il à l’humanité d’accepter «  de dépendre de ce qui ne dépend pas d’elle ? », le philosophe répond :

« La révolution spirituelle du christianisme tient d’abord à la découverte de l’ « homme intérieur » qui obéit à « la loi de Dieu », avec St Paul (Rm 7, 22), même si l’expression était déjà connue des Grecs. Cette intériorité spirituelle trouve sans doute sa source  dans les dialogues de la Genèse où Dieu tient délibération avec Lui-même : «  Dieu dit : Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance » (Gn 1, 26), ou « Yahvé dit : voilà que l’homme est comme l’un de nous pour la connaissance du bien et du mal » (Gn 3, 22).

En projetant cette méditation intérieure de Dieu sur la méditation intérieure de l’homme, les penseurs chrétiens, depuis St Paul, ont ouvert à l’âme la voie d’une ascension vers la transcendance divine.

Désormais, il n’y a plus de Juif, de Grec, d’esclave, d’homme libre, pas même d’homme ou de femme, comme le dit aussi bien l’Epître aux Galates (3, 28) que l’Épitre aux Colossiens (3, 11). Il y a un être dont l’humanité peut et doit se conquérir en se rendant semblable à Dieu, par l’imitation de Jésus-Christ, dans un perpétuel travail de soi sur soi-même.

Si la barbarie est bien une régression de l’âme humaine qui, comme le montrait Platon, s’abîme dans son « bourbier barbare », alors, le christianisme se présente comme la religion du Salut qui tire l’âme de ce bourbier et lui permet de donner un sens à sa vie.

Il faut comprendre en effet que l’enjeu de la religion, comme celui de la philosophie, tient essentiellement au sens[24] de la vie, c’est-à-dire de son orientation  vers ce qui n’est pas elle. Lorsque nous supprimons cette orientation qui est, comme l’a montré Lévinas après Platon et bien d’autres auteurs, élévation, il ne nous reste que cette forme douce de barbarie que les Romains nommaient « vanitas », la « vacuité », et qu’ils plaçaient à côté  de la forme brutale de la barbarie : la « feritas », la « férocité ».

Or, ce que montre le monde moderne, c’est que, en tous domaines, la « vanitas » fait le lit de la « feritas », ou, si l’on préfère, la faiblesse ou la lâcheté des individus et des sociétés fait le lit de la violence et de la brutalité. C’est ce qu’on a appelé « l’esprit de Munich », dont j’ai établi, dans « la barbarie intérieure », les responsabilités en politique, en morale, mais aussi dans le champ de la culture et de l’éducation.

Il faut en conséquence que l’humanité fasse preuve d’un peu de retenue et de mesure afin, effectivement, d’accepter de dépendre de ce qui ne dépend pas d’elle mais qui, à tout moment, fait sens. »

A la suite, dans un livre d’entretiens avec PeterSeewald, le Cardinal JosephRatzinger[25], préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, analyse ainsi le paradoxe de la crise de la foi que connaîtrait l’Église Catholique, et de la rupture des pays anciens avec leurs racines judéo-chrétiennes et l’idée de transcendance:

Peter Seewald : « Monsieur le Cardinal, sur la plupart des continents de la terre, la demande de la foi chrétienne est plus forte que jamais. Dans les seules cinquante dernières années, le nombre des catholiques a doublé dans le monde, atteignant plus d’un milliard d’hommes. Mais, dans beaucoup de pays du vieux monde, nous assistons à une sécularisation croissante[26]. C’est comme si de grandes parties de la société européenne voulaient désormais se couper entièrement de leur héritage. Des adversaires de la foi parlent d’une « malédiction du christianisme » dont il faudrait enfin se libérer… beaucoup sont prêts à adopter les stéréotypes antichrétiens et anti-Église sans réflexionpersonnelle. La raison en est souvent, que tout simplement les contenus et lessignes de la foi nous sont devenus étrangers. Nous ne savons plus ce qu’ils signifient. L’Église n’a-t-elle plus rien à dire ? »

Cardinal Ratzinger : « Nous vivons sans aucun doute à une époque où la tentation de s’en sortir sans Dieu est devenue très grande. Notre culture delatechnique et du bien-être repose sur la conviction que, finalement, tout estfaisable. Naturellement, quand nous pensons ainsi, la vie se limite à ce que nous pouvons faire et produire et prouver. La question de Dieu devient superflue ».

Peter Seewald : «  Depuis lors, il y a eu beaucoup d’essais pour construire des éthiques sans Dieu ».

Cardinal Ratzinger : «  Bien sûr. On compte rechercher par là ce qui sensé convenir le mieux à l’humanité. Par ailleurs, on tente de faire de l’accomplissement intérieur de l’homme, du bonheur, un produit constructible. Ou encore, on cherche refuge dans des formes de religionsapparemment sans foi, des propositions ésotériques, qui ne sont généralement que des techniques pour être heureux ».

La crise de civilisation actuelle, notamment occidentale, semblerait donc provenir principalement de l’abandon de cette orientation vers la transcendance et d’une vision purement subjectiviste et matérialiste de l’homme. D’après la doctrine sociale de l’Église, dans une société essentiellement consumériste où tout s’achète et tout se vend, libéralisme et collectivisme seraient responsables à part égale de cette vision réductrice de l’être humain.

Le Conseil permanent de la Conférence des évêques de France l’exprimait  dans sa déclaration du 19/02/2004 concernant les élections de 2004 :

… Ces élections engagent notre citoyenneté et nous appellent à remplir notre devoir électoral, en refusant l’indifférence et l’abstention… Une véritable politique locale, régionale et européenne ne saurait ignorer la désespérance de beaucoup de nos contemporains face à l’emploi des jeunes et aux conséquences humaines des restructurations industrielles incessantes… Il s’agit d’organiser la solidarité… L’avenir immédiat de notre société est en cause… Entre un protectionnisme jaloux de ses avantages et un libéralisme aveugle, ne faudrait-il pas favoriser une harmonisation des différents niveaux de pouvoir ?… Ne faudrait-il pas également promouvoir les subsidiarités indispensables à une vie équilibrée dans la justice et la solidarité ?… Nous sommes préoccupés par une tentation d’alignement culturel voire d’un alignement sans âme. Les perspectives éthiques et spirituelles risquent d’être neutralisées au nom des urgences du marché et du progrès économique. Or, l’aventure de la construction européenne a besoin aujourd’hui d’un projet porté par des valeurs fortes et généreuses…

L’Évangile du Christ a inspiré l’Église dans son éthique sociale… Le « développement durable » est un enjeu d’humanisation du devenir de notre société, tant sur le plan local qu’en ce qui concerne la solidarité à l’intérieur de l’Europe et de celle-ci dans l’ensemble du monde ».

Allant plus loin, le cardinal Joseph Ratzinger déclarait le  03/12/04 à l’occasion d’un congrès promu à Rome par les Salésiens :

« L’heure est grave car un laïcisme radical peut détruire l’humanisme en réduisant tout à un pur matérialisme, au commerce, à la « domination du marché », en se référant à une notion absolue de la liberté. Non seulement, ce laïcisme radical s’oppose à l’Église, mais surtout, il en travestit les enseignements. Il est, en outre, « anti-européen » et prétend faire commencer l’identité du continent avec les Lumières, en niant les autres racines historiques, culturelles et religieuses.

Mais en même temps, nous avons les attentes de tant de secteurs laïcs qui cherchent un dialogue pour aider à faire grandir une nouvelle identité européenne…Le concile Vatican II a déclaré que l’Église veut dialoguer avec le monde moderne et aujourd’hui, l’Église le veut encore plus ».

Pouvoirs spirituels et temporels prônent ainsi désormais un dialogue mutuel, se rejoignant dans un même constat sur les causes profondes de la crise qui frappe nos sociétés occidentales et plus largement le monde.

Plus que jamais, pour l’Église catholique, « experte en humanité », selon l’expression du pape Paul VI, comme pour l’ensemble des acteurs intervenant dans le champ social et humain, l’humanisation est devenue la priorité des divers mouvements, associations, partis politiques et défenseurs des droits de l’homme lesquels, depuis la Déclaration universelle de 1789, ont certes progressé globalement au niveau mondial, mais continuent néanmoins d’être encore largement bafoués dans nombre de pays.

L’ACAT, Association Chrétienne pour l’Abolition de la Torture, déclarait dans un message au sujet des élections présidentielles de 2002 :

« Nous luttons depuis des années pour que, chaque jour en France et dans le monde, la peine de mort soit abolie, la torture disparaisse, le droit d’asile soit respecté; pour que les valeurs de tolérance et de respect de l’autre progressent.

A nous de mettre à la première place la solidarité, l’acceptation de l’autre et de sa différence, le dialogue fraternel et le dialogue politique, autant au niveau national qu’international…

A nous de redonner l’espérance à ceux qui l’ont perdu, le désir de vivre ensemble à ceux qui l’ont oublié, le courage à ceux qui en sont dépourvus.

Proclamons plus haut et plus fort que la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme est « l’idéal commun à atteindre par tous les peuples et toutes les nations ».

Renouvelons notre confiance, notre « foi dans les droits fondamentaux de l’homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine ».

Vivons pleinement le message d’amour de l’Évangile : « … j’étais étranger, et vous m’avez recueilli; j’étais nu, et vous m’avez vêtu; j’étais malade, et vous m’avez visité ; j’étais en prison, et vous êtes venus vers moi » (Matthieu 25, 35-36).

Tous ensemble, luttons pour que les droits de l’homme soient un des fondements premiers de notre société. Parce qu’aujourd’hui, nous avons besoin d’égalité et de justice, plus que jamais ! »

Dans cet esprit, notre étude voudrait participer à ce mouvement de réflexion sur les moyens d’humaniser toujours plus notre société, en s’attachant en particulier à la situation des détenus qui en sont partie prenante et reflètent son niveau d’humanité. L’une des missions essentielles du Conseiller d’Insertion et de Probation étant l’aide à la réinsertion sociale des personnes incarcérées, ce travail de recherche voudrait s’attacher à montrer si la dimension spirituelle peut favoriser ou non cette démarche de réinsertion.

« …nos problèmes humains fondamentaux n’ont pas changé ; nous sommes toujours, sinon plus encore, confrontés à la même souffrance, à la même peur et à la même tension. Il n’est que logique d’essayer de trouver un équilibre entre le développement matériel et le développement de valeurs spirituelles ».

Ne pourrait-on pas appliquer ces mots du dalaï lama à la condition desdétenus qui semblent toujours éprouver les mêmes sentiments et les mêmes émotions de « souffrance, de peur et de tension» face à l’emprisonnement et à l’épreuve carcérale, malgré l’évolution du sens de la peine et les progrès matériels réalisés pour améliorer leurs conditions de détention ?

La spiritualité n’y aurait-elle pas un rôle à jouer en apportant un peu plus d’humanité et d’espoir aux personnes qui en sont souvent privées ?

Là aussi, l’équilibre entre développement matériel et spirituel ne serait-il pas nécessaire pour que l’Homme soit davantage considéré dans sa globalité, y compris dans son besoin naturel de transcendance qui est l’une de ses aspirations les plus profondes et l’un de ses droits les plus fondamentaux ?

1 INTRODUCTION

1.1 CHOIX DU THÈME DE RECHERCHE

Le thème retenu pour mon projet professionnel est celui de la religion en milieu carcéral.

Plusieurs raisons m’ont incité à choisir ce sujet :

La croyance religieuse est l’un des besoins les plus profonds de l’être humain qui le distingue des autres êtres vivants et que l’on retrouve dans toutes les civilisations, de même que la liberté de pratiquer la religion de son choix est l’un des droits les plus fondamentaux de l’Homme.

Le phénomène religieux est un sujet particulièrement d’actualité qui influence fortement l’avenir de la planète et de la paix entre les peuples.

Le retour de la spiritualité apparaît comme une réponse à un monde de plus en plus matérialiste où l’être humain est subordonné aux impératifs économiques dans une logique de rentabilité et de profits.

Le renouveau de la religion intervient dans une société en crise où les individus recherchent des repères et le retour à des valeurs traditionnelles.

Sur un plan plus personnel, la quête de sens et la dimension spirituelle de l’homme ont orienté mon parcours professionnel vers la relation d’aide aux plus défavorisés, après une première expérience professionnelle dans le domaine bancaire.

Par ailleurs, la découverte d’images pieuses et d’objets de piété dans de nombreuses cellules de détenus hommes et femmes m’a interrogé, en laissant supposer une vie spirituelle et la croyance en certaines valeurs, dans un milieu carcéral où les personnes sont sensées avoir eu des comportements répréhensibles tant sur le plan légal que moral.

Certains cas « célèbres » de conversions de détenus, comme celles de Jacques Fesch, d’André Levet ou de Jackie Van Thuyne qui disent avoir rencontré Dieu en prison, m’ont intrigué et m’ont donné envie de mieux comprendre ce qui s’était passé et ce qui peut se passer encore actuellement pour les personnes incarcérées.

Enfin, le thème de la religion en milieu carcéral a été peu abordé jusqu’à maintenant dans les travaux de recherche des promotions précédentes de Conseillers d’Insertion et de Probation ; il semble pourtant que ce sujet soit particulièrement intéressant à étudier, même s’il paraît peu « médiatique », peut-être du fait d’une certaine discrétion des intervenants cultuels en détention et du caractère très personnel et confidentiel de la spiritualité. Pourtant, ce phénomène semble toucher plus de monde qu’on pourrait le croire et avoir des impacts profonds sur un certain nombre de détenus, d’après les témoignages recueillis.

1.2 QUESTION DE DÉPART, PROBLÉMATIQUE ET HYPOTHÈSES

Les différents motifs évoqués pour le choix du thème de travail m’ont conduit à me poser un certain nombre de questions dont la synthèse a déterminé la question de départ de ma recherche ainsi que la problématique et ses hypothèses :

Ce phénomène de la spiritualité en prison correspond-il au mouvement général du retour du religieux dans la société tout entière ?

Quel sens représente pour les personnes incarcérées cette religiosité apparente ?

Certains détenus ont-ils découvert (ou redécouvert) Dieu en prison ? en quoi l’enfermement peut-il favoriser cette expérience spirituelle et en quoi cela a-t-il changé quelque chose pour eux ? L’incarcération est-elle l’occasion d’une réflexion sur soi-même, d’un changement de comportement, d’une recherche de sens et d’une revalorisation de l’image que les détenus ont d’eux-mêmes ?

La religion peut-elle les aider à retrouver une paix intérieure en leur permettant de se réconcilier avec eux-mêmes, avec leur entourage ou même avec leur(s) victime(s) ? Les aide-t-elle à découvrir leur dignité d’homme ou de femme, capables de réussite dans une vie souvent marquée par les échecs multiples ?

En quoi la croyance et la pratique religieuses peuvent-elles être une aide pour mieux supporter le « choc carcéral» ? Cela représente-t-il  une démarche sincère et durable ou  un moyen ponctuel et provisoire pour mieux supporter les difficultés et les souffrances qui en résultent ?

La religion, (dont le sens étymologique signifie : relier), qui est une relation personnelle à Dieu ou à toute entité surnaturelle, mais qui se pratique en communauté ou en église, peut-elle favoriser l’ouverture à l’autre, le respect des différences et la resocialisation de l’individu ?

Enfin, la religion peut-elle permettre au détenu privé de liberté de retrouver une autre forme de liberté par une certaine libération intérieure, gage de l’autonomie et de la véritable humanité ?

J’ai résumé ces diverses interrogations en une question unique, point de départ de mon travail de recherche :

La religion peut-elle aider à mieux vivre l’incarcération des détenus et à préparer leur réinsertion dans la société ?

Cette question de départ m’a permis de définir la problématique que je souhaitais étudier :

Pourquoi et en quoi le fait de croire et/ou de pratiquer une religion peut-il aider un détenu à mieux supporter et surmonter l’épreuve de l’incarcération ? Cela peut-il favoriser la préparation de sa sortie et sa réinsertion sociale ?

Les hypothèses suivantes ont été dégagées :

La religion aide l’individu à donner du sens à ce qu’il vit en répondant à son besoin naturel de transcendance.

La religion aide la personne à trouver dignité et considération, vis-à-vis d’elle-même et des autres.

La religion conduit à la recherche de vérité et à une libération intérieure.

La religion favorise la construction de l’identité de la personne grâce à des repères moraux qui lui permettent de distinguer le Bien du Mal, fondement des interdits et des lois sociales.

La religion, facteur de développement personnel, ouvre à autrui pour créer du lien social et favoriser l’intégration de la personne.

1.3 RÉSULTAT DE LA PHASE EXPLORATOIRE ET CHOIX DU TYPE DE PROJET PROFESSIONNEL

L’objet de la phase exploratoire est d’étudier la faisabilité du projet de recherche, compte tenu des motivations initiales, de l’intérêt du sujet au regard de la formation professionnelle et des besoins locaux des établissements pénitentiaires ou des Services Pénitentiaires d’Insertion et de Probation (SPIP), de l’environnement du terrain d’étude et des ressources disponibles. Le résultat de cette phase doit ainsi permettre de déterminer le type de projet à réaliser, soit un mémoire, soit une action professionnelle.

Les démarches entreprises ont donc consisté à faire le bilan des ressources disponibles, tant sur le plan de la documentation, écrite ou audio-visuelle, que des moyens matériels et humains.

En ce qui concerne les écrits, j’ai pu réunir un ensemble de textes, d’ouvrages et de documents obtenus, soit à la médiathèque de l’ENAP, soit en exploitant le réseau Internet, soit encore en utilisant mes ressources personnelles ou les possibilités du commerce.

Pour ce qui est des moyens, j’ai réalisé divers entretiens exploratoires :

J’ai rencontré le directeur adjoint de la maison d’arrêt de Nice pour l’informer de mon thème de recherche et lui demander l’autorisation de rencontrer des représentants du culte et des détenus.

J’ai pris contact avec l’aumônier catholique de la maison d’arrêt qui est également le responsable régional des aumôniers de prison. Nous avons réfléchi aux possibilités d’actions envisageables en détention. Il m’a indiqué quelques personnes ressources dont certaines seraient susceptibles de convenir pour pouvoir diriger mon travail.

J’ai fait le point avec l’adjointe avec la DSPIP de Nice, responsable également de l’antenne du SPIP intervenant à la maison d’arrêt, sur les projets qui pourraient être intéressants en fonction des besoins et des spécificités locales.

J’ai pu également échanger avec les différents travailleurs sociaux, tant du milieu ouvert que du milieu fermé, pour connaître leur point de vue sur la question et bénéficier de leur avis et de leurs conseils.

J’ai profité, enfin, de l’accompagnement des deux référents mis à notre disposition par l’ENAP qui m’ont aidé à définir de façon plus précise le champ d’étude ainsi que les différentes étapes de l’élaboration de mon projet professionnel.

Compte tenu de tous ces éléments, et principalement du fait qu’une action touchant le thème de la religion en détention apparaisse comme un sujet sensible dans un contexte d’actualité brûlante, en raison également d’expériences malheureuses passées et donc de la réticence de la Direction de la maison d’arrêt à faire intervenir des personnes extérieures ou à réaliser une action dans ce domaine, j’ai choisi de me consacrer à un travail de mémoire, disposant de ressources suffisantes et variées en terme de documentation. Je comptais m’appuyer, par ailleurs, sur la réalisation et l’exploitation d’entretiens individuels avec des détenus et des représentants cultuels.

1.4 PRÉSENTATION  DU THÈME DE RECHERCHE

«  La religion, c’est la théorie générale de ce monde » (Marx, Critique Philosophique du droit de Hegel).

a religion a inspiré toutes les civilisations, même les plus primitives, et les traces en sont nombreuses : peintures rupestres, figurines animales, statuettes féminines et masculines, dolmens et menhirs… Une émission intitulée Les religions de la préhistoire parue le 11/12/2004 à la télévision, faisait le point sur les recherches des préhistoriens et sur les découvertes archéologiques récentes, attestant du besoin naturel de l’homme, «cet animal religieux», d’expliquer le monde et de trouver un sens à sa vie[27].

L’histoire de l’humanité est inséparable de l’histoire des religions. De tous temps, l’être humain a éprouvé la nécessité de croire. Des religions polythéistes ou animistes antiques, l’on est passé, avec la Révélation Biblique, à l’influence et à la prépondérance, actuellement dans le monde, des trois grandes religions du Livre se référant à la Bible[28], à savoir l’islam, le judaïsme et le christianisme[29]. Elles se distinguent essentiellement des autres grandes religions ou courants de pensée tels que le bouddhisme ou l’hindouisme par le fait de croire en un Dieu unique, vivant et personnel. Dieu aurait créé l’Homme à son image et à sa ressemblance, fondant ainsi son inaliénable dignité, quels que soient sa race, sa couleur de peau, sa nationalité, son sexe, son âge ou sa condition sociale.

La société française, et occidentale en général, résulte de cette civilisation judéo-chrétienne[30] qui a marqué notre histoire commune, nos mentalités, nos références, nos lois et nos modes de vie.

Les relations entre la société et le monde pénitentiaire n’ont pas échappé à cette influence. La religion catholique, notamment, et les œuvres caritatives en particulier avec St Vincent de Paul, premier aumônier de prison, qui en est la figure emblématique, se sont toujours intéressés aux prisonniers. Elles ont même joué un rôle prépondérant dans le secours aux assistés et le réconfort moral et spirituel des détenus, en particulier pendant l’Ancien Régime et jusqu’aux lois de séparation de l’Église et de l’État.

Actuellement, dans un État laïc et républicain, le droit de pratiquer sa religion est toujours reconnu aux personnes incarcérées. Un représentant cultuel de chaque religion présente en détention peut intervenir en établissement pénitentiaire.

Au niveau européen et international, le respect de la croyance religieuse constitue également l’un des principes fondamentaux reconnus aux personnes incarcérées.

Si le bénévolat et les œuvres de charité se sont professionnalisés, incarnés aujourd’hui par les travailleurs sociaux de l’administration pénitentiaire, dénommés depuis la réforme de 1999, Conseillers d’Insertion et de Probation, l’assistance spirituelle demeure.

Quel sens peut-elle représenter pour les détenus qui doivent toujours surmonter le «choc carcéral» ? Quelle place pour la religion face à l’inhumanité des conditions de détention liées à la surpopulation carcérale et à la vétusté des installations, à la rupture des liens familiaux, à la solitude, à l’absence d’intimité ou aux rivalités et aux conflits internes ?

Cette présence spirituelle des intervenants cultuels, tout comme la foi ou la croyance religieuse qu’ils représentent, peut-elle être une aide réelle pour les personnes incarcérées ?

Certains détenus ont-ils pu découvrir Dieu en prison ou, pour d’autres, renouer contact avec la foi de leur enfance, mise de côté par la suite à cause des soucis du monde et d’une trajectoire souvent asociale et/ou amorale, en tous les cas délictuelle ?

La participation aux activités religieuses proposées à l’intérieur des établissements modifie-t-elle leur façon de voir les choses et les êtres, leur conception du monde et de la société, leurs pensées, leurs sentiments, leur comportement ?

La religion les aide-t-elle à évoluer en réfléchissant sur le sens et la portée de leurs actes, de leurs responsabilités, personnelles, familiales ou sociales ? Peut-elle leur permettre de retrouver une place dans la société, en retrouvant d’abord dignité et respect, pardon et réconciliation, confiance et espoir, en eux-mêmes, en l’Homme et en l’avenir ?

Finalement, ne pourrait-on dire, et ne serait-ce pas là son message essentiel, que la religion apporte la libération à défaut de la liberté ?

Être libre intérieurement n’est-il pas plus important, en fin de compte, qu’être libre physiquement mais avec des barreaux dans la tête, esclave et prisonnier de multiples liens de tous ordres, psychologiques, moraux, affectifs, culturels, idéologiques, selon la parole du Christ, «la Vérité vous rendra libres» ?…

En définitive, l’ensemble des ressources et des énergies humaines ne doivent-elles pas concourir à cet ultime but, la libération de l’Homme, afin qu’il tende vers toujours plus «de liberté, d’égalité et de fraternité » ?

2 RELIGION ET DÉTENTION

« L’un des malfaiteurs suspendus à la croix l’injuriait : « n’es-tu pas le Messie ? Sauve-toi toi-même, et nous avec ! » Mais l’autre lui fit de vifs reproches : « Tu n’as donc aucune crainte de Dieu ! Tu es pourtant un condamné toi aussi ! Et puis, pour nous, c’est juste : après ce que nous avons fait, nous avons ce que nous méritons. Mais lui, il n’a rien fait de mal. » Et il disait : « Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras inaugurer ton Règne. » Jésus lui répondit : «  Amen, je te le déclare : aujourd’hui avec moi, tu seras dans le Paradis. » (St Luc 23, 39-43)

 » J’étais étranger et vous m’avez accueilli, nu et vous m’avez vêtu, malade et vous m’avez visité, prisonnier et vous êtes venus me voir  » (Mt 25, 35-36)

« Ne vous occupez pas des prisonniers  si vous ne consentez pas à être leurs sujets et leurs élèves. Ceux que nous appelons des misérables, ce sont eux qui nous doivent évangéliser et convertir. Après Dieu, c’est à eux que je dois le plus. » (St Vincent de Paul)

2.1 LE CONCEPT DE RELIGION

« L’effort pour réduire chaque religion à son concept apparaîtra caricature face à la richesse infinie des représentations et des subtilités logiques de chacune d’entre elles. Il ne s’agit pas tant d’en dire la vérité que de formuler ce que chacune représente dans sa différenciation, son apparition dans l’histoire, sarupture essentielle logique et pratique. » Histoire des religions, EncyclopédieMomes.net

Le concept de religion recouvre de multiples significations et de très nombreuses définitions en ont été données.

Le dictionnaire Trésor de la langue française en fournit une qui comprend plusieurs sens :

Rapport de l’homme à l’ordre du divin ou d’une réalité supérieure, tendant à se concrétiser sous la forme de systèmes de dogmes oude croyances, de pratiques rituelles et morales.             « Le mot religion, chez les anciens, ne signifiait pas ce qu’il signifie pour nous ; sous ce mot, nous entendons un corps de dogmes, une doctrine sur Dieu, un symbole de foi sur les mystères qui sont en nous et autour de nous ; ce même mot, pour eux, signifiait rites, cérémonies, actes de culte extérieur. La doctrine était peu de chose ; c’étaient les pratiques qui étaient l’important ; c’étaient elles qui étaient obligatoires et quiliaientl’homme (lier, du latin ligare, religio), Fustel de Coul., Cité antique, 1864, p.210.

Forme particulière que revêt pour un individu ou une collectivité cette relation de l’homme au divin ou à une réalité supérieure :

Ensemble des croyances relatives à un ordre surnaturel, des règles de vie, éventuellement des pratiques rituelles, propres à une communauté ainsi déterminée et constituant une institution sociale plus ou moins fortement organisée.

Divers auteurs ont défini également un concept de religion dans un sens proche :

Emile Durkheim, l’un des pères fondateurs de la sociologie des religions, considère la religion comme « un ensemble solidaire de croyances et de pratiques relatives à des choses sacrées, c’est-à-dire séparées, interdites, croyances et pratiques qui unissent en une même communauté morale appelée Eglise ceux qui y adhèrent. »

L’allemand Hans Küng, autre sociologue des religions, définit celle-ci comme « une relation réalisée au niveau social-individuel destinée à exprimer de façon vivante, dans une tradition et une communauté, une relation à quelque chose qui dépasse ou englobe l’homme, à une réalité vraie, ultime, quelque soit la façon dont on la conçoit (l’absolu, Dieu, le Nirvâna…). A la différence de la philosophie[31], il en va dans la religion et d’un message de salut et d’une voie de salut. Elle est un modèle fondamental individuel-social englobant les hommes et le monde, à travers lequel l’homme voit et vit tout, pense et ressent tout, agit et souffre : un système de coordonnées fondé sur la transcendance et se déployant dans l’immanence, grâce auquel l’homme s’oriente intellectuellement, émotionnellement, existentiellement. La religion fournit un sens de vie englobant[32], elle garantit les plus hautes valeurs et les normes inconditionnelles, ellecrée une communauté et une patrie spirituelles. »

Jean-Pierre Vernant, historien des religions, répond quant à lui à la question : « Mais, au fait, qu’est-ce que la religion ? » dans son livre « Lereligieux dans le politique[33]» déjà cité :

« De quoi parle-t-on quand on utilise ce terme, « religion » ?

Du domaine du religieux, c’est-à-dire d’un espace social, intellectuel et personnel distinct du reste de la vie collective. Aujourd’hui, on ne peut pas parler de religion sans supposer une Église ou tout au moins une institution particulière. On implique aussi, par ce terme, un ensemble de rites, de conduites codifiées. Sans oublier un corps de croyances, qui prennent une forme particulière, enracinées qu’elles sont dans une révélation, se référant à un Livre qui détient un statut de vérité. C’est dire que le domaine du religieux possède une identité bien définie, différente des autres types de pratiques sociales, même si ce domaine n’a pas cessé (et continue d’ailleurs), de se modifier sous nos yeux.

A la différence de nos sociétés occidentales, où chez beaucoup de croyants la religion est vécue  comme relevant du domaine personnel et privé, on peut dire qu’en Grèce le religieux est partout, c’est-à-dire nulle part. Pour les religions du Livre, les monothéismes reposent sur des Églises organisées, la séparation est nette entre Dieu et le monde, entre un être absolument transcendant et le monde où nous vivons.

De même qu’entre le sacré et le profane. De même enfin qu’il existe une ligne de démarcation nettement tracée entre croyance et incroyance. Mais c’est précisément parce qu’il existe un credo, un dogme, que quelqu’un peut affirmer : « Je suis un incroyant ». Autrement dit, l’engagement religieux dans cet espace qui nous est le plus familier est lié à des certitudes élaborées tout au long d’un travail de réflexion théologique, il repose sur l’adhésion de l’intelligence à un certain type de discours concernant le divin et ses rapports avec l’homme.

Rien de tel en Grèce. On peut même dire que, pour les Grecs, il n’existe pas de religion, mais des cultes. D’ailleurs, les termes employés pour en parler (nomizein, therapeuein) signifient soit « suivre la coutume », soit «  servir les dieux », entendez par là : leur rendre un culte, leur rendre les honneurs qui leur sont dus. On peut même dire, sans que cela soit paradoxal, qu’en Grèce il n’est pas nécessaire de « croire ».

Dans ce type de culte (je ne dis pas de « religion »), de relation avec la divinité, de gestion du sacré, l’attitude intellectuelle, même lorsqu’elle est hypercritique, n’atteint pas de plein fouet le domaine religieux. Parce que, à la différence de ce qui se passe dans notre monde, le noyau religieux chez les Grecs est ailleurs. Tandis que chez nous, on peut en effet dire de quelqu’un : « c’est un incroyant », signifiant par là que la personne en question est hors de l’Eglise et imperméable à la foi.

Les Grecs vivent en effet dans un univers où le religieux est injecté partout, c’est-à-dire dans un univers où le rapport avec le divin existe à tous les échelons de la vie, depuis l’acte le plus prosaïque jusqu’aux cérémonies les plus solennelles. Tout ce qui concerne la vie privée, tout ce qui concerne la vie publique est impliqué dans du religieux, c’est-à-dire dans quelque chose qui dépasse ce qui est en jeu dans tel ou tel acte particulier de la vie.

Il fut un temps où l’Église catholique prétendait elle aussi régenter l’ensemble de la vie sociale et intellectuelle.

D’une manière générale, il est évident que le religieux imprègne l’ensemble de la vie sociale, la manière dont les gens ont le sentiment d’exister, dont ils conçoivent leurs rapports avec leurs enfants, leurs petits-enfants, la manière dont ils parlent. D’où le rapport très étroit entre, d’une part, l’identité personnelle, la cohésion sociale, l’idée d’une communauté et, d’autre part, ce religieux qui peut prendre des formes très diverses.

Toute vie sociale implique une ritualisation des pratiques. S’il en va de même dans le domaine religieux, celui-ci comprend, en plus, ce qu’on appelle la transcendance. Et l’accès à cette transcendance ne peut se faire que par une cassure, par le saut qu’exige le passage de l’imparfait au parfait, du relatif à l’absolu, du fini à l’infini. Et c’est bien là que réside la seule preuve de l’existence de Dieu qui possède une certaine consistance : entre le fini et l’infini, il n’y a tout simplement pas de commune mesure.

Le religieux est le domaine qui fait, de cette transcendance de tous les systèmes de signes humains par rapport à ce qu’ils signifient, un objet qui est le divin, conçu comme le transcendant à l’état pur. L’être humain a à sa disposition un ensemble de constructions mentales à travers lesquelles il appréhende le monde extérieur et se fabrique la vision qu’il a de ce monde. C’est cette pensée symbolique qui fait que l’être humain est le seul être vivant qui construise un monde intermédiaire entre lui et la nature, entre lui et les autres, entre lui et lui-même.

Cette transcendance du divin prend des formes très diverses suivant les religions. Le religieux peut revêtir bien des aspects, en dehors ou à côté de cette quête d’absolu : conformisme social, besoin d’un retour vers ses racines, désir de communiquer avec autrui, de savoir qui l’on est ; il est aussi, dans certains cas, un moyen de défense contre tout ce qui aliène ou opprime. C’est ainsi qu’en Pologne, le maintien de l’Église comme institution indépendante du pouvoir a empêché ce pouvoir d’appliquer un totalitarisme absolu et d’exercer un contrôle sur l’ensemble de la vie sociale. Lorsque la façon même dont une collectivité pense son existence est mise en question, nationalisme et résurgence du religieux marchent souvent de pair. Face à une oppression qu’ils subissaient comme étrangère, d’autant plus qu’elle leur était imposée par des non-catholiques, les Polonais ont fait  de l’Église le noyau de la continuité nationale. La  transcendance  est alors la seule garantie de liberté pour l’individu dans la mesure où, s’enracinant dans une notion non objectivée, elle permet du même coup à cet individu de trouver en lui-même de quoi remettre en question toutes les limitations, toutes les oppressions qu’il peut avoir à subir. Vu de cette manière, le religieux a en effet joué (et pourra peut-être encore jouer) un rôle indéniable : celui de garantir au mieux la liberté et d’offrir les meilleurs fondements de résistance au totalitarisme.

J’ai connu en Union soviétique un homme, Panine, qui était le héros de Soljenitsyne avant qu’ils ne se brouillent. Au cours des conversations que j’ai pu avoir avec lui, j’ai compris que c’était aussi la religion qui avait permis à tant de gens de supporter l’épreuve des camps. Incroyant à l’origine, Panine est devenu chrétien au camp. C’est cette conversion qui l’a, à la fois, maintenu en vie et rendu inentamable, dans un système – le système totalitaire – qui est tout autre chose qu’une dictature et que caractérise le fait qu’il y est impossible à l’individu de penser certaines choses. Dans un système totalitaire en effet, on adhère à sa peur, on devient lisse, sans plus aucun endroit à quoi l’on puisse s’accrocher et d’où l’on soit en mesure de refuser. C’est dans un tel système que la transcendance peut devenir un moyen de refuser tout ce qui est de l’ordre du donné, donné social, donné de pouvoir ».

N’y aurait-il pas là certaines similitudes entre les conditions d’enfermement dans les camps et les conditions d’incarcération actuelles des détenus français ? La transcendance n’y pourrait-elle pas jouer le même rôle ?…

« Autre problème posé par le retour du religieux, même s’il combat le totalitarisme : la manière dont il s’accompagne d’un phénomène d’excessivecrédulité.

Ce phénomène du religieux est cependant loin d’être simple, constant, uniforme. La façon dont je viens de le définir est si générale qu’elle ne nous fait pas plus connaître  les religions qu’une définition du langage ne nous renseigne sur la diversité des langues… ».

De ce concept de religion qui demeure trop général, et donc trop vaste à étudier, il apparaît ainsi nécessaire de délimiter de façon plus précise notre champ d’étude, s’agissant de la religion pratiquée en un lieu et dans un temps donné, à savoir le milieu carcéral français en 2004.

2.2 DÉLIMITATION DU CHAMP D’ÉTUDE A LA RELIGION CATHOLIQUE

Frédéric Hankus[34] écrit dans son étude sur « La religion catholique en prison », à propos de la définition de la religion d’Hans Küng citée précédemment,  que « celle-ci aborde en quelques lignes les nombreux aspects de la religion et permet une certaine universalité, c’est-à-dire la possibilité de l’appliquer au fait religieux en général, qu’il soit chrétien, bouddhiste oumusulman[35]… »

Selon lui, on pourrait donc appliquer cette définition universelle de la religion aussi bien au christianisme qu’au bouddhisme ou à l’islam, religions toutes trois représentatives du fait religieux en général.

Ainsi, pour des raisons pratiques en terme de ressources, sur le plan humain ou matériel, et pour me consacrer à une étude la plus approfondie possible sur le sujet, il m’a paru plus opportun et cohérent de cibler mon thème sur le christianisme et la religion catholique en particulier, sachant que ce qui serait étudié concernant cette religion vaudrait pour toutes les autres, comme nous venons de le montrer. Ce qui n’empêcherait pas, si nécessaire, d’évoquer d’autres courants de pensée religieux représentés dans les établissements pénitentiaires.

Par ailleurs, outre son caractère universel représentatif du fait religieux en général, le catholicisme demeure la religion majoritaire en France. Il a contribué au fondement de l’État-nation que représente la France, appelée traditionnellement « Fille aînée de l’Église», en raison du baptême de Clovis à Reims, en 506, Clovis étant le premier roi barbare à avoir embrassé le christianisme.

C’est ce que confirment Charles Debbasch et Jean-Marie Pontier, dans leur ouvrage déjà cité : «quatre grandes religions sont représentées en France à notre époque. Il s’agit d’abord du catholicisme, qui est la religion de la majorité des Français. Le catholicisme a à ce point partie liée avec l’histoire de France quelorsqu’on parle de religion, c’est souvent du catholicisme qu’ils’agit… »

Ils poursuivent plus loin : « Comme la religion catholique est la religion du plus grand nombre, et que la France a été marquée, dans son histoire, par le catholicisme, certaines des observations faites à propos de ce dernier peuvent valoir pour les autres religions chrétiennes, voire pour les religions non chrétiennes».

Pour ces différentes raisons, nous limiterons donc notre recherche au phénomène de la seulereligion catholique en détention.

2.3 PRÉSENTATION DE LA RELIGION CATHOLIQUE

Cette présentation s’avère nécessaire si l’on veut étudier et comprendre l’influence éventuelle de cette religion pour les détenus et comment son message peut toucher certains d’entre eux au point de changer de comportement et même parfois de vie. Il paraît donc important de connaître le contenu de ce message et les caractéristiques essentielles du catholicisme.

« S’il était possible de faire une statistique des livres, on se rendrait compte qu’aucun sujet n’a plus préoccupé les hommes que la religion chrétienne, etplus spécialement catholique », Histoire du catholicisme, PUF, 1990.

«  A mon sens, le christianisme est avant tout religieux, et la religion n’est pas une méthode : elle est une vie, une vie supérieure et surnaturelle, mystique par sa racine et pratique par ses fruits, une communion avec Dieu, un enthousiasme profond et calme, un amour qui rayonne, une force qui agit, unefélicité qui s’épanche, bref, la religion est un état de l’âme », Journal, Amiel, 1866, p. 270.

Le christianisme tire son origine du Christ. Trois religions se référent à Lui : le catholicisme, le protestantisme et la religion orthodoxe. Au départ tous trois unis, les protestants et les orthodoxes se sont séparés des catholiques romains au cours du temps, suite à des points de divergence dogmatiques et doctrinaux.

« Pour le théologien catholique, L’Église est une société à la fois divine et humaine, le « corps mystique du Christ », c’est-à-dire « le prolongement immortel du Sauveur dans le temps ». Autrement dit, l’Église est à la fois invisible et visible. Divine, elle est « sans tache, sans ride, sainte et immaculée[36] ». Humaine, elle est composée d’une petite minorité de saints, et d’une masse immense de tièdes et de pécheurs.

Le terme « catholique » peut être pris en deux sens principaux. D’une part, étymologiquement, il signifie universel. Il est alors l’un des attributs que les théologiens accordent à l’Église. D’autre part, il permet de distinguer, dans la foule des chrétiens, ceux qui se considèrent comme membres de cette Eglise dont le chef est l’évêque de Rome, le pape. C’est ainsi que l’on oppose le catholicisme au protestantisme, à l’orthodoxie orientale, aux sectes coptes, arménienne, etc.

Le terme fait son apparition dans une lettre de St Ignace martyr (mort en 107) à l’église de Smyrne : « Ubi Christus, ibi catholica ecclesia ». « Là où est le Christ, là est l’Église catholique[37] ».

La première définition de cette « catholicité » est donnée à la fin du IIe siècle par St Cyrille de Jérusalem qui déclare dans sa catéchèse :

Elle est appelée catholique parce qu’elle est répandue à travers le monde entier d’une extrémité à l’autre de la terre ; parce qu’elle enseigne universellement et sans exception tous les dogmes qui doivent venir à la connaissance des hommes ; et encore parce qu’elle soumet au véritable culte le genre humain tout entier, princes et simples particuliers, savants et ignorants[38].

L’Église catholique, se distinguant nettement en cela du Protestantisme libéral, enseigne une doctrine.

Pour elle, l’Écriture sainte n’est que l’un des fondements de la connaissance religieuse. L’essentiel est la Tradition, ensemble de vérités explicitement incluses ou non dans la Bible, mais enseignées par l’autorité de l’Église. L’Écriture sainte n’est pour ainsi dire que le premier chaînon de la tradition, le plus important évidemment. Pour le catholique, pas de « libre examen » des textes sacrés, comme pour la plupart des protestants ; l’Église en dégage une interprétation officielle, à tel point que seules les éditions de la Bible annotées et approuvées par la hiérarchie sont accessibles en droit aux fidèles. Pour la catholique, le livre qui fait foi, ce n’est pas tant la Bible, texte souvent obscur et susceptible d’être interprété de façons fort différentes, que le catéchisme, qui est un résumé concis et didactique de la Tradition », Histoire du catholicisme, op. cit.

Pour présenter les caractéristiques du catholicisme qui a inspiré et continue d’influencer notre histoire, notre culture et notre identité, le mieux est donc de consulter les textes mêmes du Catéchisme de l’Église Catholique dont une mouture récente a été rédigée récemment sous l’impulsion de Jean-Paul II, dés le début de son pontificat. Il synthétise le message essentiel de cette religion en définissant les dogmes et vérités révélées, objets de la foi des croyants.

Prologue du Catéchisme de l’Église catholique :

« Père, (…) la vie éternelle, c’est qu’ils Te connaissent, Toi, le seul véritable Dieu, et Ton envoyé, Jésus-Christ » (Jn 17, 3).

« Dieu notre Sauveur (…) veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité » (1 Tm 2, 3-4).

«  Il n’y a sous le ciel d’autre nom donné aux hommes, par lequel il nous faille être sauvés » (Act 4, 12) que le nom de JÉSUS.

La vie de l’homme : connaître et aimer Dieu

Dieu, infiniment Parfait et Bienheureux en Lui-même, dans un dessein de pure bonté, a librement créé l’homme pour le faire participer à sa vie bienheureuse. C’est pourquoi, de tout temps et en tout lieu, Il se fait proche de l’homme. Il l’appelle, l’aide à Le chercher, à Le connaître et à L’aimer de toutes ses forces. Il convoque tous les hommes que le péché a dispersés dans l’unité de sa famille, l’Église. Pour ce faire, Il a envoyé son Fils comme Rédempteur et Sauveur lorsque les temps furent accomplis. En Lui et par Lui, Il appelle les hommes à devenir, dans l’Esprit Saint, ses enfants d’adoption, et donc les héritiers de sa vie bienheureuse.

Pour que cet appel retentisse par toute la terre, le Christ a envoyé les apôtres qu’Il avait choisis en leur donnant mandat d’annoncer l’Évangile : «  Allez, de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, et leur apprenant à observer tout ce que je vous ai prescrit. Et moi, je suis avec vous pour toujours, jusqu’à la fin du monde » (Mt 28, 19-20). Forts de cette mission, les apôtres « s’en allèrent prêcher en tout lieu, le Seigneur agissant avec eux et confirmant la Parole par les signes qui l’accompagnaient » (Mc 16, 20).

Ceux qui à l’aide de Dieu ont accueilli l’appel du Christ et y ont librement répondu, ont été à leur tour pressés par l’amour du Christ d’annoncer partout dans le monde la Bonne Nouvelle. Ce trésor reçu des apôtres a été gardé fidèlement par leurs successeurs. Tous les fidèles du Christ sont appelés à letransmettre de génération en génération, en annonçant la foi, en la vivant dans le partage fraternel et en la célébrant dans la liturgie et la prière (cf. Act 2, 42).

Qu’est-ce que la foi ?

La foi est la réponse de l’homme à Dieu qui se révèle et se donne à lui, en apportant en même temps une lumière surabondante à l’homme en quête du sens ultime de sa vie. Nous considérons dès lors d’abord cette quête de l’homme, ensuite la Révélation divine, par laquelle Dieu vient au-devant de l’homme, enfin la réponse de la foi.

La quête de l’homme :

L’homme est par nature et par vocation un être religieux. Venant de Dieu, allant vers Dieu, l’homme ne vit une vie pleinement humaine que s’il vit librement son lien avec Dieu.

L’homme est fait pour vivre en communion avec Dieu en qui il trouve son bonheur : « Quand tout entier je serai en Toi, il n’y aura plus jamais de chagrin et d’épreuve ; tout entière pleine de Toi, ma vie sera accomplie » (St Augustin, conf. 10, 28, 39).

Quand il écoute le message des créatures et la voix de sa conscience, l’homme peut atteindre la certitude de l’existence de Dieu, cause et fin de tout.

L’Église enseigne que le Dieu unique et véritable, notre Créateur et Seigneur, peut être connu avec certitude par ses œuvres grâce à la lumière naturelle de la raison humaine.

Les croyants se savent pressés par l’amour du Christ d’apporter la lumière du Dieu vivant à ceux qui l’ignorent ou le refusent.

La révélation divine :

Par amour, Dieu s’est révélé et s’est donné à l’homme. Il apporte ainsi une réponse définitive et surabondante aux questions que l’homme se pose sur le sens et le but de sa vie.

Au-delà du témoignage que Dieu donne de Lui-même dans les choses créées, Il s’est manifesté Lui-même à nos premiers parents. Il leur a parlé et, après la chute, leur a promis le salut (cf. Gen 3, 15) et leur a offert son alliance.

Dieu conclut avec Noé une alliance éternelle entre Lui et tous les êtres vivants (cf. Gen 9, 16). Elle durera tant que dure le monde.

Dieu a élu Abraham et a conclu une alliance avec lui et sa descendance. Il en a formé son peuple auquel il a révélé sa loi par Moïse. Il l’a préparé par les prophètes à accueillir le salut destiné à toute l’humanité.

Dieu s’est révélé pleinement en envoyant son propre Fils en qui Il a établi son Alliance pour toujours. Celui-ci est la Parole définitive du Père, de sorte qu’il n’y aura plus d’autre Révélation après Lui.

Ce que le Christ a confié aux apôtres, ceux-ci l’ont transmis par leur prédication et par écrit, sous l’inspiration de l’Esprit Saint, à toutes les générations, jusqu’au retour glorieux du Christ.

La charge d’interpréter authentiquement la Parole de Dieu a été confiée au seul Magistère de l’Église, au Pape et aux évêques en communion avec lui.

La réponse de la foi :

La foi est une adhésion personnelle de l’homme tout entier à dieu qui se révèle. Elle comporte une adhésion de l’intelligence et de la volonté à la Révélation que Dieu a faite de Lui-même par ses actions et ses paroles.

Nous ne devons croire en nul autre que Dieu, le Père, le Fils et le Saint-Esprit.

La foi est un don surnaturel de Dieu. Pour croire, l’homme a besoin des secours intérieurs du Saint-Esprit.

« Croire » est un acte humain, conscient et libre, qui correspond à la dignité de la personne humaine.

« Croire » est un acte ecclésial. La foi de l’Église précède, engendre, porte et nourrit notre foi. L’Église est la mère de tous les croyants.

La foi est nécessaire au salut. Le Seigneur lui-même l’affirme : « celui qui croira et sera baptisé, sera sauvé ; celui qui ne croira pas, sera condamné » (Mc 16, 16).

« La foi est un avant-goût de la connaissance qui nous rendra bienheureux dans la vie future » (St Thomas d’A., comp. 1, 2).

2.3 ORIGINE ET ÉVOLUTION DES RAPPORTS DE L’ÉGLISE ET DE L’ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE

On pourrait dire que l’origine des relations entre le christianisme et l’administration pénitentiaire remonte à l’aube des temps, au premier crime d’un homme contre son frère, au meurtre d’Abel par Caïn.

«  Dans ces deux paraboles du chapitre 15 de l’Évangile de Luc concernant une brebis et une drachme perdues, Jésus emploie la formule d’« être perdu »  pour désigner un pécheur. Un pécheur ressemble à une brebis perdue, à une drachme perdue, que le berger ou le propriétaire s’empresse de rechercher… Un pécheur, c’est un homme perdu.

Être perdu, autant dire être tombé, comme une pièce de monnaie tombée à terre, que personne ne voit, que personne ne remarque… Être perdu, être tombé : n’est-ce pas d’ailleurs la formule employée par les détenus pour évoquer un ami arrêté ? Il est tombé et même parfois, il est retombé…Homme tombé, homme pécheur, homme perdu.

Comme l’a dit un délinquant : il est perdu. Autant dire, il n’y a rien à en tirer. Pour lui, pas de salut, pas de deuxième, de troisième chance…ou plus, il est perdu. Son absence de repères sociaux, de repères moraux, voire de repères humains tout simplement, en font un être perdu pour la société des hommes. Alors,  il vaut mieux le mettre à l’écart, derrière de hauts murs et surveillé par des miradors ; il vaut mieux qu’il soit derrière des grilles, des portes…

Et puis, on peut être tellement perdu, s’être égaré tellement loin, que l’on ne peut revenir seul, que l’on a besoin d’un berger qui traverse le désert, pour aller à votre recherche. Et c’est ce que Dieu fait. Depuis l’aube des temps, le Seigneur Dieu ne se résigne pas au péché des hommes, ne se résigne pas à la perte d’un seul homme, fut-il Caïn meurtrier de son frère Abel. Dieu sans cesse est en quête de l’homme. Car c’est  Lui qui a perdu, c’est à Lui qu’il manque un bien, son bien le plus précieux, l’homme, même pécheur, créé à son image et à sa ressemblance. Cet homme qui est son effigie même défigurée, comme une pièce de monnaie porte l’effigie, même très effacée, de celui qui l’émet.

Alors, le Seigneur Dieu est sans cesse en quête de l’homme, de la victime comme du bourreau, de l’innocent comme du coupable. Dieu n’oublie ni l’un ni l’autre : « Où est ton frère Abel ? » La question concerne la victime, et elle s’adresse à son meurtrier. Car aller à la recherche du pécheur, aller à la recherche de Caïn, n’exclut pas de le confronter à la gravité de son péché, à l’horreur de son acte : « Écoute le sang de ton frère crier vers moi du sol ». Aller à la recherche du pécheur n’exclut pas non plus la sanction, et même « une peine lourde à porter » comme le dit Caïn.

Mais, par delà le sang répandu, le meurtrier et sa victime demeurent frères. Paradoxalement, Caïn le reconnaît lui-même : « Suis-je le gardien de mon frère ? » Question qui affirme et qui nie à la fois cette commune humanité qui demeure entre le bourreau et sa victime. Tragiquement, dés les origines, s’affirme cette commune fraternité des hommes entre eux : qui tue un homme, tue son frère. Mais qui a tué un homme reste mon frère…

Alors, il faut partir à la recherche de ce frère égaré, perdu, si éloigné de la commune humanité, comme le berger le fait, lui qui part à la recherche d’une seule brebis, en abandonnant les quatre vingt dix-neuf autres : au fond, est-ce bien raisonnable ?

Pourtant, Jésus nous y invite comme à une évidence ! Car les deux questions qui ouvrent chacune des deux paraboles entraînent forcément une réponse positive. Bien sûr, si nous étions bergers, nous laisserions le troupeau pour partir à la recherche de la brebis perdue, bien sûr si nous étions la ménagère, nous saisirions le balai pour trouver la pièce de monnaie perdue… Bien sûr…

Alors, forts de ce bien sûr, forts de cette évidence : Philippe, Didier, Marie-Louise et moi-même, l’équipe d’aumônerie du Centre de Détention, et quelques autres parfois, nous franchissons portes et grilles du Centre de Détention de Salon, pour aller à la recherche des drachmes perdues… Nous sommes les balayeurs de Dieu… allumant la lampe, cherchant avec soin pour retrouver sur l’effigie de la pièce de monnaie un reflet de son Créateur, pour redire à chacun de ces détenus notre commune humanité, notre commune fraternité en Christ, Lui l’Image du Dieu invisible, l’effigie de sa substance…

Et nous vous abandonnons, comme le berger abandonne les quatre vingt dix-neuf brebis. Mais vous êtes le troupeau que l’on peut abandonner avec confiance et même sur lequel nous pouvons nous appuyer. Car nous avons besoin de vous. Nous avons besoin de vous pour soutenir notre espérance, pour nous encourager. Nous avons besoin de vous pour nous redire sans cesse cette commune conviction qui fonde notre envoi en mission à la prison, comme elle fonde notre commune fidélité au Christ : nous ne pouvons nous résigner à l’abandon de certains hommes à leur désespoir ou à leur révolte, à leur soif de vengeance ou au déni de ce qu’ils ont commis… « Où est ton frère ? ». « Je ne sais pas ».

Mais nous avons besoin aussi de vous pour vous convoquer à la joie. « Réjouissez-vous avec moi, car je l’ai retrouvée ma brebis qui était perdue ». « Réjouissez-vous avec moi, car je l’ai retrouvée la pièce que j’avais perdue !».

Oui, nous voulons aussi, quand nous sortons du Centre de Détention, vous inviter à la joie.

Joie d’entendre Édouard dire lors d’un partage sur un texte biblique  «  je regrette ce que j’ai fait, c’est la première fois que je le dis ».

Joie de savoir que Michel s’est réinséré et a retrouvé une vie stable.

Joie aussi de tous ces petits gestes de partage, de fraternité dont nous sommes témoins : serrer la main à un codétenu délinquant sexuel, donner une cigarette, prêter un livre…

Tous ces petits faits qui nous rappellent qu’en tout homme, fut-il perdu, demeure un reflet de l’image du Dieu invisible, comme la Lumière de la  lampe allumée se reflète sur la pièce de monnaie perdue…[39] ».

« Nous avons besoin de vous pour nous redire sans cesse cette commune conviction qui fonde notre envoi en mission à la prison, comme elle fonde notre commune fidélité au Christ : nous ne pouvons nous résigner à l’abandon de certains hommes… ».

Depuis les origines de l’humanité, le chrétien ressent cet appel de Dieu à partir à la recherche des brebis perdues de Son troupeau… Il perçoit comme une mission et un devoir confiés par Dieu de s’intéresser aux hommes perdus et exclus de la société, parce qu’ils font partie du même troupeau et qu’ils demeurent des frères en humanité.

L’église catholique s’est toujours particulièrement occupée et souciée des hommes emprisonnés. Son action s’est inspirée en particulier des paroles du Christ reprises dans les Évangiles de St Luc et de St Matthieu :

« Aujourd’hui avec moi, tu seras dans le Paradis » et « …j’étais prisonnier et vous êtes venus me voir ».

La promesse faite au Bon Larron d’être sauvé en raison de son acte de foi, malgré sa mauvaise conduite et ses crimes, a justifié l’intérêt des catholiques pour les détenus et leur apostolat dans les prisons. De plus, pour eux, tout acte de charité ou de générosité commis à l’encontre d’un prisonnier, c’est à Jésus lui-même qu’il est appliqué, selon ses paroles reprises par St Mathieu.

Les catholiques voient ainsi en tout homme perdu, en tout pauvre, à l’instar d’un St Vincent de Paul, d’une Mère Térésa ou d’un Abbé Pierre, le visage du Christ, le « serviteur souffrant », qui a lui-même montré l’exemple en se voulant le serviteur de tous et surtout des plus pauvres et des plus petits. C’est pourquoi depuis toujours, ils ont considéré l’assistance aux prisonniers comme l’une de leurs missions prioritaires, incarnée principalement par les aumôniers dont le rôle a évolué au cours des derniers siècles :

« Dès les premiers siècles de notre ère, lors des persécutions, les chrétiens libres allaient visiter leurs frères emprisonnés, pour être des « confesseurs de foi[40] ». Ils avaient pour but de les secourir dans leurs besoins matériels et spirituels.

Un grand pas dans l’histoire nous conduit du XIIe siècle au XVIIIe siècle, où la prison n’est pas encore considérée comme une peine, mais est simplement le lieu de garde des inculpés avant leur jugement et des condamnés dans l’attente de leur châtiment.

Les aumôniers semblent toujours avoir été présents auprès des détenus. Vincent de Paul est le symbole de cette présence sacerdotale. Le 06 février 1619, il est nommé « Aumônier Réal des Galères pour le bien et le soulagement des forçats [41]». Par cette nomination, une première, une aumônerie officielle se crée, se structure et son rôle se précise : être autant attentif aux besoins matériels que spirituels des prisonniers. Par la suite, l’objectif principal sera leur amendement moral, dans un contexte politique liant les pouvoirs spirituel et temporel.

Le siècle des Lumières réforme autant la conception de la peine que son exécution. La constitution du 31 mai 1791 supprime la torture, et les châtiments corporels sont remplacés par la prison, conçue dorénavant comme une peine dont le but est d’amender le coupable.

La Révolution française marque une rupture vive avec le passé, de par la volonté de mise à mort de l’Ancien Régime. Les liens traditionnels entre l’Eglise et l’Etat se relâchent pour traduire le rejet de la tutelle de la religion au profit de la revendication de l’autonomie de la société civile. De plus, les préoccupations ne sont plus l’amendement spirituel mais l’organisation matérielle des prisons où la situation est lamentable, ainsi qu’une logique sécuritaire. La place des aumôniers se réduit au culte du dimanche et des jours de fêtes.

Il faut attendre le Premier Empire pour que l’utilité de la religion apparaisse comme un garde-fou social évident.

Le catholicisme n’est plus religion d’État, mais « celle de la grande majorité des Français[42] ». L’introduction du principe de laïcité de l’État, inauguré par la Révolution, est reprise.

Constituée en pièce maîtresse du nouvel appareil répressif, la prison du début du XIX e siècle conserve les traits de l’Ancien Régime. La religion apparaît comme une « thérapeutique  toute recommandée[43] », un ingrédient à ne plus négliger dans le traitement des prisonniers.

Cependant, en pratique, la réforme morale est abandonnée, c’est l’idée d’intimidation qui domine et absorbe tout. La prison nouvellement ébauchée ne laisse pas de place formelle  à la rédemption morale, même si l’idée d’amendement ne disparaît pas.

Néanmoins, l’influence morale des aumôniers se révèle peu efficace, et, s’il semble acquis que la régénération ne peut s’opérer si le sentiment religieux n’y préside, une certaine méfiance vis-à-vis d’une potentielle autorité concurrente persiste.

Sous la Restauration (1814-1830), la société redevient officiellement religieuse, le catholicisme est proclamé « religion d’État ». L’Église réhabilitée, parfois de manière exagérée, fait entrer le religieux par la grande porte de la prison. L’aumônier prend une place très importante aux yeux des réformateurs qui voudraient faire de la prison un lieu d’amendement. C’est le règne du moralisme, la religion apparaît comme  garantie de la sanction morale.

C’est en 1819 qu’apparaissent officiellement les « aumôniers » dans les établissements pénitentiaires. La religion est d’essence moralisatrice, et l’aumônier incarne plus que tout autre, ce rôle de principal agent des améliorations morales. Sa mission est classique : célébrer les offices et veiller à ce que la prière soit faite matin et soir. Se rendant compte de son importance, l’État commence à l’encadrer, non pour réduire son action, mais au contraire pour la faciliter.

Rien ne changera jusqu’à la IIIe république (1870-1940), où la justice pénale reçoit mission de protéger la société. Un fort courant de laïcisation se dessine, qui aboutira à l’éviction du religieux des prisons.

Un décret du 11 novembre 1885 reconnaît pour la première fois aux détenus la liberté de pratiquer ou non leur religion. Cette dernière n’est plus considérée comme un traitement (et donc obligatoire), mais comme un droit.

La loi du 9 décembre 1905 sur la séparation de l’Église et de l’État concrétise cette évolution. Certes, l’Église garde son indépendance et son droit au culte public, mais elle perd sa dotation officielle et la totalité de son patrimoine. De même, l’aumônier n’est plus salarié.

C’est ainsi que se met en place un régime de stricte neutralité de l’Administration Pénitentiaire vis-à-vis de la religion.

Après le Seconde Guerre Mondiale, la réforme Amor précise les droits du détenu, la mission de la société à son égard et fixe à la peine privative de liberté « pour but essentiel l’amendement et le reclassement social du condamné ». L’amendement par la peine de prison, qui a inspiré des siècles de politique pénitentiaire, reste le but principal.

Parallèlement, une nouvelle définition de la mission de l’aumônier se profile. C’est l’ordonnance du 6 février 1947 qui le précise : il ne doit exercer qu’un rôle spirituel. L’aumônier n’est donc plus comme au XIXe siècle, agent de l’Administration Pénitentiaire, mais simplement chargé d’assurer, par sa présence, la liberté de conscience des détenus.

Aujourd’hui, s’il est maintenu le principe d’une peine tendant à préparer le condamné à un retour à la vie sociale, « la détention, c’est la privation de liberté et rien d’autre ». Cette phrase du Président de la République Valéry Giscard d’Estaing sous-entend une nouvelle philosophie pénale, où toute référence à une action morale sur les détenus disparaît des textes du Code de Procédure Pénale [44]»,

Si l’intérêt de l’Église pour les prisonniers s’est manifesté au fil des siècles principalement à travers l’action des aumôniers, les œuvres caritatives et religieuses des chrétiens ont été cependant réelles et importantes. Si la charité a fait place au bénévolat ou à l’action humanitaire, cet esprit chrétien originel ne continue-t-il pas d’inspirer aujourd’hui l’intervention de certains visiteurs de prison ou l’action d’associations comme celles de St Vincent de Paul ou du secours Catholique ?

De nombreuses similitudes et une histoire commune entre la religion, notamment catholique, et les prisons, se sont traduits particulièrement dans le vocabulaire employé par l’administration pénitentiaire, révélant bien l’importance de l’influence de la religion sur cette institution.

L’appellation même « d’administration pénitentiaire » tire son origine du mot « pénitence », terme religieux par excellence, signifiant, selon la définition du Dictionnaire:

« Regret intérieur et effectif de ses fautes, accompagné de la ferme volonté de les réparer et de ne plus y retomber ».

La pénitence prend ainsi un sens de « peine » dans le vocabulaire catholique, en tant que « peine expiatoire imposée par le confesseur au fidèle qui reçoit ce sacrement comme sanction des péchés confessés ».

Par extension, la « pénitence » est la « peine imposée en réparation d’unefaute ». Ainsi, « mettre quelqu’un en pénitence », c’est lui « infliger une peine », c’est «  être châtié, puni ».

A propos d’un enfant, en particulier, « mettre en pénitence » signifie « mettre dans un endroit isolé avec défense d’en bouger et de parler, parpunition ». Cette définition semblerait bien correspondre à celle d’un établissement pénitentiaire…

La Pénitencerie, toujours selon la religion catholique, était le « Tribunal de la curie romaine présidé par le cardinal grand pénitencier, qui examinait notamment les cas de péchés très graves soumis au pape ».

Le Pénitencier, quant à lui, était le « prêtre chargé par le pape ou par sonévêque d’absoudre certains péchés graves dits cas réservés ».

En droit pénal, le « pénitencier » est « l’établissement dans lequel lescondamnés aux travaux forcés subissent leur peine ». Il avait à l’époque le sens de bagne. Par extension, il a pris celui de prison.

L’adjectif « pénitentiaire », par contre, signifie « qui a rapport auxdétenus, aux pénitenciers ».

En tant que substantif, c’est un synonyme vieilli de « pénitencier » : « Le borner (l’homme), le limiter, c’est faire une prison autour de lui ; cette prison, fût-elle un palais, n’en serait pas moins une prison et un acheminement à ces pénitentiaires d’aujourd’hui où l’on a trouvé le moyen d’anéantir l’homme par lasolitude » (P. Leroux, Humanité, 1840, p.167).

Le vocabulaire n’est pas indifférent, il exprime bien l’idée d’amendement moral et d’expiation des fautes qui étaient attribuée à la fonction des premiers « pénitenciers » dans un sens avant tout religieux et montre bien le lien étroit et l’influence profonde qu’a eu la religion sur l’institution pénitentiaire au cours des siècles.

La « cellule » est un autre exemple de mot commun au vocabulaire religieux et pénitentiaire.La cellule, pouvant s’appliquer aussi bien aux moines qu’aux détenus, vient du latin cella qui signifie un sanctuaire interdit aux profanes où était érigée la statue d’une divinité

[1]La République, les religions, l’espérance, Nicolas Sarkosy, Le Cerf

[2]L’évangile de Jimmy, Didier Van Cauwelaert, Albin Michel

[3]Marie, Jacques Duquesne, Plon

[4]Je crois moi non plus. Dialogue entre un évêque et un mécréant, Frédéric Beigbeder et Jean-Michel Di Falco, arbitré par René Guitton, Calmann-Lévy

[5]Libertin et chrétien, Jean-Marie Rouart, Desclée de Brouwer

[6]La société française et le fait religieux, Charles Debbasch et Jean-Marie Pontier, Armand Colin, 2001

[7] « Les croyances religieuses elles-mêmes ne sont pas moins présentes qu’autrefois. La sociologie des religions fait ainsi apparaître que s’il y a déclin de l’appartenance religieuse en Europe occidentale, les croyances se maintiennent malgré tout. Les institutions religieuses ont moins de poids mais les individus « bricolent » leur propre système de croyance, tandis que d’autres croyances moins « orthodoxes », spiritualistes ou ésotériques, connaissent un certain succès. La modernité ne rend donc pas les croyances moins vivaces », Ce quelescroyances ont à nous dire, Catherine Halpern, Sciences humaines n°149, mai 2004.

[8]W. Kasper définit la sécularisation comme étant « le processus qui a conduit à une compréhension du monde et de ses divers domaines (politique, culture, économie, sciences, etc.) et à un commerce avec eux qui fait au moinsabstraction de leur fondement transcendant et les traite et les considère de façon purement immanente ». (In Le Dieu des chrétiens). Au-delà de l’opposition entre transcendance et immanence, la sécularisation peut s’analyser en « un retrait de l’influence de la religion », en « un refoulement du sacré et du religieux, qui se trouvent ainsi cantonnés à des secteurs déterminés de l’existence » (G.Cothier, Questions de la modernité). La sécularisation est aussi le fait pour un individu ou un groupe de ne plus faire référence, dans lesappréciations portées dans l’ordre politique, social ou autre, à une dimension religieuse de l’existence. L’un des domaines où la disparition de référence religieuse est le plus sensible est sans doute, aujourd’hui, celui de l’éthique, les individus se déterminant le plus souvent en fonction de critères autres que religieux », La société française et le fait religieux, Charles Debbasch et Jean-Marie Pontier, op. Cit.

[9] « En principe, le mot laïcité rime avec celui de neutralité. La laïcité est le contraire de la confessionnalité. La qualification s’applique en particulier à l’État. Est confessionnel l’État qui se réfère explicitement, officiellement, non seulement à des valeurs religieuses mais à une religion déterminée…. L’État laïc est celui qui n’est pas religieux. La laïcité est la non-reconnaissance officielle du fait religieux. La laïcité, tout au moins dans son interprétation traditionnelle, signifie que les croyances et les pratiques religieuses n’ont pas à être prises en compte officiellement. L’État admet toutes les croyances, comme l’incroyance, mais ne s’en préoccupe pas, n’a pas à les connaître. Cette non-reconnaissance n’implique  normalement pas d’hostilité à la religion, d’irréligiosité, les institutions sont seulement a-religieuses », ibid.

[10] « …la sécularisation va de pair avec un rationalisme réducteur. Cette vision rationaliste de l’homme, qui imprègne largement notre société « faute d’inclure en elle la prise au sérieux du symbolisme comme constructif de l’homme, ne parvient pas à maîtriser un « irrationnel » qu’elle ignore, et qui, par contrecoup, dévalorise une rationalité simplement fonctionnelle » (P. Valadier, La sécularisation en questions) » ibid.,

« L’être humain a à sa disposition un ensemble de constructions mentales à travers lesquelles il appréhende le monde extérieur et se fabrique la vision qu’il a de ce monde. Le mathématicien, tout comme l’artiste, ne procède pas autrement. C’est cette pensée symbolique qui fait que l’être humain est le seul être vivant qui construise un monde intermédiaire entre lui et la nature, entre lui et les autres, entre lui et lui-même », Le Religieux dans le politique, Jean-Pierre Vernant,

[11] « … les travaux de sociologie religieuse sont assez récents. La France a fait figure de pionnière en ce domaine avec les travaux du chanoine Boulard et du doyen G. Le Bras ( du premier Premiers itinéraires en sociologie religieuse, 1954, et du second plusieurs articles repris dans Études de sociologie religieuse, 2 tomes)…. Mais depuis quelques années, la sociologie religieuse s’est considérablement renouvelée, avec les progrès de l’etnographie religieuse et les apports de la démographie, mettant en lumière, avec les travaux tels que ceux de J. Delumeau et A. Duppront, l’insertion du catholicisme dans une culture populaire, et développant le concept nouveau de « religion populaire ». ibid

[12] Le Fait religieux aujourd’hui en France, Gérard Cholvy et Yves-Marie Hilaire, avec Danielle Delmaire et Sébastien Fath, Cerf.

[13]« La morale, dit-on, ferait retour. Les uns ricanent : jamais les comportements n’ont été aussi marqués par l’individualisme, la recherche du bonheur personnel, la quête de l’équilibre, le refus des militances, la jouissance de l’instant. Ou alors, si morale il y a, c’est celle de l’individu plaçant plus haut que tout sa propre réussite à tous les niveaux. Les autres se reprennent à espérer  et, à leurs yeux, les signes ne manquent pas  d’une inflexion de tendances : la vague contestatrice est éteinte, le vagabondage sexuel, SIDA aidant, ne peut plus être ce qu’il était, la jeunesse honore à nouveau les valeurs de la famille parce qu’elle en a souvent connu les faillites, le travail qu’elle désirerait bien trouver pour elle-même, les grands élans de solidarité contre le racisme, la famine dans le monde, la torture. Des majorités morales osent clamer haut et fort leur attachement à des idéaux auxquels on osait à peine se rallier il y a peu. En réalité, la morale ne fait pas de retour, parce qu’elle n’est jamais partie. D’elle, on pourrait dire ce que Nietzsche pronostique à propos de Dieu : là où vous le croyez mort, prenez garde, il ne fait peut-être que muer. Un style de vie, une forme d’éducation rigoureuse, un système commun et cohérent de références ont sans doute disparu. Ce qui est probable, c’est qu’à une manière de vivre et de penser la morale, en a succédé une autre », Inévitable morale, Paul Valadier, Collection Esprit, Seuil.

[14]« C’est en tant que religion, que la doctrine communiste exalte et alimente les ferveurs des jeunes gens d’aujourd’hui. Leur action même implique une croyance ; et s’ils transfèrent leur idéal du ciel sur la terre, ainsique je fais avec eux, ce n’en est pas moins au nom d’un idéal qu’ils luttent et, au besoin, se sacrifient. » Journal, Gide, 1933,  p.1182.

[15]Le religieux après la religion, Luc Ferry et Marcel Gauchet, Grasset

[16]leDésenchantement du monde, Marcel Gauchet, Gallimard

[17] « L’affirmation de l’individu comme centre de la vie sociale est une autre manifestation de la rupture avec la référence chrétienne. L’homme jusque là ne se pensait que par référence à Dieu. J.M. Domenach qualifie la rupture de l’individu avec le monde religieux de « seconde révolution copernicienne » (in Approches de la modernité. Sur l’individu et l’individualisme, p.172 et s.). La littérature, les arts, montrent l’émergence de l’individu, dont le sort, le devenir, deviennent une préoccupation essentielle, bientôt exclusive du monde occidental. L’attention portée à l’individu, à son épanouissement, donne naissance à ce que l’on a qualifié d’individualisme, individualisme dont on dit volontiers qu’il caractérise notre XXe siècle finissant, La société française et le fait religieux, Charles Debbasch et Jean-Marie Pontier, opus.

[18]Et Dieu dans tout çà ?, Jean-Marc Bastière, Le Figaro Magazine, samedi 6 novembre 2004

[19]La Barbarie intérieure, Jean-François Mattéi, Puf, coll. Quadrige

[20]Religion naturelle : c’est celle qui est inscrite par Dieu au cœur de l’homme, indépendamment de toute révélation extérieure. Cette religion comporte la connaissance de l’existence de Dieu, la notion de ses perfections et l’idée de devoirs à lui rendre, Bible, 1912.

[21] « L’œil était dans la tombe et regardait Caïn. ». « Ce vers, un des plus célèbres de Victor Hugo, rappelle le poids de la culpabilité dans la vie des hommes. Or, au moins depuis l’époque des Lumières, tout le mouvement de la modernité occidentale vise à libérer l’homme de cette culpabilité, qui le ligote par des tabous et l’enferme dans un remords permanent. L’ambition des Lumières, pour Kant, est de faire sortir l’homme de l’état de minorité. Désormais, l’homme ne sera plus coupable mais responsable (cela ne rappelle-t-il pas une déclaration célèbre d’une ministre de la République dans « l’affaire du  sang contaminé » ?) NDLR. Au lieu de porter le fardeau d’une faute originelle commise par un père hypothétique de l’humanité, l’homme sera jugé sur ses actes, il sera enfin adulte. La tragédie de la modernité vient de ce que, oubliant  que l’homme est et reste un animal religieux, elle l’amène en fait à édifier des religions séculières. Ces constructions nient être des religions ; elles n’en réunissent pas moins leurs deux traits fondamentaux : fabriquer des liens sociaux autour d’une transcendance ; exiger des hommes le sacrifice de leur vie (voir note 2, p. 8). Tels sont les nationalismes producteurs de rites impressionnants. Telles sont les utopies du XXe siècle – communisme, nazisme… – prétendant réaliser le paradis sur terre. Dans ces religions, issues du rêve promothéen de l’Occident, l’homme devient Dieu, il décide du Bien et du Mal. Alors que les religions traditionnelles placent dans l’au-delà le sens de l’homme et sont préservées par le mystère, ces religions modernes, en promettant l’accomplissement de l’humanité ici et maintenant,  ont encore plus besoin d’une adhésion totale, d’un dévouement sans limites. Ces religions exigent fanatisme et terreur », Repentance et réconciliation, Philippe Moreau Defarges, La bibliothèque du citoyen, Presses de sciences politiques.

[22]« Les Lumières et la Révolution française  vont inaugurer l’ère du Capitalisme et du Scientisme où le règne de la Raison partagée, de la citoyenneté, s’incarnera d’abord dans la Terreur, puis dans l’Empire, enfin dans le Communisme et le Fascisme. La réduction de l’homme au biologique, au social et à la technique, au savoir objectif, ne sera remise en cause qu’après deux guerres mondiales particulièrement ignobles. Ce n’est que lorsque la Science se cogne elle-même à ses propres limites que sa terrible puissance de transformation et de méconnaissance est contestée enfin par une Écologie encore bien timide », Histoire des religions, www.momes.net.

[23]  « Cette société atomisée (la société française actuelle partagée entre croyances et incroyance, NDLR)  est aussi une société où tous les choix sont légitimés. Ceci est une conséquence à la fois de la sécularisation et de la primauté de l’individu qui en découle. L’individu mis au centre de toute la vie sociale, il en découle une exaltation de la subjectivité. Le seul jugement acceptable est celui accepté par l’individu selon ses propres critères de jugement. L’Église catholique avait, pendant des siècles, insisté sur la notion de vérité. Notre époque croit surtout à la relativité », La société française et le fait religieux, Charles Debbasch et Jean-Marie Pontier, op. cit.

[24]« La recherche du sens est tellement aiguë que l’on n’a pas besoin de se demander de quel sens il peut s’agir. Rechercher le sens, sans avoir besoin de spécifier de quoi, devient un objectif vital. C’est le non-sens, l’absurde, qui est finalement l’ennemi », Jean-Loup Dherse et Dom Hugues Minguet, L’Éthique ou le Chaos ?, Presses de la Renaissance, p.9.

« La science, la raison, l’universel, par définition en quelque sorte, n’ont rien à dire à l’individu, en particulier sur la question du sens. La science peut s’exprimer sur la question des faits, sur la question des causes, mais pas sur celle du sens », Le Religieux dans le politique, Jean-Pierre Vernant, op. cit.

[25]Voici quel est notre Dieu, Cardinal Joseph Ratzinger, Plon/Mame, p.18-19.

[26]« Dans notre monde aux évolutions très rapides, voire brutales, le religieux lui non plus n’est pas épargné : les traditions, les confessions bougent à l’intérieur d’elles-mêmes, tandis que le spirituel prend des formes nouvelles ou s’exprime bien souvent de manière souvent débridée à travers des courants ou des modes inédites. Nous sommes désormais bien loin du bel ordre qui marquait la géopolitique religieuse d’autrefois : la chrétienté en Occident, l’islam dans le monde arabe, les sagesses d’Asie en Chine, au Japon, ou en Inde… Aujourd’hui, la mondialisation et les moyens de communication ont bouleversé la donne : le monde est tout autant la paroisse du pape que celle du dalaï lama. L’islam ou les religions de l’Asie progressent dans les vieilles régions dechrétienté, alors que le catholicisme croît en Corée, au Vietnam ou en Afrique… », Le monde est leur paroisse, Odon Vallet, Desclée de Brouwer.

[27]« Pour autant qu’on puisse connaître l’histoire humaine jusqu’à la préhistoire par les fouilles archéologiques, on constate que l’idée de Dieu a toujours existé. Les marxistes avaient prévu la fin de la religion. Avec la fin de l’exploitation (de l’homme), disait-on, le « médicament Dieu » deviendra inutile. Mais eux aussi ont dû reconnaître que la religion ne cesse jamais, parce qu’elle est en l’homme ».Cardinal Joseph Ratzinger, Voiciquel est notre Dieu, Plon/Mame, p.21.

[28] « Les peuples de l’Antiquité avaient tendance à diviniser tout ce qui les dépassait, en particulier les forces de la nature. … La Bible introduit une rupture radicale, de laquelle a procédé le développement de l’Occident : les astres ne sont pas des dieux, Dieu est le Tout-Autre. Désormais donc,  Dieu et le monde sont séparés. Cette conviction profonde du peuple hébreu, reprise par le christianisme, ouvre la voie à une conception profane du monde. Le judaïsme, puis le christianisme, libèrent l’homme à l’égard de la nature, et l’homme peut désormais exercer sa réflexion critique sur cette nature. Il n’est donc pas exagéré de dire que la liberté de l’homme moderne a été conditionnée, rendue possible, par l’affirmation judéo-chrétienne de la liberté de l’homme », La société française et le fait religieux, Charles Debbasch et Jean-Marie Pontier, op. cit..

[29] « Ces religions, malgré des différences parfois importantes, ont un point en commun, ce sont des religions monothéistes, c’est-à-dire qui proclament la foi en un seul Dieu, et un Dieu sauveur, s’opposant en cela aux religions polythéistes aux dieux multiples et, plus encore, à l’animisme et au panthéisme », ibid.

[30] « La culture gréco-judéo-chrétienne est supérieure à toute autre, puisque c’est sur un sol gréco-judéo-chrétien que se sont trouvés, reconnus et affirmés, pour la première fois, l’égalité en droit de tous les hommes, et les droits universels de l’homme. C’est aussi la culture la plus civilisatrice qu’ait connu l’humanité », Le fondementde la morale, M. Conche, PUF, Perspectives critiques.

[31] « Si l’on admet que les rapports avec le sacré constituent l’essentiel de la religion, la distance apparaît avec la philosophie. Mais il reste à s’entendre sur la notion du sacré ; si l’on admet que le sacré inspire le respect et la crainte, une autre distance s’éclaire, avec la magie qui suppose audace et contrainte. On n’hésite point à reconnaître la religion dans le christianisme ou l’islamisme ; on discute la part de religion que contiennent les grandes conceptions orientales de la vie et de la mort, les représentations et les pratiques des « primitifs »… » Traité sociologique, 1968, p.80.

[32] « La religion constitue la sphère générale où l’homme prend connaissance de la seule totalité concrète dans laquelle se trouvent unies et sa propre essence et celle de la nature », Hegel, Esthétique 150.

[33]Le Religieux dans le politique, Jean-Pierre Vernant, op. cit.

[34]La religion catholique en prison : vraie spiritualité ou stratégie de lutte contre la souffrancede l’incarcération ?, Frédéric Hankus, mémoire, CIP 1, ENAP, 1997.

[35]Religion universelle : religion  à vocation œcuménique, c’est-à-dire qui n’est pas destinée à un groupe social déterminé, mais s’adresse à tous les hommes, de tous les pays et de tous les temps. Dictionnaire Trésor de la langue française.

« Les religions universelles font abstraction des liens nationaux naturels et s’adressent absolument à tous les hommes, leur offrant le salut ou une voie qui y conduit. Le bouddhisme, le Christianisme et l’Islam, religionsuniverselles les plus importantes, sont aussi des religions qui ont été fondées, alors que le développement des religions nationales se présente surtout comme spontané », Fries, Tome 4, 1967.

[36]Essor ou déclin de l’Église, Cardinal Suhard , lettre pastorale pour le carême 1947. (Documentation catholique, n°987, 30 mars 1947).

[37] Patrologie grecque, t. V, col.714.

[38] Ibid, t. XXXIII, col. 1043.

[39]Les balayeurs, les balayeuses oubliés de Dieu, Geneviève Pinault, Lettre aux aumôneries n° 76, Salon de Provence, 25 mai 1997.

[40]Les prisons et l’Église, André Clavier, Paris, Aumônerie Générale des Prisons, 1986, p. 9.

[41] Ibid, p. 13.

[42]Les rapports de l’Église et de l’État au XIXe siècle : la place du religieux dans l’institution pénitentiaire, Valérie Delacroix, Revue pénitentiaire et de droit pénal, n° 4, 1989, p.p.

305-386.

[43] Ibid

[44]La place de l’aumônier catholique au regard de la réinsertion des détenus, Laurence Leloup, Mémoire, 1ère Promotion de Conseiller d’Insertion et de Probation, 1997.

Le point de départ de cette réflexion et du choix du thème de la religion en prison a été la surprise de constater que des détenus, hommes et femmes confondus, éprouvaient le besoin de s’entourer d’objets de piété dans leurs cellules, qu’ils appartiennent à l’une ou l’autre religion représentée en détention. Cela m’a conduit à m’interroger sur l’aspect paradoxal de cette pratique qui  laisse supposer une vie spirituelle ou, tout du moins, une croyance en des valeurs religieuses ou morales, dans un milieu carcéral où les personnes ont été condamnées pour des actes répréhensibles et illégaux. D’autres motivations sont venues cependant confirmer ce choix :

– La croyance religieuse semble apparaître comme l’un des besoins les plus profonds qui caractérisent l’être humain. On la retrouve dans toutes les civilisations. De même, la liberté de pratiquer la religion de son choix est l’un des droits fondamentaux de l’Homme.

–  Le retour de la spiritualité semble être une réponse à un monde de plus en plus matérialiste où l’être humain est subordonné aux impératifs économiques dans une logique de rentabilité et de profits. Le renouveau de la religion intervient dans une société en crise où les individus recherchent des repères et le retour à des valeurs morales et spirituelles traditionnelles.

– La religion est un sujet de société particulièrement d’actualité qui influence  l’avenir de la planète et la paix entre les peuples.

–  Sur un plan plus personnel, la quête de sens et la dimension spirituelle de l’homme ont orienté mon parcours professionnel vers la relation d’aide aux plus défavorisés, après un premier emploi dans le domaine bancaire.

–  Par ailleurs, certains cas « célèbres » de conversions de  détenus, comme celles de Jacques Fesch, d’André Levet, de Jean Bernier ou de Jackie Van Thuyne qui disent avoir rencontré Dieu en prison et ont changé totalement de vie après, m’ont intrigué et m’ont donné envie de mieux comprendre ce qui s’était passé et ce qui pourrait se passer encore actuellement pour certaines personnes incarcérées[2].

–  Enfin, le thème de la religion en milieu carcéral a été peu abordé dans les travaux de recherche  précédents. Il semble pourtant que ce sujet soit intéressant à étudier pour les motifs évoqués précédemment, même s’il paraît difficile à traiter du fait de son caractère sensible et très personnel. Il semble pourtant toucher un nombre significatif de détenus, au regard des nombreux témoignages collectés[3]

1.2 Présentation du thème de recherche

«  La religion, c’est la théorie générale de ce monde » [4]

La mort de Jean-Paul II et l’élection du nouveau Pape Benoît XVI, par l’émotion et l’intérêt qu’elles ont suscité dans le monde entier, ont manifesté de nouveau, si besoin était, l’importance de la religion pour les individus. Au-delà de la seule religion catholique, le phénomène religieux en général est à la mode et suscite un regain d’intérêt depuis quelques années. La religion est régulièrement au cœur de l’actualité  nationale et internationale. Dans un monde en pleine mutation, les structures sociétales traditionnelles semblent perdre peu à peu leurs valeurs et leurs repères au profit d’un modèle unique de développement, le libéralisme économique et la société de consommation, et la religion peut apparaître alors comme la dernière référence à laquelle se raccrocher pour sauvegarder son identité culturelle et nationale.

Ce retour à la spiritualité touche-t-il cependant également l’univers carcéral [5] ? Si, de tous temps, la religion s’est intéressée aux prisonniers, notamment l’Eglise catholique en France pendant l’Ancien Régime et jusqu’aux lois de séparation de l’Eglise et de l’Etat de 1905, qu’en est-il actuellement ? Aujourd’hui, dans un Etat laïc et républicain, le droit de pratiquer sa religion est-il toujours reconnu aux personnes incarcérées ? Quel sens peut-il représenter aujourd’hui pour des détenus qui doivent surmonter la souffrance du « choc carcéral » ? Peut-il leur permettre d’évoluer en les aidant à réfléchir sur le sens de la peine et les conséquences de leurs actes, pour les victimes, pour eux-mêmes, pour leur entourage et pour la société tout entière ? Peut-il les préparer à réassumer leurs responsabilités personnelles, familiales et sociales ? Peut-il les aider à retrouver une place dans la société ?

L’une des missions essentielles du Conseiller d’Insertion et de Probation (CIP) est l’aide à la réinsertion sociale des personnes incarcérées afin de prévenir la récidive et de protéger la société, comme l’a rappelé récemment le Directeur de l’Administration Pénitentiaire (AP), P. MOLLE[6]. La dimension spirituelle, en aidant les détenus à refaire surgir en eux la part d’humanité que tout être recèle, ne peut-elle pas favoriser cette réinsertion ? L’intérêt de la société ne serait-il pas de mieux prendre en compte cet aspect religieux de l’individu, comme le stipule cet article adopté par le 1er congrès des Nations Unies en 1955 : « (…) le régime pénitentiaire doit faire appel à tous les moyens curatifs, éducatifs, moraux et spirituels et autres et à toutes les formes d’assistance dont il peut disposer, en cherchant à les appliquer conformément aux besoins du traitement individuel des délinquants [7] » ?

C’est dans cette perspective de réflexion sur les moyens les plus pertinents et les plus efficaces pour favoriser la réinsertion des personnes incarcérées que je me suis intéressé à la question de la religion : Qu’est-ce qui peut le mieux les aider à se réinsérer pour ne plus récidiver ? De quoi ont-elles besoin en priorité ? Les moyens matériels sont-ils suffisants pour préparer leur sortie ? Ne demandent-elles pas avant tout respect de leur dignité, écoute et considération ? N’attendent-elles pas des raisons d’espérer ? La religion peut-elle leur apporter tout cela ? Que recherchent les détenus qui fréquentent les aumôneries, qu’ils soient croyants ou non ? Si le détenu n’a pas résolu ses problèmes intérieurs de fond, son mal être, ses angoisses, ses difficultés relationnelles, son manque de confiance, sa violence, comment envisager un retour dans la société sans risque de récidive, « les mêmes causes risquant de continuer à produire les mêmes effets » ? Qu’est-ce qui peut permettre au délinquant de changer de comportement et de passer d’une vie souvent organisée autour de son délit, parfois en marge de toute règle instituée, à une vie sociale normalisée, responsable et autonome ?

Si l’on s’attache à « travailler » sur le sujet lui-même, à l’aider à se reconstruire intérieurement, humainement, psychologiquement et spirituellement, dans une approche globale de la personne, en permettant de supprimer les causes de son mal être existentiel[8], ne peut-on espérer un changement de comportement  profond et durable ? Lui redonner dignité, considération et confiance en soi, sens et respect de l’autre, liberté intérieure et conscience de sa responsabilité individuelle et collective,  n’est-ce pas aussi important que de lui donner un travail et les moyens de subsister ? « L’homme ne se nourrit pas seulement de pain », nous dit la Bible… Si l’accompagnement social demeure indispensable, est-il suffisant ? L’accompagnement  spirituel ne devrait-il pas être complémentaire et même essentiel[9], la religion permettant d’aborder ce qui fait le « coeur » de l’homme, à savoir les questions existentielles du sens de la vie et de la mort, de la souffrance, du Bien et du Mal … ?

Notre étude voudrait ainsi participer au mouvement de réflexion actuel sur les moyens d’humaniser toujours plus la société, en mettant l’homme au coeur de tous les dispositifs politiques, sociaux et économiques, comme le préconise également le projet de Constitution Européenne : « Consciente de son patrimoine spirituel et moral, l’Union se fonde sur les valeurs indivisibles et universelles de dignité humaine, de liberté, d’égalité et de solidarité ; (…) elle place la personne au cœur de son action en instituant la citoyenneté de l’Union et en créant un espace de liberté, de sécurité et de justice[10] ». Ce travail souhaite ainsi s’attacher à la situation des détenus qui reflètent le niveau d’humanité de cette société [11] et demeurent des sujets de droit à part entière.

1.3 Question de départ, problématique et hypothèses

Au terme de cette première réflexion, j’ai synthétisé les diverses interrogations soulevées en une question unique : La religion peut-elle aider les détenus à mieux vivre leur incarcération et à préparer leur réinsertion dans la société ?

Cette question de départ m’a permis de définir la problématique que je souhaitais étudier : Pourquoi et en quoi la religion peut-elle aider un détenu à mieux supporter  l’épreuve de l’incarcération ? Peut-elle favoriser sa préparation à la sortie et sa réinsertion sociale ?

Quatre hypothèses m’ont semblé répondre à cette problématique :

– La religion garantit le caractère inaliénable de la dignité humaine.

– La religion permet à l’individu de mieux supporter les difficultés rencontrées.

– La religion, par l’aveu et le pardon des fautes, conduit à une libération intérieure et à une réconciliation avec soi-même et avec les autres.

– La religion aide à créer du lien social et favorise l’intégration de la personne dans  une communauté de croyants.

1.4 Résultat de la phase exploratoire et choix du type de projet professionnel

Pour étudier la faisabilité du projet de recherche au regard du thème retenu et des ressources dont je pouvais disposer mais aussi des besoins locaux des terrains de stage, j’ai effectué les démarches suivantes :

– J’ai rencontré le directeur adjoint de la Maison d’Arrêt (MA) de Nice pour l’informer de mon thème de recherche et lui demander l’autorisation de rencontrer des représentants du culte et des détenus.

J’ai fait le point avec l’adjointe de la Directrice Départementale des Services Pénitentiaires d’Insertion et de Probation (DSPIP) de Nice, responsable de l’antenne du SPIP de la MA, sur les projets qui pourraient répondre à des besoins locaux.

J’ai profité, enfin, de la guidance de deux référents de l’ENAP qui m’ont aidé à définir de façon plus précise le champ d’étude ainsi que les différentes étapes de l’élaboration de mon projet professionnel.

J’ai finalement décidé de me consacrer à un travail de mémoire car une action paraissait difficile à mettre en oeuvre : la religion en détention est un sujet aujourd’hui particulièrement sensible lié au prosélytisme islamique ou à l’influence croissante des sectes. La Direction de la MA était donc rétive à toute intervention extérieure. Disposant d’une documentation nombreuse et variée et comptant m’appuyer sur des entretiens individuels avec des détenus et avec l’aumônier catholique, le mémoire s’est donc imposé.

1.5 Le concept de religion

Avant d’étudier l’influence de la religion sur la vie des détenus pendant et après leur temps d’incarcération, il apparaissait nécessaire de définir auparavant le concept de « religion ». Celui-ci recouvre de nombreuses définitions : « L’effort pour réduire chaque religion à son concept apparaîtra caricature face à la richesse infinie des représentations et des subtilités logiques de chacune d’entre elles. Il ne s’agit pas tant d’en dire la vérité que de formuler ce que chacune représente dans sa différenciation, son apparition dans l’histoire, sa rupture essentielle logique et pratique[12] ».

Le dictionnaire « Trésor de la langue française » en fournit cependant une qui comprend plusieurs sens :

– Rapport de l’homme à l’ordre du divin ou d’une réalité supérieure, tendant à se concrétiser sous la forme de systèmes de dogmes ou de croyances, de pratiques rituelles et morales.

– Forme particulière que revêt pour un individu ou une collectivité cette relation de l’homme au divin ou à une réalité supérieure : ensemble des croyances relatives à un ordre surnaturel, des règles de vie, éventuellement des pratiques rituelles, propres à une communauté ainsi déterminée et constituant une institution sociale plus ou moins fortement organisée.

J.-P. VERNANT[13], historien des religions, répond à la question : « Mais, au fait, qu’est-ce que la religion ? »

«  De quoi parle-t-on quand on utilise ce terme, « religion » ?  Du domaine du religieux, c’est-à-dire d’un espace social, intellectuel et personnel distinct du reste de la vie collective. Aujourd’hui, on ne peut pas parler de religion sans supposer une Église ou tout au moins une institution particulière. On implique aussi, par ce terme, un ensemble de rites, de conduites codifiées. Sans oublier un corps de croyances, qui prennent une forme particulière, enracinées qu’elles sont dans une révélation, se référant à un Livre qui détient un statut de vérité. C’est dire que le domaine du religieux possède une identité bien définie, différente des autres types de pratiques sociales, même si ce domaine n’a pas cessé (et continue d’ailleurs), de se modifier sous nos yeux… D’une manière générale, il est évident que le religieux imprègne l’ensemble de la vie sociale, la manière dont les gens ont le sentiment d’exister, dont ils conçoivent leurs rapports avec leurs enfants, leurs petits-enfants, la manière dont ils parlent. D’où le rapport très étroit entre, d’une part, l’identité personnelle, la cohésion sociale, l’idée d’une communauté et, d’autre part, ce religieux qui peut prendre des formes très diverses. (…) Ce phénomène du religieux est cependant loin d’être simple, constant, uniforme. La façon dont je viens de le définir est si générale qu’elle ne nous fait pas plus connaître  les religions qu’une définition du langage ne nous renseigne sur la diversité des langues… »

Ainsi, selon F. Hankus[14], « de nombreux sociologues ont essayé d’élaborer une approche globale et concise de ce concept de religion. Des centaines de définitions sont apparues, ont été analysées et comparées pour aboutir à une convergence ou à une logique qui ferait consensus pour définir le fait religieux. Hervé Carrier, sociologue des religions, constate la complexité de la tâche : « L’un des premiers constats, c’est l’apparente impossibilité de formuler, en une proposition communément admise, ce qu’est la religion [15] ». S’inspirant de l’École Historico-culturelle de sociologie des religions, il tente néanmoins de proposer une définition en distinguant les aspects objectifs et subjectifs de la religion : « Objectivement, la religion correspond à un ensemble de croyances et de comportements qui se référent à une réalité conçue comme objective, suprême, transcendante, et envers laquelle l’homme individuel et collectif se sent relié et dépendant. Subjectivement, la religion se dit de l’attitude des personnes à l’égard des réalités perçues comme transcendantes ». Cette définition, de l’aveu de l’auteur lui-même, est vaste, voire vague, mais elle a l’avantage de pouvoir inclure toutes les acceptations de ce que l’on met habituellement sous le terme de religion ».

Ce concept de religion qui demeure difficile à définir, car trop vaste, complexe et multiforme, impose donc de préciser le champ de recherche. Au lieu d’étudier l’influence de la religion en général sur la vie des détenus, nous nous limiterons à la seule religion catholique, religion la plus représentée en détention.

Première partie : religion et détention

« Nul sentiment n’est donc plus profondément respectable et plus sincèrement respecté chez le détenu que le sentiment religieux[16]. »

1.1 Délimitation du champ d’étude à la religion catholique

Comme nous l’avons dit, «la religion catholique reste la mieux représentée et donc la plus sollicitée[17] » dans les établissements pénitentiaires. Ainsi, par exemple, à Fleury Mérogis, « en dehors du bouddhisme très marginal, chaque culte dispose d’une équipe (d’aumônerie) plus ou moins étoffée : 100 personnes pour les catholiques, 50 pour les protestants, moins de 30 pour les musulmans et une vingtaine pour les israélites[18] ». Sur le plan national, selon les derniers chiffres de l’administration pénitentiaire, sur 918 aumôniers recensés au 01/01/2004, 482 seraient catholiques, 286 protestants, 77 musulmans, 66 israélites, 5 orthodoxes et 2 bouddhistes. Les aumôniers chrétiens représentent ainsi 84% de l’ensemble des représentants cultuels.

Par ailleurs, le catholicisme demeure la religion majoritaire en France : « La France de 1904 était incontestablement catholique. La France de 2004 est majoritairement catholique. Elle a des racines chrétiennes, elle a des références chrétiennes, explicites dans sa culture et implicites dans ses institutions[19] ».

C’est ce que confirment C. DEBBASCH et J.-M. PONTIER, dans leur ouvrage déjà cité : «  quatre grandes religions sont représentées en France à notre époque. Il s’agit d’abord du catholicisme, qui est la religion de la majorité des Français. Le catholicisme a à ce point partie liée avec l’histoire de France que lorsqu’on parle de religion, c’est souvent du catholicisme qu’il s’agit… » Ils poursuivent plus loin : « Comme la religion catholique est la religion du plus grand nombre, et que la France a été marquée, dans son histoire, par le catholicisme, certaines des observations faites à propos de ce dernier peuvent valoir pour les autres religions chrétiennes, voire pour les religions non chrétiennes».

Il m’est donc apparu plus cohérent de cibler mon thème sur la seule religion catholique qui est la plus représentée en détention, étant la religion majoritaire en France. Étudier la religion en général aurait été un sujet trop vaste. La seule analyse du problème de l’islam en prison, par exemple, peut constituer un sujet de mémoire à lui seul, comme l’ont décidé de traiter d’autres collègues. Par ailleurs, l’analyse concernant la religion catholique peut valoir pour les autres, étant de nature universelle et donc représentative du fait religieux en général. Enfin, les ressources disponibles sont beaucoup plus conséquentes en ce qui concerne cette religion du fait de son ancienneté et de son influence sur la société française.

Mais une présentation de cette religion s’avère nécessaire si l’on veut comprendre l’importance qu’elle a pour les hommes et pour les détenus en particulier :

« S’il était possible de faire une statistique des livres, on se rendrait compte qu’aucun sujet n’a plus préoccupé les hommes que la religion chrétienne, et plus spécialement catholique[20] ».

La religion catholique est l’une des trois grandes composantes du christianisme.  Le «christianisme » tire son origine du Christ, personnage historique né il y a plus de 2000 ans à Bethléem, en Judée. Issu du peuple juif, il est à l’origine d’une nouvelle religion dont les disciples vont porter le nom de chrétiens. Trois religions principales se référent à Lui : le catholicisme, le protestantisme et la religion orthodoxe. Les protestants et les orthodoxes se sont séparés des catholiques au cours du temps, à la suite de points de divergence dogmatiques et doctrinaux.

« Pour le théologien catholique, L’Église est une société à la fois divine et humaine, le « corps mystique du Christ », c’est-à-dire « le prolongement immortel du Sauveur dans le temps ». Autrement dit, l’Église est à la fois invisible et visible. Divine, elle est « sans tache, sans ride, sainte et immaculée[21] ». Humaine, elle est composée d’une petite minorité de saints, et d’une masse immense de tièdes et de pécheurs. Le terme « catholique » peut être pris en deux sens principaux :

– D’une part, étymologiquement, il signifie universel. Il est alors l’un des attributs que les théologiens accordent à l’Église.

– D’autre part, il permet de distinguer, dans la foule des chrétiens, ceux qui se considèrent comme membres de cette Église dont le chef est l’évêque de Rome, le pape. C’est ainsi que l’on oppose le catholicisme au protestantisme, à l’orthodoxie orientale, aux sectes coptes, arménienne, etc.

Le terme fait son apparition dans une lettre de St Ignace martyr (mort en 107) à l’église de Smyrne : « Ubi Christus, ibi catholica ecclesia ». « Là où est le Christ, là est l’Église catholique [22] ». La première définition de cette « catholicité » est donnée à la fin du IIe siècle par St Cyrille de Jérusalem qui déclare dans sa catéchèse : Elle est appelée catholique parce qu’elle est répandue à travers le monde entier d’une extrémité à l’autre de la terre ; parce qu’elle enseigne universellement et sans exception tous les dogmes qui doivent venir à la connaissance des hommes ; et encore parce qu’elle soumet au véritable culte le genre humain tout entier, princes et simples particuliers, savants et ignorants[23] ».

L’Église catholique donne mission à ses fidèles d’aller porter l’Évangile à tous les hommes, et en particulier à ceux qui en sont le plus éloignés, afin de leur faire connaître la « Bonne Nouvelle du Salut ». Le prisonnier représente le type même de l’homme perdu que les chrétiens doivent sauver en lui apportant le secours de la foi. Leur action s’inspire en particulier des paroles du Christ reprises dans les Évangile de St Luc et de St Matthieu : « Aujourd’hui avec moi, tu seras dans le Paradis » et « …j’étais prisonnier et vous êtes venus me voir ». Les catholiques sont ainsi invités à contempler en tout détenu le visage du Christ, le « serviteur souffrant[24] », qui a Lui-même connu la trahison et l’injustice, a été dénoncé, arrêté, jugé, condamné, méprisé, violenté, torturé puis exécuté sous la forme la plus barbare et douloureuse qui soit, la crucifixion[25]. L’assistance au détenu est donc pour eux une obligation à laquelle s’est consacré un  St Vincent de Paul dont la devise continue d’inspirer de nombreux aumôniers catholiques aujourd’hui. D’autant que le « bon larron », crucifié avec Jésus, a pu cependant être sauvé en avouant[26] ses fautes et en reconnaissant le Christ comme le Seigneur et le Sauveur des hommes. Ce « bon larron », en étant le premier  à accéder au Paradis, est devenu le symbole des « brigands » convertis et un modèle de foi et de repentance pour tous les chrétiens. Une association d’aide aux prisonniers et aux anciens détenus a même repris ce nom pour exprimer la possibilité offerte à chacun d’être sauvé, quel que soit son parcours[27] :

« Nul ne pourra désormais désespérer de son salut en voyant un homme chargé de milliers de fautes franchir les portes du Royaume. Par une simple parole, un seul acte de foi, il s’élance avant les apôtres dans le paradis, pour donner à comprendre que ce ne sont pas ses bonnes actions qui lui ont valu cette faveur, mais la philanthropie du Seigneur qui a tout fait. A-t-il jeûné ? A-t-il versé des larmes ? A-t-il accompli une longue pénitence ? Pas du tout ! Mais sur la croix elle-même, par une seule parole, il a trouvé le salut. Voyez avec quelle rapidité il va de la croix au ciel, du supplice au salut ! Le Bon Larron est la preuve évidente que la miséricorde de Dieu ouvre à tous l’accès au salut. Prodige incomparable de la miséricorde divine ! C’est la miséricorde qui fit tout. Voyez la célérité. » [28]

Au cours des siècles, l’Église, et la société en général, a ainsi accordé une grande attention aux prisonniers, mais au détriment sans doute des victimes. Les politiques pénales de ces dernières années ont voulu leur redonner toute leur place et l’on assiste depuis à des mouvements de balancement réguliers entre des politiques privilégiant les victimes et celles mettant l’accent sur les droits de la défense.

Cette longue histoire commune entre l’Église et l’institution pénitentiaire a cependant laissé des empreintes qui se traduisent encore aujourd’hui dans le vocabulaire employé mais aussi dans le patrimoine architectural.

1.2 L’influence de la religion catholique sur l’institution pénitentiaire

Peu de personnes le savent certainement mais l’administration pénitentiaire a deux saints patrons : St Hippolyte, geôlier de St Laurent, et St Martinien, geôlier romain de St Pierre et St Paul, converti par eux et devenu leur libérateur en les aidant à s’évader, puis est mort décapité !

L’appellation même « d’administration pénitentiaire » tire son origine du mot « pénitence », terme religieux par excellence, signifiant, selon la définition du Dictionnaire de la langue française du XIXe et XXe siècles[29]: « Regret intérieur et effectif de ses fautes, accompagné de la ferme volonté de les réparer et de ne plus y retomber ». La pénitence prend ainsi un sens de « peine » dans le vocabulaire catholique, en tant que « peine expiatoire imposée par le confesseur au fidèle qui reçoit ce sacrement comme sanction des péchés confessés ». Par extension, la « pénitence » est la « peine imposée en réparation d’une faute ». Ainsi, « mettre quelqu’un en pénitence », c’est lui « infliger une peine », c’est «  être châtié, puni ».

La « cellule » est un autre exemple de terme commun au vocabulaire religieux et pénitentiaire. La cellule, pouvant s’appliquer aussi bien aux moines qu’aux détenus, vient du latin cella qui signifie « un sanctuaire interdit aux profanes où était érigée la statue d’une divinité ». Par analogie, la « cella » a pris le sens « d’enceinte sacrée » et par extension, pour les chrétiens, celui de « lieu de retraite d’un anachorète, grotte, cabane » puis de « petit monastère[30] ». La définition du mot « cellule » en découle, « l’idée dominante étant celle d’un espace clos » : « petite pièce généralement unique pour le séjour d’une personne ».

Deux significations différentes illustrent parfaitement la concordance entre le domaine religieux et le domaine pénitentiaire :

Chambre réservée à un religieux. Par analogie, on distingue :

–        Chambre exiguë, sommairement meublée.

–        Lieu de retraite, de méditation, de travail solitaire.

Petite pièce d’une prison réservée à un seul détenu.

La prison devant être le lieu de l’amendement moral et spirituel à une époque où la foi catholique imprégnait toute la société[31], il n’est pas étonnant que le même mot désigne à la fois le lieu d’enfermement des prisonniers et celui des moines. La cellule, aussi bien pour les uns que pour les autres, est cette petite pièce isolée et silencieuse devant permettre la réflexion, la confrontation à soi-même[32], le regret de ses fautes et l’élévation vers Dieu.

Un autre point de convergence important entre le religieux et le pénitentiaire concerne le patrimoine architectural. De très nombreuses prisons ont utilisé les bâtiments d’anciens couvents, abbayes et monastères pour s’implanter. L’exemple le plus célèbre pourrait être celui de Clairvaux qui a été d’abord une abbaye. Fondée par St Bernard en 1115 qui voulait en faire un lieu exemplaire et une référence du monde occidental, elle a été ensuite transformée en établissement pénitentiaire pour devenir la plus grande prison française du XIXe siècle. Aujourd’hui, « le Ministère de la Justice a libéré les bâtiments historiques pour construire une prison moderne, toujours dans l’enceinte de l’abbaye. Conscient du nécessaire maintien du centre pénitentiaire sur place, en raison de son apport économique à la région, et même de sa légitime présence désormais héritière de l’histoire, une cohabitation peut exister entre Clairvaux-prison et Clairvaux-centre culture[33] ».

De nombreux autres exemples existent. Dans son récit[34] de la conversion d’un détenu devenu moine trappiste, Robert Masson écrit : « Il passe deux ans à Poissy, dans une centrale qui a la particularité d’être cistercienne d’origine. Comme d’autres, Clairvaux en premier. Les cellules sont comme autant d’alcôves, dont on a fait des dortoirs ceinturés de grillages qui en font des espèces de cages à poules. L’architecture spéciale de l’endroit étonne Bernier. Il est bien loin de se douter du caractère prémonitoire de ces anciens monastères ».

Une telle présence spirituelle durant des siècles n’a-t-elle pas pu imprégner les bâtiments qu’occupent toujours encore de nombreux détenus ? Ne crée-t-elle pas une certaine « atmosphère » propice à la réflexion, à la prière et à la conversion ? Ne peut-elle influencer un certain nombre d’entre eux qui voient là des similitudes avec l’enfermement monastique ?  Robert Masson semble le confirmer quand il écrit encore dans son ouvrage sur la vie de Jean Bernier[35] : « Chaque dimanche désormais, Bernier communie avec un tout petit groupe d’autres détenus qu’on surnommait « les moines » ; (…) Mais parce qu’il y a ce mystère de la communion des saints, la prière des moines de jadis n’était peut-être pas sans rapport. La prière imprègne les lieux d’où elle s’est élevée. Cette prison de l’île de Ré n’avait pas été par hasard un monastère autrefois ».

Valérie Decroix illustre également cette idée dans son article déjà cité[36] : «  Le directeur de la Maison Centrale de Fontevrault ne craint pas par exemple de faire l’analogie entre les moines d’antan et ses pensionnaires qui tous hantent les mêmes lieux : « Souvenez-vous  que dans presque tous ces vastes établissements qui sont aujourd’hui des Maisons Centrales, vous avez remplacé de longues générations de prisonniers volontaires qui passaient toute leur vie là, s’étudiant à renchérir, de leur plein gré, sur les rigueurs d’une discipline bien autrement austère que la vôtre ! (…) Comme les prisons actuelles pourraient devenir de précieux monastères pour ceux qui en accepteraient sagement les passagères épreuves… »

A défaut d’être des monastères, dans un État laïc et républicain où tout prosélytisme est interdit et où chaque religion se doit de respecter les autres, les prisons ne peuvent-elles néanmoins être le lieu d’une réflexion, d’une évolution, voire même d’une conversion pour certains détenus ? Quel est le rôle de la religion pendant et après la détention ?

1.3 Les détenus et la religion

Si la religion catholique a influencé profondément le monde pénitentiaire, quelle est sa place aujourd’hui en détention, que représente-t-elle pour les détenus qui doivent faire face au choc de l’incarcération et à ses conséquences : perte d’intimité, confrontation aux lois du « milieu », solitude, humiliation, perte des liens familiaux, désocialisation ? Quelles sont les missions dévolues à ses représentants ? Comment la loi les définit-elle dans un État laïc et républicain ?

1.3.1 Le cadre légal de l’activité cultuelle en prison

« La pratique religieuse est un des défis auxquels l’administration pénitentiaire est confrontée [37] ».

L’organisation des cultes en prison repose sur deux textes de lois majeurs : La loi de séparation de l’Église et de l’État de 1905 qui énonce que « l’État garantit le libre exercice des cultes » et le code de procédure pénale qui définit les conditions de l’assistance spirituelle aux détenus. Il est à remarquer que cette partie consacrée aux activités cultuelles représente la section première du chapitre X dénommé « Des actions de préparation à la réinsertion des détenus ». Le législateur ne voudrait-il pas indiquer par là le rôle prééminent de cette action pour la réinsertion des  personnes incarcérées et l’importance de la question religieuse en détention ?

Art. D. 432. Chaque détenu doit pouvoir satisfaire aux exigences de sa vie religieuse, morale ou spirituelle.

Art. D. 434. Les aumôniers ont pour mission de célébrer les offices religieux, d’administrer les sacrements et d’apporter aux détenus une assistance pastorale. Ils ne doivent exercer auprès des détenus qu’un rôle spirituel et moral en se conformant aux dispositions du présent titre et au règlement intérieur de l’établissement.

Art. D. 434-1. Les aumôniers peuvent être assistés dans leur mission par des auxiliaires bénévoles d’aumônerie… Ces derniers peuvent animer des groupes de détenus en vue de la réflexion, de la prière et de l’étude. Ils ne peuvent pas avoir d’entretiens individuels avec les détenus.

Art. D. 436. A son arrivée dans l’établissement, chaque détenu est avisé qu’il lui est loisible de recevoir la visite du ministre d’un culte et d’assister aux offices religieux.

Art. D.439. « Les détenus sont autorisés à recevoir ou à conserver en leur possession les objets de pratique religieuse et les livres nécessaires à leur vie spirituelle ».

La reconnaissance de l’importance accordée à l’assistance spirituelle aux détenus est également mise en avant par la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH)[38] qui déclare qu’ « une personne incarcérée est, et demeure, une « personne humaine » à part entière dont les droits fondamentaux ne peuvent être méconnus. Par conséquent, l’État est soumis à diverses obligations pour garantir, en toutes circonstances, le respect des libertés individuelles ». Au nombre de celles-ci, la CNCDH reconnaît la liberté religieuse lorsqu’elle précise plus loin que « la privation de la liberté de mouvement n’est pas la privation de toutes les libertés fondamentales ; que les libertés de pensée, d’opinion, d’expression, d’appartenance politique ou religieuse doivent être, à cet égard, impérativement respectées ».

Deux textes écrits par des détenus illustrent bien la façon dont cette liberté de pensée, d’opinion et d’expression, peut aider des personnes emprisonnées à supporter des conditions de détention difficiles et souvent déshumanisantes. Par la réflexion[39], la méditation et la pensée positives, la spiritualité et la religion, ces deux hommes ont réussi, malgré tout, à entreprendre un chemin de « croissance en humanité », en se réconciliant avec eux-mêmes et les autres et en se libérant intérieurement de leurs peurs et de leur violence :

« Mon corps est enfermé, pas mes pensées : Il y aura bientôt six ans que je suis arrivé ici et je suis en attente d’un jugement en appel. Si je tiens debout, c’est parce que je vis dans une unité à taille humaine (80 détenus en moyenne) et parce qu’en plus du travail, j’ai la chance d’avoir des activités. La marche chaque jour me permet de pratiquer la méditation positive. J’ai accès à l’informatique chaque samedi matin, ainsi qu’à l’aumônerie. J’effectue un travail psychologique hebdomadaire grâce au SMPR [40]. Et puis, je participe à un groupe de réflexion organisé par le SPIP. Le groupe qui se réunit actuellement a choisi pour thème la violence. Il s’agit de favoriser la prise de conscience des processus individuels et sociaux à l’origine des comportements violents. Avec d’autres, je cherche à comprendre pourquoi je suis tombé dans la violence et quel peut être le sens de ce qui m’est arrivé. Ainsi, j’ai accepté de considérer ma chute comme une occasion d’élargir mon horizon pour me confronter aux grandes questions de l’humanité. Qui suis-je ? Ma vie sur terre a-t-elle un sens ? Va-t-elle s’arrêter avec la mort du corps physique ou continuer dans des mondes non matériels ? Avant d’entrer en prison, j’avais deux modèles : Martin Luther King et Gandhi ! J’ai quelque peu échoué au regard de ces modèles, mais je me dis qu’il n’est peut-être pas trop tard pour la suite, si je ne reste pas ici trop longtemps. Je me dépense sans rien exiger, tout en veillant à ne pas me laisser exploiter. Devant l’offense, je me tais ; devant la discorde, je suggère ; devant l’erreur, je m’étonne ; devant le doute, je me motive ; devant le désespoir, je rappelle l’essentiel : la vie. Enfin, devant la tristesse, je bénis les larmes de douceur. Voilà ce que j’essaie de mettre en pratique dans ce lieu pour essayer de le rendre plus humain. Je ne suis pas un surhomme, car ce que j’écris n’est pas toujours facile à pratiquer. Mais je fais tout cela pour survivre[41] ».

« Déchoir ou grandir : Pour commencer, voici en résumé ma condition actuelle.  Je viens d’avoir 49 ans et je suis incarcéré à la maison d’arrêt de Villepinte depuis huit mois. Ceci pour la première fois de mon existence. Le premier mois de détention est épouvantable pour tout le monde. Je n’ai pas fait exception à la règle. Et puis, assez vite, j’ai pressenti que si je ne voulais pas sortir d’ici à genoux (ou pire, les pieds devant), je ne devais pas m’abaisser. Ou m’affaisser. Mais, au contraire, lutter contre la facilité, la démoralisation et l’abrutissement intellectuel générés par l’isolement carcéral. En effet, la prison est un lieu sans nuances où toute situation est exacerbée. Le résultat est que si l’on ne s’élève pas, on tombe. Il n’est pas possible de rester entre les deux, ni de continuer à vivre comme avant. Le prisonnier ne connaît qu’une alternative: déchoir ou grandir. Ceci est le premier principe que j’ai dû intégrer comme une donnée de base. Le second, c’est la souffrance. Ici, elle est partout présente. Elle est dans ce que nous sommes, dans ce que nous vivons, dans ce que nous imaginons. Une fois digérées ces données élémentaires, une autre chose m’est apparue évidente : la souffrance créée par l’enfermement génère une énergie que l’on peut utiliser pour s’élever. Comprendre cela m’a ouvert les yeux. Et permis de voir, autour de moi, l’évolution des copains qui suivaient ce processus : Viktor, qui envoie chaque mois la moitié de son salaire à sa famille. José qui, en modelant de l’argile, a réalisé qu’il était aussi capable de faire de belles choses. Mon histoire aussi, qui a fait de moi un écrivain public pour aider un peu les autres détenus, ceux qui n’ont pas la chance de pouvoir s’exprimer par écrit. J’ai ainsi découvert une autre part de moi-même. Cela m’a conduit à entreprendre un travail de réconciliation intérieure et extérieure. Par notre pensée positive et les actes qui en découlent, nous nous ouvrons à l’existence. Il s’agit, en toutes choses, de choisir la vie, et après tout, on n’en a qu’une. Ou de choisir la mort et il y en a une infinité de possibilités. C’est ce que je veux dire depuis le début : « Choisis ton camp, camarade ».

Un soir, j’ai appris que Patrick Dils[42] venait d’être mis en liberté et réhabilité. Il passait le lendemain dans une émission télévisée. D’habitude, j’évite soigneusement ce genre d’émissions, pourtant, ce jour-là, j’ai fait une exception et je ne l’ai pas regretté. J’ai découvert et écouté un homme qui m’a ébloui. Un homme serein, équilibré, vivant en parfaite harmonie avec lui-même, les autres et l’univers. Un homme bon et lucide, qui a su trouver le chemin de la paix intérieure, dans les conditions les plus difficiles qui soient. En l’écoutant, j’ai pris conscience que ce garçon, libéré deux jours plus tôt, était libre depuis déjà bien longtemps. Par la réflexion et sa remise en question, il a réussi à s’affranchir de ses peurs, à se délivrer de la colère. Nulle violence en lui désormais. Il est l’exemple même de celui  qui a choisi de suivre une voie positive. A tel point qu’en l’écoutant, il me semblait entendre un vieux sage, un ermite descendu de son rocher, qui a perçu les secrets du monde et des hommes. Il est resté si longtemps en prison. Il y a passé la moitié de sa jeune vie. Et le plus étonnant, c’est qu’à peine sorti, il ne pense qu’à y retourner pour voir et aider les copains restés à l’intérieur. Chez lui, nul besoin d’éviter ou de fuir. Beaucoup d’ex-détenus ne pensent qu’à mettre la plus grande distance possible (physique et psychologique) entre la prison et eux. Mais Patrick, lui, n’a pas besoin de s’éloigner pour le faire : il a déjà acquis ce recul. Aussi parle-t-il peu de lui-même. Et quand il le fait, c’est avec sincérité. Il n’a pas oublié, bien sûr, mais il a pardonné cette terrible injustice qui lui a été faite. Sans parler des petites injustices qui sont le lot quotidien du prisonnier. Sans doute, est-ce cette capacité de pardon qui lui donne une telle compassion pour les autres et une telle propension au bonheur pour lui-même. On sent une grande joie pudique sous son calme rayonnant. On peut grandir en prison. Patrick Dils l’a prouvé ce soir-là[43] ».

Mais comment la religion peut-elle aider les détenus à grandir et à entreprendre ce chemin de croissance en humanité, malgré l’épreuve du « choc carcéral » ?

1.3.2 Le choc carcéral

De nombreux observateurs extérieurs ont dressé un constat sévère de la situation actuelle des établissements pénitentiaires :

« Une honte pour la France : Au retour d’une inspection quasi exhaustive des prisons françaises, les auteurs du tout récent rapport parlementaire « La France face à ses prisons » ne mâchent pas leurs mots. Surpeuplement, vétusté, promiscuité, pénurie d’encadrement, obsolescence des organigrammes, incohérence des peines, dénuement des services d’insertion et de probation, et même problèmes de conception des établissements pénitentiaires, corroborent le témoignage de Monique Vasseur dans son livre  « Médecin chef à la prison de la Santé », et soulignent l’indifférence d’une société dont le niveau de vie ne cesse de s’élever. De fait, les bâtiments sont peu et insuffisamment entretenus, faute de crédits. Les prisonniers sont parqués à trois dans des cellules de 9 m2. Ils doivent tout payer, à commencer par le papier hygiénique et le savon pour laver leurs vêtements à l’eau froide à tour de rôle dans le lavabo commun. Insuffisamment encadrés faute de personnel, ils n’ont pas les moyens d’utiliser ce temps pour réorganiser leur vie et préparer leur sortie… [44] »

«  Les remarquables rapports des commissions parlementaires sont sévères : une situation indigne de la patrie des droits de l’homme. S’il s’avère que la prison peut être nécessaire, il faut qu’elle soit digne et humaine et qu’elle puisse surtout servir à la réinsertion sociale des personnes incarcérées[45] ».

« La peine s’abat d’abord sur un homme en chair et en os, menotté, déshabillé, fouillé, mis en cellule, condamné à la limitation de l’espace et des mouvements, à la promiscuité ou à l’isolement, privé d’intimité, frustré de la chaleur, de la lumière, des joies de la table et des caresses des femmes ; dira-t-on que la peine privative de liberté n’est pas une peine corporelle ? Et que serait-elle donc ? [46] »

« … Où qu’ils soient enfermés, les prisonniers disent à peu près tous la même chose : les prisons sont indignes parce que dépersonnalisantes, infantilisantes. Écoutons leur cri : « La prison est pire que je l’imaginais, c’est un « enfer légal [47] ».

« Parlons de cette prison du sud de la France, que je qualifie de la plus belle porcherie de France ! Je n’ai pas vu pire. Voir, dans des cours minuscules, tourner en rond comme des fauves soixante prisonniers hagards, haineux et les entendre crier leur révolte est insoutenable ! Depuis des années, j’assiste au lent calvaire que des milliers de détenus vivent. En attendant, je les vois sortir dynamités de haine, violents, dangereux. Et, pourtant, la loi proclame que la prison n’est que privation de liberté et doit aider à  tout prix à réinsérer, responsabiliser celui qui a fauté, pour qu’il revienne le plus intact possible parmi nous [48] ».

Mais ce sont les détenus eux-mêmes qui expriment le mieux ce que peuvent représenter les souffrances de l’incarcération et du choc qu’elle produit :

« Ma prison est un désert de détresses humaines, de solitudes, d’égoïsmes, de violences, de délits et de crimes de toute nature, un lieu de soifs insatiables et de faims d’absolu, un lieu privilégié pour une rencontre : La rencontre. » [49]

« Quelle horreur de pauvreté, de laideur, de saleté, d’absence d’hygiène, d’absence d’humain. Un monde sans enfant, sans femme, sans rire ; chacun porte sa misère et ne pouvant la supporter, la jette sur les autres par la haine, la violence, l’agression. C’est la loi du plus fort, un système sans loi où est utilisée la domination des plus violents, des délations pour faire fonctionner l’ensemble [50] ».

« C’est une machine à démolir et à exclure davantage ou définitivement l’homme. Ici, tout est froid et glacial, la chaleur humaine est totalement absente. Ne disposant d’aucune intimité ni de possibilité de s’isoler, le détenu vit constamment sous le regard des autres…En prison, tu n’existes plus, tu n’es au courant de rien, on ne te dit rien, tu attends toujours. On laisse les caïds violenter, racketter, humilier les plus faibles. Rien n’est mis en œuvre pour le maintien des liens familiaux. Même la famille peut être mise à l’écart de la société…L’accumulation de ressentiments, d’humiliations nourrit des sentiments de vengeance à l’endroit de la société : la société engendre des êtres dangereux pour elle-même…La prison fabrique de la criminalité et de l’exclusion alors qu’elle prétend lutter contre. On nous enferme tellement dans notre passé qu’il semble qu’il n’y ait plus d’avenir possible. On nous empêche de nous projeter dans l’avenir : ton passé te poursuit toujours…La présomption d’innocence, c’est de la foutaise : mais enfin, si vous êtes en prison, c’est que vous avez quelque chose à vous reprocher ! Même condamné à une petite peine, on est condamné à vie. Plus on rabaissera la dignité des personnes, moins la réinsertion sera facile. Quel est le but de cet enfermement : au bout, il n’y a rien[51] ».

D’autres détenus parlent aussi de leur vie en prison :

«  Il est au pied du mur, il craque et… il essaie ça comme il ferait n’importe quoi d’autre pour survivre psychiquement. Une lettre, un mot, une carte… Peu importe ce qu’il y a dedans, ce qui compte, c’est de sortir de ce trou noir de l’isolement et puis, aussi, de la souffrance de n’avoir plus rien à soi vraiment…Il est plein de haine, veut se venger de ce qui lui arrive… L’amour et la haine, c’est très proche, je ne sais pas de quel côté ça va pencher, ma vie n’a pas d’importance ; je ne tiens qu’avec la haine  !… Entrer en délinquance, c’est entrer dans le monde du mensonge… En prison, tout le monde se méfie de tout le monde : les détenus des gardiens ; les gardiens des détenus ; les détenus entre eux. Chacun a quelque chose à cacher… La détention, à elle seule, est déjà une violence car c’est faire violence à un homme que de le priver de sa liberté. La prison est un monde de violence ; violence verbale d’abord : il faut avoir parcouru les couloirs d’une vieille prison comme Fresnes, par exemple, pour appréhender cet univers de cris et de fureurs qui se répercutent de galerie en galerie. Les hommes réunis par la prison sont presque tous des violents ; c’est même pour cela qu’ils y sont. Violence physique très fréquente entre détenus, dont sont victimes, en premiers, les plus faibles et ceux qui ont commis les délits les plus méprisables. Violences à soi-même : suicides et tentatives de suicide[52]. Violence enfin des surveillants : il leur faut beaucoup de sang-froid pour rester calmes devant l’arrogance ou les injures d’un détenu… Les moments de grande souffrance morale, de cafard ou de déprime plus ou moins longs peuvent entraîner un repli sur soi-même…Une chose qui nous aide à tenir le coup : la HAINE. C’est vrai qu’elle est destructrice, mais elle permet de se battre contre le système [53]… La prison est l’école de la Haine et pour moi un avant-goût de l’Enfer [54] ».

Toutes ces paroles de détenus disent la même chose, on retrouve toujours les mêmes mots : « souffrance, haine, solitude, violence, dignité, vengeance, danger, exclusion, enfer »… Ne seraient-ce pas là les conséquences de ce qu’on appelle le « choc carcéral » ? Qu’en disent les psychologues ?

Le choc de l’incarcération correspond, selon Elvire Blanchon[55], à « l’impact douloureux de l’incarcération sur les repères de la personne détenue ».

Dans son étude, un psychologue du SMPR de la maison d’arrêt de Loos indique que « sur le plan psychopathologique, le choc carcéral ou « sidération carcérale » est un état psychologique induit par l’enfermement. IL concerne les primo-arrivants, et plus particulièrement ceux qui n’arrivent pas à faire le lien entre leur acte et l’incarcération. L’enfermé ressent alors violemment la perte de liberté. La personne est assommée, apathique, angoissée. Souvent la personne choquée est amnésique de son passage à l’acte… L’affrontement à l’enfermement est généralement plus difficile pour les prévenus, car ils sont dépossédés de leurs repères temporels. Le stress diminue après le procès parce que la détention est dorénavant délimitée. L’angoisse de l’enfermement se ressent à l’arrivée, mais elle peut revenir par cycles, ou rester chronique. Il peut arriver que le traumatisme intervienne en cours d’incarcération, favorisé par un événement interne ou externe, ou conséquent à une soudaine prise de conscience…  La notion de « choc de l’incarcération » transparaît également à travers la question du suicide en milieu carcéral. En effet, le choix du suicide en milieu carcéral révèle un mal être chez le détenu. Les études qui ont été menées sur ce sujet ont noté que la sursuicidité observée en milieu carcéral est liée à la condition de détenu et non uniquement à la fragilité psychologique de la population pénale… L’enfermement provoque une détresse psychologique. La consommation accrue de psychotropes en détention dénote un besoin d’être soutenu dans ce qui s’apparente à une épreuve psychologique forte. Cette consommation vise à atténuer la douleur psychique produite par l’incarcération qui vient souvent se surajouter à des troubles préexistants…

… Selon D. LHUILLIER[56], le choc s’exprime par la dépression, l’angoisse, la peur de perdre le soutien des proches, un sentiment profond de solitude, et parfois des manifestations physiques somatiques… L’incarcération met le détenu en danger, et le caractère imposé de l’incarcération le rend impuissant à éviter ce danger. Elle peut représenter une réelle souffrance devant laquelle le détenu est démuni. Le détenu entrant appréhende l’ambiance et le fonctionnement carcéral  auxquels il ne saurait se soustraire, et cette peur le paralyse. Il se sent en danger…  La population carcérale présente des problématiques individuelles souvent lourdes. La plupart est issue d’un milieu social défavorisé, de familles désunies, et se retrouve en situation de grandes carences affectives… ».

En quoi la religion et la fréquentation de l’aumônerie peuvent aider les détenus à mieux supporter ce choc de l’incarcération ? Quelles sont les missions de l’aumônerie et que représente-t-elle pour eux ?

1.3.3 L’aumônerie catholique en détention

L’aumônerie[57] catholique des prisons veut être « une présence d’Eglise auprès des personnes incarcérées. Sa mission est d’accompagner, d’écouter, de redonner confiance dans les rencontres individuelles, de proposer des espaces et des temps de liberté, de vérité, de solidarité dans les réunions de groupe et d’accueillir la Parole, de prier, de célébrer l’Eucharistie et les autres sacrements. Ainsi, personnes détenues et membres de l’équipe, tous ensemble responsables, vivent l’Église en prison… »

Mais comment se traduisent concrètement ces missions dans les établissements ?

1.3.3.1 Les missions de l’aumônier et de son équipe

… « Dans chaque établissement, c’est une équipe qui est envoyée en mission par l’évêque. Elle a le souci de collaborer avec les autres cultes, de s’insérer à sa juste place dans le réseau que constituent les multiples partenaires et intervenants (personnels pénitentiaires, services socio-éducatifs, services de santé, visiteurs, accueils, familles),  de favoriser des relais d’accueil pour les sortants de prison.

La mission des catholiques engagés auprès de personnes incarcérées s’inscrit dans le message biblique de libération. Elle ne nie pas les difficiles problèmes que posent les prisons et les trop nombreuses personnes victimes de la délinquance. Mais elle s’appuie sur l’idée que toute personne humaine doit avoir devant elle un avenir possible.[58] Les catholiques sont invités  à se souvenir des paroles du Christ : « J’étais en prison et vous êtes venus me voir » (Mt 25, 36) Chacun, pour sa part, doit œuvrer en vue de la libération de tous par un travail de réconciliation avec soi-même et avec la société [59] ».

Quelles sont donc plus précisément ces missions ?

« Aujourd’hui, agent de la liberté de conscience du détenu, l’aumônier a désormais un rôle textuel strictement spirituel. Par sa position, par son action, en étant au quotidien avec les détenus, l’aumônier se trouve être un témoin privilégié de la détention En pratique, l’action de l’aumônier s’articule autour de trois axes.

Le premier concerne les visites personnelles, qui se déroulent dans les cellules ou des parloirs.Un long travail d’entretien consiste à les écouter[60] car ils ont besoin de s’exprimer, de confier leurs craintes, leurs espoirs ou leur désespoir. On ne compte pas les questions que se pose un détenu. Il est impossible de mesurer ses craintes. Le monde lui reste étranger et l’étrangeté est toujours source d’angoisse. La confiance de l’aumônier vise à les aider à croire en eux-mêmes, à ne pas se décourager, à reconstruire leur liberté. Il consacre également une partie de son temps à la rencontre collective, à travers l’animation de groupes de réflexion.  Ainsi, à la maison d’arrêt pour hommes de Fresnes, tous les 15 jours, 5 groupes animés par les aumôniers et les auxiliaires bénévoles se consacrent à des réunions de partage, d’enseignement et de réflexion sur la vie. Ces réunions donnent souvent lieu à un débat, et ont l’avantage d’apporter un éclairage nouveau aux interrogations qu’une partie de la population pénale peut se poser. Il s’agit, pour l’aumônier, dans sa perspective de fond, une perspective religieuse, de donner la possibilité à des détenus  de vivre leur foi. La Bible devient prétexte pour faire l’expérience de la conscience de s’exprimer et d’écouter le groupe.

Enfin, les aumôniers célèbrent l’Eucharistie avec, le plus souvent, là encore, un échange sur l’Évangile. Mais il est également certain que l’actuelle tendance de l’aumônier s’inscrit davantage dans un mouvement général de la communauté que dans l’action isolée d’un prêtre : celle de l’aumônerie. Si certains détenus font encore de leur peine de prison l’occasion d’une « conversion[61] » personnelle, il ne s’agit là que d’individualités. De façon générale, le discours de l’aumônier s’oriente autour de la remise en confiance. Concrètement, leur discours consiste à réaffirmer que, quelqu’ils soient et quoi qu’ils aient fait, les détenus sont « aimés par Dieu » et que « la page blanche de la reconstruction de leur vie est toujours  à leur disposition ». En effet, remettre l’Homme debout « consiste à éveiller chez le détenu le sentiment qu’il n’est pas irréductible et limité à son acte, pour amorcer un processus de remise en confiance ». Ce cheminement repose sur le postulat religieux de « l’éminente dignité de l’Homme, fils de Dieu ». L’Homme est en effet revêtu d’une dignité de nature car il a été créé à l’image de Dieu. C’est de ce fait l’image de Dieu dans l’Homme qui fonde la liberté et la dignité de la personne humaine. L’Église a confiance en lui, parce qu’elle sait, que malgré l’héritage du péché, il y a dans la personne humaine des qualités et une bonté fondamentales.

Le discours tenu par l’aumônier n’a à proprement parler de connotation religieuse que lors d’une troisième phase caractéristique des relations qu’il peut avoir avec un détenu. En effet, la première étape réside en une prise de contact  où chacun tente de faire connaissance. Puis, il appartient à l’aumônier de faire comprendre au détenu, en se basant  sur les textes de l’Évangile, que l’Homme est toujours plus important que les actes qu’il a pu commettre. Enfin, ce n’est que lors d’une ultime étape qu’il peut parler d’un engagement de la Foi, toujours à la demande du détenu.

Ainsi, à travers ses missions et son discours, l’échange avec l’aumônier constitue un facteur pouvant favoriser la réinsertion[62] des détenus, au travers d’un processus de resocialisation. L’aumônier, autant par son aide à vivre la détention que par son aide spirituelle et morale, œuvre donc à la réinsertion et dans ce cadre il pourrait s’inscrire dans un travail partenarial avec le service socio-éducatif [63] ».

Le directeur de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis résume ces différentes missions de l’aumônier en parlant de lui comme « d’une ressource essentielle dans la vie de la prison »,  « un porteur d’espérance dont la mission est immense et l’action infinie »[64] .

Quelques témoignages d’aumôniers illustrent cette action auprès des détenus. Voici le texte rédigé par l’aumônier de la MA de Nice à l’intention de ses paroissiens pour mieux leur faire connaître les activités de l’équipe qu’il anime :

« A Nice, comme dans toutes les prisons de France, vit l’équipe d’aumônerie catholique. Envoyée par l’évêque du diocèse et constituée de prêtres, de diacres, religieux, religieuses, laïcs, l’équipe est en mission dans ce lieu où passent, pour un temps plus ou moins long, des hommes et des femmes profondément marqués par l’échec et l’exclusion. L’équipe est appelée à intervenir dans le cadre d’une institution laïque et républicaine dont elle respecte la spécificité. Elle y témoigne auprès de tous de l’Évangile et annonce le Dieu de Jésus-Christ. Comment se concrétise la mission ?

Dans les rencontres individuelles avec les détenus pour les écouter, les accompagner, les éveiller à une responsabilité d’homme, leur redonner confiance, afin qu’ils puissent un jour redevenir des hommes et des femmes « debout » Dans les rencontres de groupe où l’aumônerie propose des espaces de réflexion, de vérité, de solidarité, de prise de parole. Dans les célébrations où l’on partage la prière, la Parole de Dieu, l’Eucharistie et les autres sacrements. Ainsi l’Église a une partie d’elle-même en prison. Sans pour autant oublier les victimes, l’aumônerie nous rappelle que les détenus sont nos frères et nos sœurs. Le Christ est comme chez vous au milieu d’eux. Ils sont des fils et des filles bien-aimés. Ils sont le Corps Souffrant du Christ, quel que soit leur délit, et personne ne pourra, comme l’affirmait le pape Jean-Paul II, « leur enlever leur dignité d’enfants de Dieu ».

Par leurs cris qui ne sont souvent que silence, ils ne crient pas « justice », mais ils crient : « Ne m’ignorez pas, ne m’oubliez pas ». Il nous faut sans cesse leur redonner leur place et leur dignité dans le peuple de Dieu qui pourrait l’oublier. Nous sommes leurs frères du dehors, et nous aussi, comme eux, nous passons parfois, par des temps de solitude, de révolte, de chute, d’amour et d’espérance. Oublier l’Église qui est en prison, ce serait comme si nous perdions ou ne vivions pas notre catholicité. L’Église est pleinement catholique, c’est-à-dire universelle, lorsqu’elle ne laisse aucun de ses plus petits au bord du chemin. Jésus s’est identifié à eux. Nous n’avons pas un « prochain », mais nous nous faisons le « prochain » de l’autre. Dans cette notion du « prochain », nul ne peut être mis de côté, car une humanité d’où un seul est exclu n’est plus l’humanité ».

Le témoignage maintenant de Sœur Isabelle[65], aumônier à Fleury-Mérogis, qui répond à une interview du journal Contact,[66] en novembre 2004. « Au D 2, à Fleury-Mérogis où elle intervient chaque semaine, beaucoup connaissent Sœur Isabelle, aumônier catholique depuis 1997 et régional depuis 2002. Un détenu sur trois l’a rencontrée au moins une fois. L’aumônier, pour elle, a une place à part en détention :

«  Ce sont des visiteurs de prison d’un genre particulier puisqu’ils disposent des clés et sont les seuls à rencontrer les détenus dans leur cellule. Ils célèbrent les sacrements, les fêtes religieuses, animent des groupes de réflexion ou de prière. Alors que le sentiment religieux est en retrait dans la société civile surtout auprès du public qui nous concerne, il prend un autre sens une fois l’incarcération vécue et après la prise de conscience de son geste. C’est là que l’aumônier trouve à intervenir. Ni intérieure, ni extérieure, la place est essentiellement celle de l’écoutant de l’intime de chacun, de ses questions, de ses angoisses. Elle est aussi celle qui témoigne que Dieu n’a pas déserté ce lieu qu’est la prison et qu’il est là, aux côtés des hommes détenus.

C’est une présence qui dit que l’homme incarcéré ne doit jamais être réduit à sa peine ou à son délit. Son rôle est de témoigner que le détenu a une vie, qu’il est un être humain, de témoigner de la possibilité du pardon; de témoigner que la liberté est d’abord en soi, qu’il faut en faire l’apprentissage, en se libérant de ce qui l’entrave (notamment la haine), de témoigner, que seule la vérité peut rendre libre. En effet, reconnaître sa faute, en demander  pardon et en être pardonné, c’est oser découvrir ce que j’appelle nos prisons intérieures ; apprendre à accepter qui on est, ce qu’on a fait, ce que sont les autres…; autant de chemins sur lesquels, si la personne détenue en est d’accord, l’aumônier s’engage avec elle. Le pardon, la compassion, l’écoute… La compassion est essentielle face à une humanité qui souffre. L’aumônier est le seul (avec les surveillants) à entrer en cellule, c’est une présence gratuite qui offre le secret le plus absolu sur ce qui est dit : il devient le dépositaire de cette souffrance qui est souvent très grande. Le détenu a souvent une vraie soif de dire sa faute et d’en être pardonné. Pour cela, il a besoin d’une relation de confiance totale et il doit pouvoir compter sur une parole sûre, celle de Dieu. Les entretiens individuels amènent à une relecture de vie sous le regard de Dieu.

C’est une réponse à un besoin spirituel fondamental pour des hommes face à une étape radicale de leur vie. La prison correspond à un basculement complet et entraîne une confrontation avec soi : Qui suis-je ? Qu’ai-je fait ? Face à un acte terrible, comment continuer à vivre ? C’est l’ouverture du chemin de la vérité. La rédemption devient possible dès lors qu’on sait ce qu’on a fait. La confession est un moment très fort de notre action. La célébration de la messe du dimanche matin attire beaucoup de monde. A Fleury, sur un bâtiment de 550 détenus, 75 sont inscrits à la messe. C’est beaucoup pour un public qui n’était pas pratiquant à l’extérieur. Deux heures de partage de la parole de Dieu, de chants, de musique : c’est un moment intense. On célèbre aussi quelques baptêmes, premières communions et confirmations.»

L’aumônerie est au service des détenus. Mais qui sont-ils ? Quel regard portent-ils sur elle ? Que représente-t-elle pour eux ?

1.3.3.2 L’aumônerie vue et racontée par les détenus

Les détenus de la maison d’arrêt de Nice participant à l’aumônerie ont réalisé et rédigé un rapport qui devait répondre, entre autres, aux questions suivantes :

L’aumônerie, qui, avec qui ?

« L’équipe est composée de l’aumônier, de l’évêque, des auxiliaires bénévoles, des personnes détenues et des donateurs. Tous ensemble, égaux les uns les autres, nous faisons communauté dans l’amour de Dieu. L’aumônerie est un lieu de partage, de prière, d’amour, de foi et de dialogue au cœur de la « jungle » qu’est la prison. Dans cet espace de liberté, seul lieu dans la prison où le chrétien se sent humain, nous passons quelques heures de bonheur à vivre ensemble. Nous avons choisi trois personnes détenues représentatives des participants habituels : Un homme détenu, non pratiquant, arrivé à l’aumônerie pour « voir », découvre peu à peu l’Église, l’Évangile et la communauté des chrétiens. Une personne étrangère qui a une tradition religieuse et pour laquelle l’aumônerie est un moyen d’intégration et un lieu d’expression. Les femmes pratiquantes ou pas, informées par le bouche à oreille, viennent à l’aumônerie pour recréer une cellule familiale. »

S’il n’y avait pas d’aumônerie, qu’est-ce qui manquerait ?…

« Il manquerait l’Église, le message d’espoir du Christ, la porte ouverte sur l’extérieur, l’écoute et le réconfort. Il manquerait un lieu où la personne détenue est perçue autrement que par rapport à l’acte qui l’a conduit en prison, et qui lui permet de ne pas perdre pied. »

Jean-Pierre B., quant à lui, condamné exécutant sa peine au CD de Tarascon, répond à deux questions sur l’importance de la foi et de l’aumônerie pour les détenus :

La foi en Dieu est-elle importante pour tenir ?

« La foi en Dieu pour chacun de nous, nous est donnée à la naissance et lors du baptême, mais au fil des années, nous manquons à notre devoir de pratiquants. Par contre, sans être pratiquants, nous restons croyants. La foi en Dieu, ici nous donne la possibilité de nous rattacher à quelque chose qui peut nous aider à espérer. Mais il est vrai que c’est lorsque l’on se retrouve dans les pires des situations que l’on pense que nous sommes des chrétiens et que nous trouvons le besoin de se pencher vers Dieu en priant et en lisant la Bible. Cette situation de désespoir peut être la cause d’une révélation vers Dieu, le fait de se tourner vers Dieu nous permet de mieux réfléchir et de comprendre certaines choses avec une autre vision. »

Qu’est-ce que vous attendez de l’aumônerie ?

« L’aumônerie nous apporte un soutien très important tant moral, matériel et spirituel. L’aumônerie en prison est le seul havre de paix qu’il puisse y avoir dans un tel endroit de haine et de discrimination. Les rencontres avec les auxiliaires et le père nous donnent la possibilité de recevoir une certaine solidarité, mais aussi ils sont là pour nous écouter (nous qui ne sommes plus écoutés). Le fait de pouvoir exister (de ne pas être seulement un n° de matricule) et d’être écouté, nous fait un grand bien au moral L’aumônerie est un endroit de culte et un endroit spirituel de paix. Mais elle est une entité, au sein d’une prison, nécessaire, elle joue un rôle très important, celle de « soupape de sécurité » et de « cellule de compréhension ». Elle nous donne les notions de solidarité entre nous, et elle peut nous donner le sens d’aimer son prochain et de s’aimer nous-mêmes. En effet, avant d’aimer son prochain, il faut s’aimer. L’aumônerie nous apporte une aide psychologique, lorsque nous traversons des moments très difficiles ; elle permet de nous réunir à travers des offices religieux et là nous sommes tous des frères malgré que nous vivons loin de la solidarité.»

1.4 Entretien avec l’aumônier catholique et des détenus de la MA de Nice

Pour vérifier sur le terrain la pertinence des hypothèses initiales, j’ai pu réaliser des entretiens avec l’aumônier de la MA de Nice ainsi qu’avec cinq détenus hommes et une ancienne détenue femme. Pour avoir un échantillon représentatif, je souhaitais en effet interroger des détenus ou sortants de prison des deux sexes, ainsi que des personnes incarcérées en maison d’arrêt ou en établissement pour peines. Cinq détenus incarcérés à Nice ont accepté de répondre à mes questions ainsi qu’une ancienne détenue suivie par le SPIP milieu ouvert de Nice, incarcérée auparavant en centre de détention CD). Je devais rencontrer un détenu incarcéré au CD de Draguignan mais pour des raisons de santé, le rendez-vous pris a été annulé.

C’est l’aumônier de la MA qui m’a indiqué le nom des détenus susceptibles d’accepter de me rencontrer. En ce qui concerne la jeune femme, c’est moi-même qui, durant mon stage en milieu ouvert, lui ai proposé de participer à un questionnaire sur la religion. Dans les deux cas, comme avec l’aumônier, a été  privilégiée la méthode des entretiens semi-directifs pour favoriser la libre expression dans un domaine pouvant toucher à l’intime et aux convictions personnelles, sur la base cependant d’un questionnaire servant de trame. Cette relative souplesse avait pour but également de pouvoir adapter les questions à l’évolution de l’entretien et à la situation particulière de chacun.

L’entretien avec l’aumônier : Le frère Jean-Claude Sébastien intervient depuis longtemps déjà en tant qu’aumônier catholique à la MA de Nice. Il est également aumônier régional de la région PACA. L’entretien s’est déroulé dans le bureau de son domicile et a duré environ une heure. Après qu’il m’ait présenté le document reproduit à la page 39 de ce mémoire, je lui ai posé quelques questions complémentaires :

Question : Pouvez-vous me présenter l’aumônerie de la MA de Nice ?

Réponse : « En prison, nous formons avant tout une communauté de chrétiens. Je suis assisté par des auxiliaires bénévoles d’aumônerie qui animent des réunions de groupe, comme le groupe biblique qui réunit une dizaine de détenus deux lundi après-midi par mois pour étudier et réfléchir à partir de textes sacrés. Contrairement aux auxiliaires bénévoles, je suis le seul à pouvoir entrer dans les cellules des détenus. »

Q : Quel est le nombre de détenus participant aux offices religieux ?

R : « Je célèbre la messe le samedi matin deux fois par mois pour les hommes. Au quartier B, il y a 27 inscrits, aux quartiers A et D, ils sont 50, ce qui représente un peu plus de 12% de la totalité des détenus de Nice qui sont au nombre de 600 environ. Pour Noël ou Pâques, ils sont beaucoup plus nombreux. Pour les détenues femmes, j’organise un partage de l’évangile qui réunit 6 à 7 filles en moyenne chaque fois sur un total de 40 environ. »

Q : Quel sens a la religion pour les personnes incarcérées ?

R : « pour les détenus, elle représente d’abord un espace de liberté. Ils disent que lorsqu’ils viennent à l’aumônerie, ils ont l’impression de ne plus être en prison. »

Q : Qu’est-ce que la religion leur apporte ?

R : « La possibilité de sortir de leurs cellules, de se retrouver avec d’autres détenus et avec des gens de l’extérieur, de pouvoir parler et d’être écoutés. Des liens profonds se créent entre eux et avec les intervenants. Ils gardent parfois contact à la sortie et certains nous écrivent  pour donner de leurs nouvelles.»

Q : Comment sont-ils perçus par les autres détenus ?

R : « Il leur faut du courage pour aller à la messe et à l’aumônerie. Ils doivent s’affirmer devant les autres et même devant les surveillants. Cela renforce les liens entre eux et crée des relations fraternelles. Ils ont aussi le souci d’accueillir et d’informer les nouveaux détenus  sur la prison et sur les activités de l’aumônerie.»

Q : Avez-vous connaissance de ce qu’ils deviennent après leur sortie ?

R : « En général, non, mais certains nous donnent de leurs nouvelles. Ils préfèrent couper avec la prison ou changent d’adresse et de région. Parfois, nous orientons des sortants de prison qui n’ont pas de point de chute vers les Clarisses de Cimiez qui les accueillent le temps de trouver un hébergement. Cela arrive aussi pour des femmes. Dans ma paroisse, un ancien détenu a pris des responsabilités et participe à l’animation musicale des célébrations.»

Entretiens avec les détenus : Ils se sont déroulés dans les bureaux d’entretiens de la MA pour les détenus hommes et dans un bureau d’entretien du milieu ouvert pour la jeune femme. Six interrogations formaient la trame de mon questionnaire :

Le rapport à la foi avant l’incarcération ?

Le sens et la raison de leur participation à l’aumônerie ?

L’apport de la religion pour supporter la détention ?

Le sens de ce que représente Dieu ?

Ce que la religion a changé dans leur vie ?

Son aide éventuelle pour préparer la sortie ?

Melle R. est âgée d’une trentaine d’années. Elle a été incarcérée à plusieurs reprises à Fresnes puis à Fleury Mérogis. Elle a effectué en tout 16 mois d’emprisonnement. Avant l’incarcération, elle était croyante. Elle était toute seule, n’avait pas d’amis et Dieu était une présence rassurante. Sa famille est d’origine italienne, elle est très croyante. Sa mère va à la messe. Melle R. a été baptisée, est allée au catéchisme et a reçu tous les sacrements. Lorsqu’elle a commencé à faire « ses conneries », elle s’est éloignée de Dieu. Elle dit que Dieu n’est pas responsable. Il représente pour elle « une force », elle a l’impression de « s’adresser à une personne quand elle prie le soir ». En prison, cela lui arrivait chaque soir ; elle avait besoin de se confier à Lui, de Lui livrer ses pensées. Elle assistait à la messe chaque dimanche et avait des entretiens avec l’aumônier quand elle le demandait. Mais les relations étaient un peu difficiles avec lui, ainsi qu’avec les soeurs. Elle ne les sentait « pas trop concernés, ce n’était pas le cœur qui parlait ». Elle dit que Dieu lui a permis de « supporter la prison » et l’a aidée « car c’est dur la détention ». « Finalement tout s’est bien passé, j’avais toujours le sourire, c’est un peu inexpliqué ». Elle remercie Dieu car à travers toutes ses « conneries », elle n’a pas attrapé le VIH, elle dit qu’elle a été protégée.

Mr F. se trouve depuis 15 mois en prison. Il devait passer en cour d’assises début 2005. Il se dit chrétien, est baptisé, est allé au catéchisme et a fait sa confirmation. Il est d’origine corse. Il participait avec sa famille aux traditions religieuses de son village : processions, fêtes… Il se dit superstitieux et aller à la messe dans les moments difficiles. Au début, c’était pour « passer le temps » puis il a cessé d’y aller et est retourné finalement parce que « Jean-Claude est sympa et que Dieu peut nous aider ». Dieu ne représente pas quelque chose de précis, « la nature, une force… ». Il croit au destin, il pense qu’il n’y a pas de hasard et que tout a un sens, une raison, même son drame. Il voudrait que « sa peine serve à quelque chose ».

Mr B. est âgé de 30 ans. Il attend d’être jugé en cour d’assises d’ici 3 ans environ. Il prévoit une condamnation à une peine de 20 ans. Il est en prévention depuis 1an et demi à la maison d’arrêt de Nice. Au moment de son incarcération, il n’avait pas la foi. Il est allé au catéchisme jusqu’à l’âge de 9 ans puis a oublié. Ayant beaucoup de temps libre, il est allé à la messe pour « réapprendre la foi et ce qui touche aux questions existentielles qui étaient en sommeil». Il lit beaucoup, l’Ancien et le Nouveau Testament, et participe aux cours bibliques. Il ne comprend pas les excès de haine de certaines religions qui ont pourtant un message d’amour. Il se dit très heureux de sa vie malgré l’épreuve actuelle. Il « croit à quelque chose au-dessus, un être supérieur, la vie a un sens ». La religion lui apporte « beaucoup de bien », « il apprend des choses qui l’aident à mieux comprendre ». « Tu aimeras ton prochain comme toi-même est un message universel, il devrait être à la base des rapports humains ». Sa recherche spirituelle se situe « à 90% sur un plan intellectuel, pour comprendre qui est Dieu ». Sa préoccupation principale concerne cependant sa femme avec laquelle il parle de sa démarche religieuse. Il envisage de se préparer au baptême. En ce qui concerne les autres détenus qui participent à l’aumônerie, il pense que la grande majorité est sincère. Alors que la « vie carcérale fausse les rapports humains » et conduit « au chacun pour soi », la religion crée « des liens entre eux et les rapproche plus ». Un respect existe selon lui entre les deux religions principales représentées à la maison d’arrêt, les musulmans et les catholiques, mais il « faut faire preuve de discrétion malgré tout ».

Mr R. est âgé d’une trentaine d’années. Il est en préventive depuis 4 mois et demi, il attend de passer en jugement. Il dit avoir connu la galère auparavant. Sa famille est croyante mais il n’est jamais allé au catéchisme. Il ne connaissait rien de Dieu mais est entré en prison avec la foi. Il  fréquentait en effet des centres chrétiens sur Nice avant son incarcération. Il y est allé la première fois à l’invitation d’une amie. Il  a été intéressé. Le « premier contact a été très fort ». Au cours de la messe, il a « ressenti une émotion très vive» qui l’a fait pleurer et lui a permis d’extérioriser tous ses sentiments. Il dit que Dieu est « puissant et qu’il apporte le bon ». Depuis 15 jours, il peut aller à la messe car une place s’est libérée. Il est inscrit également au cours biblique. Il dit lire la Bible et le Nouveau Testament. Pour lui, Jésus est « le Sauveur, c’est quelqu’un de proche ». Il dit prier matin et soir, notamment devant l’image de Ste Rita, sainte particulièrement vénérée à Nice, dont il sent la présence à ses côtés. Il se sent un peu protégé par rapport aux clans qui existent et aux agressions qui peuvent se produire, notamment de la part des musulmans. La religion représente une « force » pour lui et « un soutien pour vivre la détention ». Dieu lui a permis de se « libérer de son passé, de ses dépendances, de son mal-être et de sa honte ». Il veut faire « un trait sur son passé » et demande à Dieu de le libérer de sa « culpabilité » par rapport à sa fille, à sa compagne et à sa famille. Il pense que « Dieu ne le condamne pas mais essaie de l’aider au contraire ». La prison l’a aidé à réfléchir et à « mieux se comprendre ». A la sortie, il veut que « le passé soit fini et qu’il devienne un autre homme en mieux pour ne pas retomber aussi bas ». Il dit avoir été toujours sous-estimé et qu’il a du mal « à se sentir quelqu’un de bien ». « La prison est difficile pour l’orgueil et la dignité ». Dieu l’aide à être « reconsidéré et à retrouver une meilleure image de soi ».

Mr B. est d’origine piémontaise. Il a une soixantaine d’années. Il est incarcéré depuis 21 mois et doit sortir bientôt. Il est marié et père de 4 enfants. Il a exercé des activités d’architecte et d’ingénieur BTP mais aussi de médecin. Pour lui, la prison a deux conséquences : la haine de la société, qui conduit à la récidive, ou la folie qui peut conduire au suicide. La seule possibilité pour lutter contre cela, c’est de « redonner de l’espoir » aux détenus. C’est l’un des buts de la croyance en Dieu. « L’important, c’est le message du Christ, et le rôle de l’Église, c’est de favoriser la diffusion de ce message ». Mais « parler ne suffit pas, il faut donner l’exemple ». En prison, « il n’y a pas de solidarité, pas de respect ». Il faut donc « séparer quand il y a conflit et aider, pour les papiers notamment. On redonne un peu d’espoir comme ça. Il faut aimer et aider les hommes comme soi-même. Il faut aider gratuitement, sans retour. On témoigne de sa foi en aidant les autres et en protégeant les plus faibles ; on amène à l’église comme ça ». Mr B. va à la messe régulièrement, pour se recueillir et rejoindre une communauté chrétienne. « C’est nécessaire car sans la foi, on est perdu ».

Mr C. est corse. Il est âgé d’une cinquante d’années et se trouve en prison depuis 20 ans. Il dit cependant n’avoir « pas de haine ni de rancœur ». Pour lui, sa foi remonte à son enfance et à son éducation, elle est imprégnée en lui. Il a été baptisé et confirmé. La foi représente « la seule force qui aide à surmonter les épreuves, tant de l’incarcération que de la vie en général ». Elle nous aide « à être plus humain ». Chez quelqu’un qui a la foi, on « sent l’humain ». « C’est un baume sur les blessures, un parfum, une lumière quand on a les idées noires où il n’y a plus rien d’humain ». « L’aumônerie est le seul lieu humain de la prison, le seul lieu de liberté et de vérité : pour les autres, c’est l’enfermement : c’est l’enfer-qui-ment ». « 95% des détenus n’ont ni père, ni mère, ni repères. Ils sont perdus, rien ne sert. Ils ne participent aux activités que pour toucher les grâces et les remises de peine. Pour préparer la réinsertion, il faudrait des petits groupes de 3 à 4 personnes pour réfléchir et leur faire comprendre conscience du mal. Ils se foutent de tout. La prison a deux rôles : endurcir ou détruire ». Mr C. se dit en révolte contre l’injustice, contre l’éclatement de la cellule familiale, contre « cette société de m…, cette société du paraître au lieu de l’être ». « Il n’y a plus de repère moral ni de sanction immédiate, notamment à l’école. L’éducation doit porter sur les détails. » Il a fait un « certain choix de vie, en révolte contre la société ». Pour lui, Dieu représente « le Bien ». C’est parce qu’il en a conscience qu’il croit « qu’il est aimé par Lui ». Il pense « que Dieu lui pardonne parce que Jésus a chassé les voleurs du Temple » comme lui a été en révolte contre les injustices. « Je sais que je suis bon dans mon cœur. Je n’ai pas peur de Dieu. Si Dieu n’existait pas, je serais vraiment rebelle ».

1.5 Vérification des hypothèses de départ

Les hypothèses posées en début d’étude répondent-elles bien à la première partie de la question de départ : pourquoi et en quoi la religion peut-elle aider un détenu à mieux supporter l’épreuve de l’incarcération ?

La religion garantit le caractère inaliénable de la dignité humaine.

Parmi tous les témoignages recueillis, le mot qui revient le plus souvent est celui de dignité. Les détenus ont besoin de reconnaissance et de considération. Ils veulent qu’on continue à les considérer comme des êtres humains à part entière malgré les fautes commises. Déjà, en 1889, était revendiqué le droit pour les détenus, même aux pires d’entre eux, de se voir reconnaître leur dignité : « Le principe le plus généreux dont puisse s’honorer notre époque, c’est le respect de la liberté de conscience, c’est-à-dire de la dignité de la personnalité humaine, même chez les êtres dégradés, placés, au nom de la loi et de la morale, sois la main de l’autorité publique.(…)  Nul sentiment n’est donc plus profondément respectable et plus sincèrement respecté chez le détenu que le sentiment religieux [67] ».

L’Église ne dit pas autre chose lorsqu’elle déclare le caractère sacré et inaliénable de la dignité de la personne humaine, créée à l’image de Dieu : « Tous ceux qui vivent, travaillent et agissent au coeur de l’univers carcéral, savent que ce qui est au centre du débat aujourd’hui, c’est la personne, la dignité de la personne, l’avenir de la personne incarcérée, affrontée à elle-même, à son passé, à son présent et à son avenir, à son rapport avec la société [68] ».

Là aussi, l’Église rejoint le tissu associatif qui déclare : « … Notre conviction première est que tout être humain, quelles que soient ses croyances, quelles que soient ses difficultés, a droit au respect de sa dignité [69] ».

D’autres détenus expriment la même exigence : « Pour la dignité du détenu, il faut déjà proscrire le mot « détenu ». Nous sommes des hommes, avec un nom, un prénom. Il faut arriver à sauvegarder et restaurer la dignité de l’homme par des mots, des attitudes et des gestes empreints d’un minimum d’humanité. Plus on rabaissera la dignité des personnes incarcérées, moins la réinsertion sera facile[70] ».

« Ceux que l’on juge et que l’on emprisonne sont toujours des humains, avec ce qu’ils ont de plus sacré, de plus insaisissable : le mystère même de leur personne. Si on vient à briser ce mystère, comment réparer l’acte commis ? Comment préparer l’avenir, la réinsertion ? »…  «  Toute personne est un mystère en lien avec un invisible qui ne peut être accaparé, piétiné, nié. La part la plus intime et la plus profonde de chacun échappe aux regards, aux jugements et aux enfermements. Il y a un secret du coeur sur lequel on n’a pas prise et qui doit être reconnu et respecté. Sinon, comme l’écrit l’une des personnes détenues, c’est une atteinte à l’âme, à l’essentiel. C’est un viol.»… «  La prison nous prive de notre dignité : c’est à la tête du client, il faut avoir la gueule qui plaît. On ne relève pas l’homme, on l’abaisse. La prison, c’est souvent la dignité détruite à perpétuité. Or, la dignité, c’est ton honneur ! On ne peut être digne que si l’autre nous renvoie notre dignité. »… « Personne ne peut m’enlever ma dignité. Ma vie m’appartient, ainsi que mon jardin secret. Cela me fait vivre. Chaque jour qui m’est compté, je n’ai que le désir de vivre[71] ».

Restaurer avant toute autre chose la dignité de la personne détenue semble donc être un préalable pour l’aider à se réinsérer dans la société. Sinon, tout projet visant à préparer l’avenir pourrait être voué à l’échec. Les deux textes suivants le disent de façon explicite :

« En tout cela, il s’agit de la reconnaissance de la personne en prison. N’est-elle pas sujet de droit ? N’est-ce pas justement pour cela qu’elle est en prison ? Tant qu’on ne déchiffrera pas l’avant, tout projet sur l’après ne peut être que cautère sur une jambe de bois  Déjà considérer le détenu comme un homme et ne pas le rabaisser ni le soumettre : il s’agit d’être considéré comme une personne, pas comme un numéro. Le seul remède au mal réside en un soutien humain. Il ranime le désir du prisonnier d’être autre qu’un paria sans rémission : ce que permettent les intervenants extérieurs qui représentent l’aspect social et ouvert de la communauté auprès de ceux qui ne connaissent plus que l’inhibition carcérale. Tant que le détenu est réduit à son délit, rien de bon ne pourra se faire. Nous n’avons pas à payer plusieurs fois : la privation de liberté suffit. L’importance de l’aumônerie : on peut s’exprimer, échanger, notre esprit est là ; on trouve un autre regard, on est quelqu’un ; sous le regard de Dieu, nous retrouvons notre dignité [72] ».

« L’enfermement, non accompagné de mesures éducatives restructurantes aboutit incontestablement à enfoncer plus encore le prisonnier. D’une part, il lui enlève toute autonomie et donc toute chance de se reconstruire activement et, d’autre part, en le confinant dans une situation avilissante, il lui donne le sentiment d’être lui-même victime de la société… Il est bien évident que la prison doit rester une sanction dont la vocation première devrait être de restructurer l’individu en lui faisant prendre conscience de la gravité de ses actes. Malheureusement elle donne le sentiment de surtout mettre provisoirement hors d’état de nuire… Pouvoir rendre leur dignité aux détenus devrait être la vocation principale de la justice. Nous pensons que c’est le manque de respect d’eux-mêmes qui conduit nombre de personnes dans la délinquance

Respecter la dignité d’un homme, ce n’est pas lui chercher des excuses mais bien au contraire, le mettre en face de ses responsabilités et l’aider à les assumer…Même pour un prisonnier non croyant, s’entendre dire qu’il est profondément aimé  malgré tout ce qu’il a pu commettre peut changer définitivement l’horizon d’une vie. Nombreux ont été les déportés qui n’ont dû leur survie qu’à leur foi ou au témoignage de foi de leurs compagnons de concentration. L’Église n’est pas dans les prisons pour recruter des adeptes, elle n’a pas à être démagogue, « caresser » le prisonnier dans le sens de ses aspirations, mais à l’accompagner, à le faire cheminer, sans jamais oublier qu’avant d’être victime d’un univers déshumanisé, le détenu a bafoué la dignité d’autres personnes qui sont peut-être détruites à jamais. La mission de l’Église n’est pas de donner au prisonnier le sentiment qu’il est une erreur judiciaire mais de l’aider au contraire à s’assumer, à prendre conscience de ses errements pour repartir sur d’autres bases…[73] »

2 La religion est une force et un soutien moral pour supporter les difficultés.

Les nombreux témoignages évoquent cet apport de la religion pour aider à affronter et surmonter l’épreuve de l’incarcération. Écoutons encore cette parole :

« Dans ces lieux privilégiés que sont les salles pour la messe ou pour le culte, une lumière est toujours allumée, et Dieu est parmi nous, ce qui nous permet de rester « branchés » en permanence avec le Seigneur. En prison, ces petites lumières éclairent nos vies, nous permettent de rencontrer Dieu, ce qui nous permet de transcender nos peurs et nos angoisses. Le combat spirituel va être le moteur de notre survie. Il va éclairer nos faits et gestes et nous empêcher de sombrer dans le néant, dans la dépression, voire dans le suicide. Pour m’aider au quotidien, j’ai mon jardin secret : ma Bible. C’est par elle que tout commence. Pas un jour ne saurait être digne de ce nom sans une lecture que j’essaie de comprendre, d’analyser et, s’il le faut, d’actualiser à notre époque, à notre vie, à notre isolement [74]. »

Diverses  motivations pousseraient  les détenus à se tourner vers Dieu et le secours de la religion, selon une perspective psychologique analysée par le sociologue des religions H. CARRIER. La prière de demande serait liée à la souffrance de l’homme, la religion devenant une compensation pour la frustration. Une enquête menée par l’auteur en 1963 confirme que la plupart des gens pensent spontanément à Dieu lorsqu’ils sont en difficulté morale ou matérielle. Ce sont les difficultés qui incitent à la pensée religieuse, tandis que les expériences positives de la vie et du monde n’évoquent pas spontanément la présence de Dieu.

« Le croyant adresse ses demandes à son Dieu parce qu’il Le croit puissant, actif, bienveillant, ou du moins, disposé à être apaisé par la supplication. Le degré de détresse psychologique se rapporte directement à la dimension plus personnelle ou plus intériorisée du comportement religieux. Les différentes recherches effectuées (…) laissent apparaître un lien particulier entre la détresse humaine et le mouvement vers une providence divine [75] ».

« La foi en Dieu, ici, nous donne la possibilité de nous rattacher à quelque chose qui peut nous aider à espérer. Mais il est vrai que c’est lorsque l’on se retrouve dans les pires des situations que l’on pense que nous sommes des chrétiens et que nous trouvons le besoin de se pencher vers Dieu en priant et en lisant la Bible. Cette situation de désespoir peut être la cause d’une révélation vers Dieu, le fait de se tourner vers Dieu nous permet de mieux réfléchir et de comprendre certaines choses avec une autre vision[76] ».

« Par sa conduite religieuse, l’homme souffrant d’un manque, restaure un équilibre ou se dédommage d’un désagrément… Les comportements religieux compensent probablement les sentiments de privation plutôt que d’éliminer leurs causes [77]».

Au sujet de la compensation, F. HANKUS  note dans son mémoire que « le psychologue doit envisager deux possibilités : soit la religion est un moyen de se réfugier dans l’imagination affective et dans ce cas l’individu relève alors de la psychopathologie, dans la mesure où il y a altération de sa perception au réel, soit la religion est génératrice d’une activité par laquelle l’individu va surmonter les faiblesses et les insatisfactions qu’il rencontre. Il est commun d’observer la deuxième proposition chez la plupart des croyants et cet aspect que la psychologie définit comme « utilitaire » de la religion est un facteur de motivation psychologique à la conduite religieuse que l’on ne peut ignorer. De fait, cette utilisation de la religion comme compensatrice des frustrations correspond parfaitement à la définition de la motivation psychologique à la conduite religieuse, à savoir, un dynamisme psychique qui pousse l’homme à recourir au surnaturel religieux en vue d’assurer des finalités humaines[78] ».

Si ce processus psychique de recours au spirituel pour aider à surmonter les insatisfactions et les frustrations du quotidien peut s’appliquer à tout homme, combien plus encore peut-il concerner les personnes qui ont à supporter les souffrances de l’enfermement ? Il apparaît ainsi comme « naturel » et conforme à la psychologie humaine que tout individu confronté au choc de l’incarcération se tourne vers un secours spirituel sensé lui apporter écoute, réconfort et soulagement dans un moment d’épreuve particulièrement douloureux.

La religion, par le rite de l’aveu et le pardon des fautes, conduit à une libération intérieure et à une réconciliation avec soi-même et avec les autres.

« Le pardon est guérison de la mémoire pour la libérer vers d’autres projets [79] ».

« Quand je pense au pardon, la seule image qui me vient à l’esprit, c’est le printemps, tout renaît, tout devient possible [80] ».

Une autre motivation psychologique de l’adhésion à une religion concerne la question de la culpabilité, notion essentielle pour les détenus. Cette culpabilité commence par la prise de conscience de leurs fautes, rendue souvent possible par le temps dont ils disposent en prison pour réfléchir sur leur vie passée. E. BLANCHON [81] note dans son mémoire à ce sujet :

« Molina montre que, enfermé, l’individu se retrouve face à lui-même. Le retour sur soi est inévitable. La détention offre un calme méditatif propice à l’introspection. Le détenu est mis face à ses échecs et face aux faits qui l’ont amené ici. La prison est un miroir forcé. Elle renvoie au détenu sa propre faute. Il se concentre sur lui, son passé, sa faute : « Une fois que la porte ou le mur de la prison ou du monastère[82] s’est refermé, il semble que ce qui s’est fermé c’est l’homme lui-même ; il commence alors à se pencher sur soi pour savoir ce qu’il va rencontrer [83] ».

C’est ce qu’exprime Alain[84] quand il dit que « le temps de la prison devrait être un moment privilégié pour restructurer la personne, l’amener à faire son introspection, le bilan de sa vie passée afin de réfléchir sur elle-même et de préparer sa vie à venir. »

Cependant, FREUD constate que « la culpabilité n’appartient pas en propre à la religion. Tout homme y est confronté. Elle est une réalité psychologique qui se forme indépendamment du contexte religieux et c’est précisément en tant que malaise psychologique qu’elle peut orienter vers des conduites religieuses qui aident à s’en libérer. (…). Une fois la religion présente, le sentiment de culpabilité devient indissociable du « péché ». La religion adopte alors deux attitudes : d’une part, elle véhicule l’image d’un Dieu répressif, à qui il est impossible de cacher ses fautes, et d’autre part, conjointement, ce Dieu-sanction va devenir celui qui pardonne les fautes, celui qui à partir du péché va proposer une évolution constructive. Freud exprime bien l’idée de la religion comme outil et cible de l’expression de la névrose individuelle qui serait créée par le refoulement de la culpabilité : « La religion peut épargner aux individus une névrose individuelle, consécutive au refoulement de la culpabilité, en offrant à ses fidèles le rite de la confession par lequel la culpabilité s’exprime et qui oriente les pulsions vers une sublimation religieuse [85] ».

HANKUS explique quant à lui que «  L’efficacité psychologique du rite de la confession semble être indéniable. La culpabilité est un processus dynamique où le premier sentiment est une sorte de pesanteur, la faute créant véritablement un poids psychique. Dans une deuxième phase, la culpabilité se transforme en douleur, communément appelée « remords ». L’agressivité de la faute s’est retournée vers le sujet, à l’intérieur de lui-même. La conséquence de cette souffrance est une sorte de rupture de l’harmonie intérieure comme l’exprime ce détenu : « Il semble que très souvent le détenu soit en conflit avec lui-même. Il est obligé de voir clair dans ce qui l‘a amené en prison. Il n’a que cela penser et très souvent ce retour sur lui-même n‘est pas simple. Il se sent jugé par les uns ou les autres, relations, etc. ; cela se voit dans le regard avec lequel il croise le vôtre ou au contraire cherche à lui échapper… Regarder en face son passé est très douloureux ; quelque chose a été cassé et se brise encore un peu à chaque acte de procédure [86] ».  Le coupable ne s’estime plus soi-même et ne peut plus solliciter l’estime des autres. Ce mécanisme va l’enfermer dans une solitude intense, pouvant entraîner un état dépressif, de par l’isolement qu’inconsciemment il s’impose.

« Il faut reconnaître que le rite religieux de l’aveu[87] pare admirablement aux dangers psychologiques de la culpabilité. La parole en première personne de la confession, dans un rapport d’interlocution, n’avoue pas seulement sur le mode d’une constatation, mais elle libère plus essentiellement en transformant l’adhérence à la pesanteur du passé en orientation vers les possibilités de l’avenir. A l’introversion de l’agressivité dans le remords se substitue une peine librement acceptée et qui, bien conçue, a le sens d’un effort au service des autres. La réconciliation avec soi-même et avec la communauté  fait sortir du retrait en soi-même… L’intrication de la culpabilité psychologique avec le sens du péché, et l’efficacité psychologique du rite de l’aveu fait penser que la culpabilité peut motiver la pratique religieuse [88] ».

Ce point de vue est particulièrement important dans l’étude qui nous occupe et le lien avec le monde carcéral est évident, s’agissant de conséquences psychologiques de la culpabilité sur un individu, incarcéré en l’occurrence [89] ».

Nous venons de le voir, le rite de l’aveu dans la confession a donc pour objectif d’obtenir le pardon divin qui libère du poids de la faute : « Le voeu le plus ardent des hommes, ce qu’ils désirent par-dessus toute chose, c’est d’être pardonné » disait déjà François Mauriac. Le pardon, même s’il semble souvent impossible, n’est-il pas cependant nécessaire à l’homme qui n’existe qu’en relation avec les autres ? Sans pardon, la vie en société serait-elle possible ?

« Le pardon, sauf exception, paraît tout à fait impossible à bien des égards. Chacun semble enfermé dans l’implacable engrenage de cette impossibilité, captif donc de cette logique de l’impardonnable. Pourtant, parce qu’un monde sans pardon serait peut-être invivable, tant pour les victimes que pour les coupables, il faut bien avoir le courage de se demander si ce pardon impossible n’est pas nécessaire. En particulier, pour que soit restaurée aux yeux de tous et de chacun l’image même de la personne ? (…) Comme la prison concerne les personnes et les relations interpersonnelles, le pardon non seulement ne peut être compris qu’à l’intérieur de ce dynamisme personnel mais, d’une certaine manière, il l’accomplit et le couronne. En ce sens, ce qui est dit et vécu du pardon est très révélateur de l’état réel d’une société, c’est-à-dire d’une communauté de personnes, d’une « communion d’uniques [90] ».

Dans le microcosme que constitue la prison, le désir du pardon paraît donc particulièrement important et nécessaire pour les détenus. Il permet de trouver l’apaisement du coeur et de ne pas rester enfermé dans la souffrance de la culpabilité : « Sans pardon, c’est l’enfer. Je le vis intérieurement. Pardonner libère, met le coeur en paix[91] ». « L’aumônerie est un refuge dans ce monde où tout fait mal, où l’on pourra demander et recevoir pardon et apaisement [92] ».

Mais certains détenus se posent la question de la différence entre le pardon de Dieu et celui des hommes. : « Le plus difficile en prison, pour nous tous, c’est de rencontrer le pardon. Le pardon de Dieu, et le pardon des hommes ne sont pour moi pas du tout comparables. Si je suis un chrétien « ordinaire », je trouverai  le pardon de Dieu, entre autre par la confession… Mais le pardon de l’homme, le pardon que nous demandons le jour de notre procès à tous les hommes, ce pardon sera-t-il entendu ? Je ne le pense pas. Et toute la difficulté de notre situation présente est de faire la part entre les « pardons », le pardon de Dieu et le pardon des hommes. Si nous sommes persuadés d’obtenir le pardon du Seigneur, comment se faire pardonner par les hommes ? Pour moi, si ce n’est de purger un certain nombre d’années en prison, je ne vois aucune autre solution[93] ».

Pour beaucoup cependant, le pardon ne veut venir que du spirituel : « En ce qui concerne la détention, évidemment, il y a une quête d’absolution… Cet espoir ne peut venir que du religieux. (…) Par bonheur, ou plus exactement par grâce, personne ne peut reconnaître son péché sans avoir au même moment reconnu Dieu, non au préalable, ni après coup, mais au moment où. A l’instant où Dieu pardonne, il se rend sensible au coeur de l’homme… Le pardon de Dieu, en nous irradiant, nous révèle qui nous sommes : DEVIENS CE QUE TU ES [94] ».

C’est aussi l’une des missions prioritaires de l’Église : « L’Église, au-delà de toute autre institution, a pour mission de montrer que le pardon de Dieu est toujours possible et que ce pardon de Dieu doit ouvrir aussi sur le pardon des hommes. Le pardon n’est ni un rêve ni une utopie. La mission de l’Église est de rendre possible  la réconciliation avec Dieu, avec soi-même, avec les autres. Son ministère est d’abord et surtout un ministère de réconciliation. Elle rend perceptible le signe de la venue du Royaume, le temps de grâce du Seigneur : « Libérer les captifs ». L’Église est un lieu de parole, la prison est un lieu où il n’y a plus de parole. Ceux qui sont envoyés pour servir dans l’univers carcéral savent combien ils doivent écouter pour libérer, car celui qui se sait écouté, se sait exister. Enfin, par sa présence et son action en prison, l’équipe d’aumônerie participe à la reconstruction de la personne. Elle est signe d’un avenir possible parce qu’elle dit l’infini respect de Dieu pour tout homme, elle prend sa part à l’action du Christ qui relève l’homme et peut le faire tenir debout devant Dieu et devant ses frères. Elle peut prononcer une parole qui rend l’homme à son histoire[95] ».

Pour conclure sur ce paragraphe consacré au pardon que le détenu semble pouvoir obtenir essentiellement grâce à la religion, comme nous venons de le montrer, écoutons ce texte rédigé par un groupe d’Action Catholique Ouvrière de la région de Dijon qui résume bien les divers aspects de ce thème :

«N’enfermez personne dans une faute ! L’homme évolue, on ne doit pas l’enfermer dans une faute (un délit, un crime). Ne pas traiter tout détenu comme un être dangereux, sous prétexte de « sécurité » du service… Nombreux ceux qui pourraient avoir une plus grande latitude de mouvement, d’action… D’abord prendre conscience à la fois de propre culpabilité et de la nécessité de la sanction dans le cadre de la vie en société (la prison est une « nécessité » citoyenne). La faute commise fait partie de notre histoire personnelle et collective : comme le Bien, le Mal peut nous aider à nous structurer. On ne peut pas « pardonner » si on ne connaît pas vraiment… D’où la nécessité de s’informer du côté détenu et victime. Notre foi passe obligatoirement par le pardon (accueil et respect de chacun). Le pardon ne peut être sans gestes concrets qui le font voir, qui l’appellent en quelque sorte. En pardonnant, en étant pardonné, on retrouve l’égalité entre hommes, la voie de Dieu Amour qui est pardon continuel. Se dire – même si on a tous du mal à le faire – que la « punition » est nécessaire dans la vie sociale. Pardonner, c’est remettre – reconnaître l’homme debout. Ne pas se taire, ne pas « oublier » : que la vérité soit faite d’abord ! Notre pardon d’hommes vient après celui de Dieu : il nous fait « à l’image de Dieu ». Sans pardon, pas de vie possible : on reste enfermé sur soi-même. Notre foi « se vérifie » par notre capacité à pardonner [96] ».

La religion aide à créer du lien social et favorise l’intégration de la personne dans une communauté de croyants.

Après l’étape indispensable du pardon qui libère du poids de la faute et du repli sur soi, permettant la réconciliation avec Dieu, avec soi-même et avec les autres, la pratique religieuse favorise le lien social par l’appartenance à un groupe de croyants. Elle favorise ainsi la réinsertion de l’individu, à plus forte raison du détenu, dans un tissu humain et social de proximité, préalable à sa réinsertion complète.  La définition de la religion d’Hans Küng, déjà citée précédemment, ne dit pas autre chose : « La religion est une relation réalisée au niveau social-individuel destinée à exprimer de façon vivante, dans une tradition et une communauté… elle crée une communauté et une patrie spirituelles. »

Alors que la prison  exclut l’individu de la société, le coupe de ses repères habituels et l’isole dans un repli sur lui-même pour se protéger de la violence carcérale, la religion  peut au contraire l’aider à s’ouvrir aux autres et à tenter des renouer des relations basées sur le respect, l’écoute, la confiance et le partage, notamment au sein de l’aumônerie qui constitue une communauté à part entière : « L’aumônerie, c’est un lieu de liberté, de rencontre imprévue d’inconnus qui se reconnaissent frères, au-delà des bâtiments et des étages, et peuvent se regarder, s’apprécier, communier au même Dieu. »… « C’est un lieu de rencontre gratuit, un lieu où les barreaux s’éloignent et où chacun peut être aidé à grandir dans sa liberté grâce à l’écoute, au respect, au dialogue. »…« Des gens pas forcément croyants mais qui choisissent de venir pour se retrouver dans un groupe où l’on ne juge pas, où l’on accueille. »…« Des personnes chrétiennes détenues ou non qui ont décidé de se rassembler pour partager leur vie, leurs expériences, leur foi. »…« Un endroit unique qui permet de redevenir un humain à part entière, de retrouver confiance en soi, et par la prière, de retrouver le chemin qui mène à Dieu[97] ».

Il apparaît, au terme de cette première partie, que les hypothèses de départ soient bien validées par les résultats de nos entretiens et de notre recherche. Tous les témoignages recueillis, directement ou indirectement, accordent à la foi et à la religion ainsi qu’aux équipes d’aumônerie, une importance certaine et même souvent essentielle pour les aider à vivre leurs conditions de détention, quand ce n’est pas pour survivre tout simplement. Écoutons ce texte d’un détenu, Paul, qui résume à lui seul ces propos. Sa prière, d’abord personnelle, s’étend à ses proches puis à ses compagnons de détention. Le « je » du début devient un « nous » à la fin. Sa relation à Dieu et son identification au Christ qui lui aussi a connu la même situation, l’a ouvert et tourné vers les autres alors qu’il était replié sur sa propre souffrance. L’exemple du pardon du Christ à ses bourreaux le conduit à demander lui-même le pardon de ses fautes, ouvrant ainsi un chemin de réconciliation  avec les autres. L’espérance et la confiance exprimées en Dieu lui apportent réconfort et paix du coeur. Il découvre qu’il ne peut être réduit à sa seule peine et que sa valeur est plus grande que sa faute :

« Seigneur ! On me dit que je dois prier. Mais comment puis-je prier, moi qui suis si malheureux ? Comment puis-je te parler dans les conditions où je me trouve ? Je suis triste, je suis méprisé, parfois je suis désespéré. Je serais disposé à blasphémer plutôt qu’à prier. Je  souffre profondément parce que tous sont contre moi et me jugent mal ; parce que je suis ici, loin des miens, arraché à mes occupations, sans liberté et sans honneur. Et j’ai perdu la paix : comment puis-je prier, ô Seigneur ? Maintenant, je regarde vers toi qui as été en Croix. Toi aussi, Seigneur, tu as connu la souffrance : oui, et quelle souffrance ! Je le sais : tu étais sage, tu étais innocent et on t’a calomnié, on t’a déshonoré, on t’a fait un procès, on t’a flagellé, on t’a crucifié, on t’a mis à mort. Pourquoi ? Où est la justice ? Et tu as été capable de pardonner à ceux qui t’ont traité si injustement et si cruellement ? Tu as été capable de prier pour eux ? Bien plus, me dit-on, tu t’es laissé torturer de la sorte pour sauver tes bourreaux, pour nous sauver, nous les hommes pécheurs, pour me sauver, moi aussi ?

S’il en est ainsi, Seigneur, c’est signe que l’on peut être bon au fond du coeur, même quand on a sur les épaules une condamnation des tribunaux humains. Moi aussi Seigneur, au fond de mon âme, je me sens meilleur que les autres ne le croient ! Je sais moi aussi ce qu’est la justice, ce qu’est l’honnêteté, ce qu’est l’honneur, ce qu’est la bonté. Devant toi, ces pensées me viennent à l’esprit : les vois-tu ? Vois-tu que je suis dégoûté de mes misères ? Vois-tu que je voudrais crier et pleurer ? Me comprends-tu, ô Seigneur ? Est-ce là ma prière ? Oui, c’est là ma prière : du fond de mon amertume, j’élève ma voix vers toi, ne la repousse pas. Toi du moins, ô Seigneur, la paix du coeur, donne-moi une conscience tranquille ; une conscience neuve, capable de pensées bonnes. Eh bien, ô Seigneur, c’est à toi que je m ‘adresse : si j’ai péché, pardonne-moi ! Tous les hommes ont besoin de pardon et de miséricorde : je te prie pour moi !

Et puis, Seigneur, je te prie pour ceux que j’aime, qui me sont encore si chers ! Seigneur, aide-les ; Seigneur, console-les ; Seigneur, fais qu’ils se souviennent de moi, qu’ils m’aiment encore ! J’ai tellement besoin de savoir qui pense encore à moi, qui m’aime encore. Et à ces compagnons d’aventure et d’affliction, proches de moi dans cette maison d’arrêt, Seigneur montre aussi ta miséricorde. Sois miséricordieux pour tous, oui, même pour ceux qui nous font souffrir, pour tous, nous sommes tous des êtres humains dans ce monde malheureux. Mais nous sommes, ô Seigneur, tes créatures, tes semblables, tes frères. O Christ, aie pitié de nous ! A notre pauvre voix, nous joindrons la voix douce et innocente de la Vierge, de Marie très sainte qui est ta mère et qui est aussi pour nous une mère d’intercession et de consolation. O Seigneur, donne-nous ta paix ; donne-nous ton espérance ![98] »

« La prison doit être le lieu où une construction, une reconstruction de soi est accompagnée, encouragée, soutenue, afin de permettre l’émergence d’un sens à l’incarcération et à la prise en charge de la sortie. (…) Il faut penser toute incarcération à partir de la sortie et non de l’entrée, à partir de la réhabilitation et non de la seule sanction. »

Isabelle Le Bourgeois, aumônier à Fleury-Mérogis

« J’espère sortir meilleur de cette épreuve. Ce qui est sûr, c’est que si je sors de prison un jour, je ferai en sorte de ne plus récidiver. Vous savez, si on venait à me relâcher maintenant, je ne suis pas sûr de me tenir à carreaux, j’ai envie de changer mais j’ai encore du chemin à faire. Mais j’y arriverai, c’est sûr! (…) Je vous remercie pour tous les conseils que vous m’avez donnés. Mon chemin maintenant sera celui de la Bible, au moins je suis sûr qu’il sera droit.»

Jean-Michel, lettre d’un détenu à son aumônier

« Ce qui est important pour chaque homme, ce qui confère un poids à sa vie, c’est qu’il se sait aimé par Dieu. Celui-là précisément qui est dans une situation difficile tient bon quand il sait que quelqu’un l’attend, qu’il est désiré et utile ».

Cardinal Joseph Ratzinger.

« Qui sauve une vie, c’est comme s’il avait sauvé le monde ».

Talmud.

Deuxième partie : religion et réinsertion

Des aumôniers catholiques et protestants expriment leur avis sur la réinsertion des détenus :

« La prison a la prétention de resocialiser des personnes en leur imposant la pire des vies sociales que l’on puisse imaginer. La prison a la prétention d’amender, de changer les personnes en leur imposant dans la pratique de devenir pires. La prison a la prétention de réinsérer les personnes en les coupant violemment de tout ce qui pourrait les aider à le faire (vie de famille, emploi stable, vie sociale normale).  La prison a la prétention de lutter pour la dignité humaine en cassant toute dignité, toute confiance en soi, toute espérance, la personnalité et la réputation des personnes incarcérées. La prison a la prétention de former en déformant, de stabiliser en déstabilisant, de rendre meilleur en rendant pire, de protéger la société en formant des récidivistes qu’elle fait devenir des fauves [99] ».

« Demander à la prison de « réinsérer » un détenu en le désinsérant par la prison est un pari quasi intenable. Telles sont les questions posées par Michel Foucault dans « surveiller et punir » déjà dans les années …70. Ce sont ces questions que l’on voudrait voit traiter dans les médias et que les pouvoirs civils ont à débattre, plutôt que de parler des rats qui continuent de toute façon de profiter de leur liberté dans les fossés et les cours de la Santé. Ce sont les détenus eux-mêmes que l’on aimerait entendre s’exprimer sur la violence, physique et sexuelle, les haines, les clans, les mafias, les trafics et leurs caïds, les exclusions qui ne font que reproduire ce qui se passe tous les jours dans le monde libre. Ce sont les « indigents », ceux qui n’ont pas de quoi « cantiner », même pas des paquets de pâtes et du riz pour améliorer l’ordinaire que nous voudrions entendre ». En tout cas, c’est ce qu’on entend quotidiennement dans les visites dans les cellules et les rencontres d’aumônerie, ouvertes à tous, de la prison de la Santé. Et c’est cela qui est le plus facilement réalisable, non pas pour « adoucir » les détenus comme le souhaiterait l’administration pénitentiaire, mais pour que s’expriment les solitudes, les souffrances, les cris, les vies passées et à venir[100]. »

« Le condamné demeure membre de la société dont il a transgressé les règles. Il incombe à la justice de lui dire sa transgression et de le sanctionner, en le traitant avec le respect du à tout homme. Et la société devient alors responsable de sa réinsertion : à l’issue de sa peine, il doit pouvoir redevenir citoyen à part entière. Une peine ne demeure humaine que si elle permet à la personne qui la subit de ne pas désespérer. Une peine incompressible ou trop longue engendre un processus de désocialisation qui peut devenir irréversible. Plus que sa durée, c’est le contenu de la peine qui va favoriser ou non le retour d’une personne incarcérée dans la société. Une vraie réinsertion est peut-être possible quand on permet à une personne de s’engager à donner sens à son temps de détention – temps de réparation et temps de réinsertion – et de lui en donner les moyens : un travail correctement rémunéré pour payer sa dette aux victimes et à la société, une formation adaptée à la demande sociale, des activités culturelles et spirituelles libres qui disent l’absolu de la dignité humaine, et le minimum d’intimité qui lui garantisse un espace personnel… Le maintien des liens familiaux contribue aussi à ce que la peine demeure « humaine » [101] ».

L’institution pénitentiaire a pour mission essentielle de garder les détenus mais aussi de les réinsérer pour éviter la récidive. Les textes définissent ces missions mais que signifie le terme de « réinsertion » ? Laisse-t-il entendre qu’il y a eu insertion  avant l’incarcération et qu’il y aura donc réinsertion après ? Qu’est-ce que l’insertion sociale ? L’être humain est-il d’abord un être social ? Pourquoi le détenu qui demeure avant tout un être humain est-il souvent aussi en situation d’exclusion et d’échec ? Qu’est-ce qui pourrait l’aider à sortir de ce processus de désocialisation pour retrouver sa place de citoyen dans la société ? La religion peut-elle y contribuer ? Le rôle des aumôniers n’est-il pas aussi de participer à cette redynamisation et à cette resocialisation ?

2.1 Rappel sur la mission de réinsertion des Conseillers d’Insertion et de Probation

« L’article D 478 du CPP demande au service public pénitentiaire de « permettre au détenu de préparer sa libération » et, avec l’article D 460, mandate plus précisément le SPIP pour aider les détenus  à préparer leur réinsertion sociale. La  circulaire du 15/10/1999 sur les missions du SPIP met l’accent sur deux idées-force concernant la préparation à la sortie :

– qui « doit être pensée dès les premiers temps de la détention » pour construire un « parcours de réinsertion » ;

– mobiliser des partenaires locaux sur la prévention de la récidive et être orientée vers le droit commun [102] ».

Au niveau européen, l’accent est mis également sur l’objectif de la préparation à la sortie et sur le respect des valeurs nécessaires à sa réalisation :

« L’article 3 de la Recommandation n° R(87)3 du comité des ministres aux états membres sur les règles pénitentiaires européennes précise : « Les buts du traitement des détenus doivent être de préserver leur santé et de sauvegarder leur dignité et, dans la mesure où la durée de la peine le permet, de développer leur sens des responsabilités et de les doter de compétences qui les aideront à se réintégrer dans la société, à vivre dans la légalité et à subvenir à leurs propres besoins après leur sortie de prison. »

L’article 65 note : « Il convient de (…) réduire au minimum les effets préjudiciables de la détention et les différences entre la vie carcérale et la vie en liberté afin que les détenus ne perdent pas le respect d’autrui et le sens de leur responsabilité personnelle et de maintenir et renforcer les liens des détenus avec les membres de leur famille et avec le monde extérieur dans l’intérêt des uns et des autres. »

L’article 70 indique quant à lui : « (…) On doit se garder de faire sentir aux détenus qu’ils sont exclus de la société, mais bien au contraire leur donner à penser qu’ils continuent à en faire partie [103] ».

La CNCDH ajoute, pour sa part, que « les missions de l’AP doivent être redéfinies pour faire de la période d’incarcération un moment organisé autour de la restauration du lien social, en prévision de la sortie de prison. (…) Il convient de renforcer l’importance de la mission de resocialisation dans tous les domaines de l’activité carcérale[104] ».

Malgré la difficulté de définir précisément ce qu’est la réinsertion, tentons de mieux comprendre cependant les différents sens qu’elle peut recouper, en particulier à travers les notions d’insertion, de réinsertion, d’exclusion, de resocialisation et de citoyenneté.

2.2 La notion de réinsertion

« D’après le Petit Robert, qui illustre d’ailleurs la définition du mot par l’exemple « la réinsertion sociale des détenus », la réinsertion c’est le fait de réinsérer (spécialement quelqu’un dans la société, dans un groupe) et « réinsérer », c’est insérer à nouveau, « réintroduire » [105] ». « Pris au pied de la lettre, la réinsertion supposerait qu’il y ait eu d’abord insertion, puis dés-insertion et enfin ré-insertion. Le critère des trois temps serait la délinquance : un sujet est réputé inséré tant qu’il ne commet pas d’infraction pénale ; il est réputé désinséré lorsqu’il a perpétré un acte délictueux ; il est ensuite réinséré du moment qu’il s’installe dans un état de non récidive [106] ».

Au-delà de ce critère de « délinquance », il semble plus pertinent de définir la notion de réinsertion par rapport à celle de resocialisation :

« (…) si le résultat de l’insertion est l’intégration d’un individu ou d’un groupe dans un milieu social différent, la réinsertion est le « fait de réinsérer, de resocialiser ».

Dans le dictionnaire critique de l’action sociale, l’insertion tire son origine du latin « in sere », c’est-à-dire introduire dans, entrelacer, et « désigne à la fois un processus et un état qui conduit un sujet à trouver une place reconnue dans un système », laquelle peut prendre plusieurs figures : insertion professionnelle, sociale. En dépit du succès actuel du terme, l’insertion n’est pas encore un concept reconnu. Le flou sémantique et la polysémie dont il est l’objet s’expliquent par le fait qu’il est de l’ordre de l’action et ne réfère pas à la catégorie de la pratique. Le dictionnaire poursuit : « Si l’insertion professionnelle est nécessaire, elle n’est sans doute pas suffisante pour définir un état d’insertion ». Celui-ci est multidimensionnel et l’accès à l’emploi conditionne mais n’épuise pas la globalité. D’où le recours à la notion d’insertion sociale. Dès lors, la notion d’insertion s’enrichit par des objectifs centrés sur la personne, tels ceux de resocialisation, restructuration, réalisation de soi comme sujet, et ce, au moyen d’une pédagogie de la réussite. L’insertion signifie à la fois un travail de restauration ou de restructuration des identités, de recomposition du réseau de relations de la personne, un nouvel ancrage dans le tissu social, un échange et un lien entre la personne et la société. En ce sens, cette définition rejoint celle d’une partie des aumôniers : si le bien-être matériel acquis par le travail et le logement, est la manifestation la plus tangible d’une insertion réussie, il doit être relativisé au regard de l’importance de la socialisation des individus. Ces aumôniers repèrent trois notions fondamentales : le besoin de travail, la nécessité d’un logement, et l’envie de relations sociales. Mais, pour eux, là où les professionnels de la réinsertion se trompent, c’est dans la démarche d’insertion qui pose le travail et le logement comme priorités. Le père L. précise même que « le chrétien qui aime et qui est aimé peut survivre dans la rue en se débrouillant. Mais il ne peut pas vivre s’il n’a pas un réseau de relations ». Poussant le raisonnement plus loin, un aumônier se réfère à la notion de « citoyenneté » : la réinsertion, c’est pour quelqu’un qui a un jour dévié d’une trajectoire, arrive à devenir un citoyen à part entière. L’absence de relation à autrui est la marque de la plus grande pauvreté qui soit : la solitude. De plus, être inséré par une citoyenneté reconnue, c’est accepter les règles édictées par la société. Pour lui, on ne devient pas citoyen seul, mais avec et dans la société. Ces arguments reprennent en fait la théorie de la sociabilité naturelle de l’Homme dispensée par la doctrine sociale de l’Église [107] ».

Ce texte rejoint bien les questions posées au début de cette étude et y répond de façon explicite. L’homme est un être social qui a autant besoin d’être intégré sur un plan matériel qu’humain et relationnel. Il convient avant tout de l’aider à se structurer et à construire son identité pour qu’il puisse entrer en relation avec les autres, préalable à toute socialisation. Nous l’avons vu, l’aumônerie catholique peut être l’un de ces lieux de restauration du lien social où le détenu peut être écouté et s’exprimer librement, sans jugement de valeur et sans être enfermé dans sa faute. Un lieu d’échange et d’ouverture avec l’extérieur, un lieu de respect de sa dignité et de reconstruction de son identité par le renvoi d’une image plus positive de soi, un lieu de réconciliation. Si le détenu a souvent connu un parcours d’exclusion, L’Église affirme cependant qu’il est un être social naturellement, un être de relations.

2.3 La sociabilité naturelle de l’Homme selon la doctrine sociale de l’Église

La doctrine sociale de l’Église considère la personne comme fondement et fin de la vie sociale. « Si Dieu a aimé l’Homme à ce point, cela signifie que l’Homme lui appartient et que la personne humaine doit  absolument être respectée. Tel est l’enseignement de l’Église, qui pour la solution des questions sociales a toujours fixé le regard sur la personne humaine et a enseigné que les institutions et les choses – les biens, l’économie, l’État – sont surtout pour l’homme et non l’homme pour elles (Radio-message Noël 1959).  L’origine et la fin essentielle de la vie sociale, c’est la conservation, le développement, le perfectionnement de la personne humaine à qui cette vie sociale permet de mettre concrètement en oeuvre les règles et les valeurs de la religion et de la culture destinées par le Créateur à chaque homme et à toute l’humanité.  Ce que reprend le Concile Vatican II en affirmant la sociabilité  naturelle de l’homme : « En effet, la personne humaine qui, de par sa nature même, a absolument besoin d’une vie sociale, est et doit être le principe, le sujet et la fin de toutes les institutions. » (GS, I, 2).  En effet, dès la création, l’homme a été conçu comme un être social : « Dieu n’a pas créé l’homme solitaire : dès l’origine, « Il les créa homme et femme » (Gn 1, 27). Cette société de l’homme et de la femme est l’expression première de la communion des personnes. Car l’homme, de par sa nature profonde, est un être social et, sans relations avec autrui, il ne peut ni vivre ni épanouir ses qualités[108] (GS, I, 1).  L’homme est né pour vivre en société, car, ne pouvant dans l’isolement ni se procurer ce qui est nécessaire et utile à la vie, ni acquérir la perfection de l’esprit et du coeur, la Providence l’a fait pour s’unir à ses semblables en une société tant domestique que civile, seule capable de fournir ce qu’il faut à la perfection de l’existence. La vie sociale n’est donc pas extérieure à l’homme : il ne peut croître et réaliser sa vocation qu’en relation avec les autres. L’homme appartient à diverses communautés : familiale, professionnelle, politique, et c’est en leur sein qu’il doit exercer sa liberté responsable. Cette « socialisation » qui se démultiplie dans les sociétés développées contemporaines, ne doit pas porter atteinte à la « personnalisation », à ce qui fait l’objet même de toute société humaine, la promotion et le respect de la personne.  (…) Cellule première et vitale de la société, la famille est la première école des vertus sociales dont aucune société ne peut se passer. En elle, la nation trouve la racine naturelle et féconde de sa grandeur et de sa puissance. La famille a des liens organiques et vitaux avec la société parce qu’elle en constitue le fondement et qu’elle la sustente sans cesse en réalisant son service de la vie : c’est au sein de la famille en effet que naissent les citoyens et dans la famille qu’ils font le premier apprentissage des vertus sociales, qui sont pour la société l’âme de sa vie et de son développement [109] ».

L’homme serait donc un être social par nature selon l’Église, et c’est au sein de la famille qu’il fait l’apprentissage des premières règles de vie en société, prémisses de sa vie sociale future. C’est au sein de la famille que l’enfant se construit et structure sa personnalité et son identité par les relations nouées avec ses parents et son entourage. Les carences relationnelles et affectives peuvent avoir des conséquences négatives sur son développement psychique et même moteur. De nombreux troubles du comportement ou pathologies d’ordre psychologique tirent leur origine de ce déficit de relation et de communication avec un environnement affectif proche et sécurisant. Les troubles psychologiques (dépressions, conduites addictives, troubles du comportement, tendances suicidaires, etc.) rencontrés de plus en plus souvent en détention reflètent souvent des carences en termes de lien familial. La crise de la famille qui a abouti à l’éclatement des modèles traditionnels a sans doute favorisé cette perte de repères et cette difficulté de construction de son identité. C’est pourquoi la question des liens familiaux est essentielle, en particulier pour les personnes incarcérées. L’enfermement les prive de tout contact avec l’extérieur et les plonge dans une solitude insupportable pouvant faire rejaillir des souffrances liées à l’enfance, restées enfouies jusque là :

« La personne ne se découvre, ne se délivre et ne devient elle-même que dans la relation interpersonnelle. Coupée de sa famille, de ses amis, de ses proches, elle n’est plus reliée au flux de la vie ; elle est recroquevillée sur elle-même, repliée, véritablement enfermée dans un trou noir : elle ne respire plus [110] ».

« Le plus dur, c’est le début : surtout le souci pour la famille, le travail… ; le plus dur, c’est que la prison nous coupe de tout, surtout de la famille et des amis : la solitude qui naît de l’indifférence. »

« La privation de liberté, c’est la coupure avec la famille laissée sans ressources, à moins que ce soit la famille elle-même qui abandonne le détenu à son sort. Ma famille m’a abandonné à cause de la durée. La prison c’est le lieu où on fait éclater la famille. On a l’impression de ne plus exister pour personne, même pour notre famille. »

« Les enfants sont les premières victimes de l’incarcération de leurs parents, qui a pour conséquence de disloquer le cadre de vie familial. Des professionnels ont mis en évidence les graves conséquences de la séparation parentale brutale sur le développement de l’enfant. »

« Mr K., sa femme et son fils formaient une famille. Cette famille donnait un rôle social à Mr K, qui par ailleurs ne connaissait pas de stabilité professionnelle. En craignant de perdre sa famille, il craint de perdre ce qui le structure socialement. N’ayant pas connu l’amour familial jusqu’ici, il est particulièrement attaché à sa vie de famille. Il se sent délaissé par la société, et sa femme a su lui tendre la main, l’aider à rompre avec un comportement délictuel, elle est son garde-fou. Elle a un rôle pour lui de contenant, de cadre, de repère de référence. Il a peur de perdre ce seul repère. Sans elle, il est perdu [111] ».

Toute personne peut cependant surmonter les souffrances et traumatismes subis antérieurement. B. CYRULNIK[112] définit la notion de « résilience » comme la capacité pour les individus à « reprendre un chemin de vie » :

« La résilience est la capacité à reprendre un chemin de vie après une déchirure, un traumatisme. Le processus de résilience est déclenché par une rencontre qui modifie l’idée qu’on a de soi. Ce peut être une personne qui nous aidera à reconnaître qu’on a été blessé et à faire le bilan de nos ressources internes et externes, ou également la découverte d’un métier, d’une institution. Même les petits accrocs de la vie peuvent l’enclencher, s’ils viennent réveiller un traumatisme initial méconnu. Certains, comme les carences affectives, sont insidieux et sont les plus durs à affronter car on arrive ni à les identifier, ni à les nommer. Or, pour que le processus de résilience se mette en place, il faut savoir où et comment on a été blessé. Un accroc qui permet de prendre conscience de ce qu’on a souffert peut effectivement conduire à la résilience. On peut mettre des chances de son côté en repérant les gens et les choses qui nous font du bien. En travaillant son empathie qui est un facteur de résilience. Se mettre à la place de l’autre, l’écouter, le comprendre permet de créer des liens solides. Et l’image que l’autre nous renvoie de nous-mêmes peut transformer celle qu’on se faisait. »

L’aumônerie paraît être l’un de ces lieux où la résilience semble possible pour les détenus. Elle va favoriser leur resocialisation en leur permettant de s’intégrer dans une communauté de croyants partageant les mêmes valeurs, d’être reconnus comme des êtres humains à part entière et de s’exprimer librement  sans peur d’être jugés.

2.4 L’aumônerie et la réinsertion des détenus

« Par ses envoyés auprès des détenus, l’Église est une institution qui se soucie du demain, du retour, de la réhabilitation et de notre réinsertion…J’attends de l’aumônerie qu’elle prépare chaque individu à sa sortie en lui gardant l’espoir en l’humanité… Qu’elle nous aide à préparer l’avenir dans la confiance en nous-mêmes… Que l’aumônerie fasse venir le plus possible de personnes de l’extérieur qui nous font découvrir des choses de leur compétence, de leur passion… Cela nous donne des pistes pour notre avenir, des projets pour la sortie… Je souhaite un lien plus fort avec les communautés extérieures qui pourraient nous aider à la sortie…[113] »

Les détenus attendent bien cette aide de l’aumônerie pour préparer leur avenir. Ils comptent aussi sur les communautés extérieures pour les aider à se réinsérer, montrant par là l’importance du lien social et de l’appartenance à un groupe auquel l’on peut s’identifier pour ne pas rester seul et se désocialiser ou se marginaliser. La conclusion de l’étude de L. LELOUP consacrée à « la place de l’aumônier catholique au regard de la réinsertion des détenus », déjà citée précédemment, affirme bien ce rôle de l’aumônier catholique dans le processus de réinsertion du détenu : « Ainsi, à travers ses missions et son discours, l’échange avec l’aumônier constitue un facteur pouvant favoriser la réinsertion des détenus, au travers d’un processus de resocialisation. L’aumônier, autant par son aide à vivre la détention que par son aide spirituelle et morale, œuvre donc à la réinsertion et dans ce cadre il pourrait s’inscrire dans un travail partenarial avec le service socio-éducatif. »

Le travail de recherche d’E. NGUYEN-PHUNG dont nous nous sommes déjà aussi inspirés auparavant, confirme cette importance de l’assistance apportée au détenu par l’aumônier :

« L’aumônier peut créer du lien social lorsque l’individu n’a personne avec qui communiquer. Pour les détenus croyants notamment, la religion faisant partie de leur identité culturelle, pratiquer la religion en prison et rencontrer l’aumônier peuvent permettre de lutter contre une crise d’identité. Comme nous l’avons vu, l’aumônier ne rencontre pas seulement les détenus croyants ; ce qu’il veut privilégier avant tout, c’est le contact, l’écoute et la relation humaine. Le travailleur social ne peut qu’encourager une telle pratique. L’aumônier apporte non seulement une écoute mais également une aide psychologique. Lors de mes entretiens exploratoires avec les détenus, ceux-ci me faisaient part de la place d’interlocuteur privilégié qu’avait l’aumônier en détention. Monsieur L soulignait le caractère privilégié de sa relation avec les détenus, en me disant que par rapport à un travailleur social, il avait le temps de parler et d’écouter. L’aumônier a une « aura » particulière, et les détenus ont une confiance envers lui qu’ils n’ont pas forcément avec n’importe quel intervenant. En outre, en raison d’un nombre insuffisant de visiteurs de prison, l’aumônier peut parfois représenter la seule personne venant de l’extérieur, et il n’est pas rare de voir des musulmans présents à l’aumônerie catholique ; malgré la différence de religion, les musulmans ressentent une certaine communion d’esprit. Concernant le maintien des liens familiaux, nous avons vu que l’aumônier ne peut en aucun cas suppléer à l’action du travailleur social. Mais il peut lui signaler un détenu qui n’a pas eu de nouvelles de sa famille, par exemple. En ce qui concerne le maintien des liens sociaux, on peut considérer que la religion fait partie du lien social au travers notamment des cercles bibliques, où plusieurs échanges ont lieu entre personnes de diverses confessions. De ce fait, toute activité de groupe est la bienvenue, car elle peut aider efficacement la socialisation nécessaire pour le retour à la vie normale[114] ».

Des membres de l’équipe d’aumônerie de la maison d’arrêt de Loos s’expriment également sur leur rôle de réinsertion auprès des détenus :

« Le Père V. conçoit la réinsertion en tant qu’aide à la personne, afin qu’elle puisse se reconstruire, et effectuer un retour sur elle-même et afin qu’elle puisse s’améliorer et s’amender. Il estime que la société doit juger quelqu’un non pour l’exclure mais pour qu’il retrouve sa place en son sein.

Monsieur L. estime, quant à lui, que les aumôniers sont un rouage de l’insertion, qu’ils sont présents pour empêcher que les personnes ne sombrent plus profondément dans le désespoir. Par sa présence, il veut notamment essayer d’éviter certains dérapages des détenus ; il me raconte qu’il pense avoir pu aider un détenu qui souhaitait mettre fin à ses jours en discutant longuement avec lui.

Sœur S. souhaite aider la personne à se reconstruire psychologiquement. Elle veut également empêcher que les liens avec l’extérieur ne se distendent davantage. Pour elle, l’insertion peut passer par des choses infimes (un regard, une parole par exemple). Elle considère que l’assistance spirituelle est une aide très importante pour éviter les effets désocialisants de l’incarcération, et que, par ce biais, elle participe activement à sa mission de réinsertion des détenues.

Pour le Père D., « la mission d’un serviteur de Dieu est d’aider la personne à se déshabiller d’elle-même et à se vêtir avec d’autres vêtements ; cela doit représenter un nouveau départ, une aide à la réinsertion ».

« Pour l’aumônier des mineurs, un aumônier sait qu’il n’est pas un éducateur ni un travailleur social ; il estime donc que la préparation à la sortie n’est pas vraiment son rôle ; concernant un éventuel suivi après la sortie du détenu, il considère que ce n’est plus de sa compétence. Mais il lui est arrivé d’aider certains mineurs à élaborer des projets de sortie car ceux-ci lui en faisaient la demande expresse. Il laisse les coordonnées de son association d’aide aux jeunes en difficulté aux mineurs sortants qui le désirent. Cependant, il n’a jamais eu de nouvelles des jeunes qu’il rencontrait en prison ; en fait, il trouve cela normal  car les anciens détenus veulent couper avec la prison. Son désir serait cependant de les aider à l’extérieur pour qu’ils ne commettent pas à nouveau des actes délictueux. Il y a un an de cela, la Protection Judiciaire de la Jeunesse de Lille (PJJ), l’a contacté et lui a demandé d’aider les jeunes à formaliser leurs projets. Plus qu’ailleurs, au quartier des mineurs, l’aumônier a un rôle à jouer dans la réinsertion des jeunes [115] ».

Tout l’enjeu de la réinsertion dépend de la préparation à la sortie réalisée en prison mais aussi de l’accompagnement du détenu à l’extérieur. Tout le travail réalisé pendant la détention pourrait être réduit à néant s’il n’était pas soutenu et aidé, au moins encore pendant un certain temps[116]. Le sortant de prison doit tout réapprendre, et ce, proportionnellement à la durée de sa détention. D’une vie totalement organisée par le règlement intérieur, il doit passer soudain à une vie où il doit refaire  l’apprentissage des usages sociaux. Il doit réapprendre l’autonomie et la responsabilité. Le détenu a conscience de sa fragilité psychologique à sa sortie de prison. Il exprime fréquemment sa peur du « dehors », ses craintes de reprendre une vie de famille, de se débrouiller seul pour retrouver un emploi, un logement, pour effectuer des démarches administratives. Le plus difficile à supporter est la solitude, surtout pour celui qui n’a pas de famille ou d’amis :

« Je suis rentré chez moi et les miens étaient présents. Mais combien sortent sans être accueillis ! Ce support affectif est un réconfort primordial : d’emblée, vous vous réinstallez dans vos « murs » avec moins d’appréhension. Les jours qui ont suivi ma sortie furent moins euphoriques. Le quotidien est semé de difficultés pour un ancien détenu. Par exemple, il est difficile de reprendre le volant de sa voiture. Il faut surveiller son discours pour ne pas utiliser le jargon de la prison. Il faut aussi redevenir pudique dans son espace de vie (wc, douche…). Ces détails montrent la déstructuration résultant de l’enfermement. En voici d’autres : répondre à la sonnerie de la porte, aux communications téléphoniques, s’occuper d’un animal familier, de la gazinière, la machine à laver…  Sortir de son domicile n’est pas aisé, à cause du regard des autres. Et puis, toute infraction, même bénigne, provoque l’angoisse. On se sent citoyen de second rang. La pression sociale qui pèse sur un ancien détenu est forte dans ce climat sécuritaire entretenu par les médias. (…) Une fois sorti, il faut redevenir un homme (ou une femme) dans toute sa mesure. Pouvoir avoir des sentiments, des émotions et aussi des joies, des plaisirs. Je crois que c’est une étape incontournable pour tenter d’éloigner la prison de soi mais aussi et surtout pour ne pas céder aux tentations de la récidive. Il s’agit de remettre en marche des parts de soi-même occultées durant l’enfermement. Lorsque je suis sorti, je me suis promis de parler de ceux qui restent. Pour cela, j’ai gardé des relations avec quelques personnes que j’appréciais et avec des gars qui ont été libérés. J’ai des contacts écrits réguliers avec quelques détenus pour leur montrer qu’ils ne sont pas oubliés, qu’ils existent encore et sont dignes d’une correspondance, donc de respect. Mais j’y trouve aussi un intérêt, car ce contact me permet de ne pas rompre brutalement avec une période récente de ma vie. Je reste aussi en contact avec deux personnes sorties dans les mêmes périodes que moi et avec lesquelles j’ai fait du théâtre au Centre de Détention. Le point commun de nombreux anciens détenus est de ne plus avoir de projets pour commencer à se reconstruire. Ils portent encore le poids des années marquées par un manque d’initiative et d’esprit créatif. A la sortie, la solitude est très présente et il faut faire des efforts pour vraiment se réinsérer. Je pense à un ancien avec lequel j’effectuais toutes mes promenades, qui ne voulait plus voir ni entendre parler des autres après sa libération. Aujourd’hui libéré, il a dû mettre de côté ses anciennes résolutions sous le poids de la solitude puisqu’il me relance régulièrement pour m’inviter, mon épouse et moi, à venir partager un repas avec lui. Pour ma part, je désire rester en lien avec l’équipe d’aumônerie du CD,  par amitié mais aussi pour les aider à développer l’action qu’ils mènent auprès des prisonniers et à l’extérieur, j’essaie aussi de faire vivre l’activité théâtre auprès de détenus, après en avoir fait moi-même pendant mon incarcération [117] ».

« Je suis à un mois de la sortie, j’ai peur ! Il y a trop de personnes qui ont peur de sortir : se dire « je suis bien ici », c’est grave ! On nous enferme tellement dans notre passé qu’il semble qu’il n’y ait plus d’avenir possible. Quand je sortirai, les autres en me serrant la main, penseront toujours que j’ai été un taulard. La prison produit des pestiférés dont la société se garde avec précaution. A notre sortie, à nous de nous débrouiller pour trouver un travail ; c’est très dur, vu le passé carcéral : la prison, ça fait un trou dans notre C.V.…. On ne compte pas les questions que se pose un détenu libéré. Il est impossible de mesurer ses craintes. Le monde lui reste étranger et l’étrangeté est toujours source d’angoisses. On nous empêche de nous projeter dans l’avenir : ton passé te poursuit toujours ! … [118] »

« Un marginal est un homme qui a subi une carence affective, éducative, instructive, sociale, culturelle, spirituelle. A cause de cela, il va en prison et quand il en sort, le contexte social, affectif est encore plus appauvri lui aussi. Il faut rajouter d’autres pauvretés : il est devenu un handicapé mental de la volonté, il a perdu le goût de l’effort physique et mental. Il a subi, en prison, une atrophie mentale, une sclérose du vocabulaire, un appauvrissement des ressources physiques, il est amoindri, il ne tourne qu’à 10% de ses possibilités de base qui, elles-mêmes, sont carencées. A sa sortie, il a le désir, la sincérité, la volonté de s’en sortir, il ne le peut pas, il n’en a pas les moyens, la volonté, la maturité, l’instruction, l’éducation, etc.[119] ».

Pour faire la jonction entre l’univers carcéral et la vie extérieure, plusieurs associations d’aide aux sortants de prison ont vu le jour, dans un objectif d’accompagnement à la réinsertion. Un certain nombre est d’inspiration chrétienne, voulant associer assistance matérielle et spirituelle. Elles considèrent en effet que ces deux aspects sont complémentaires pour prendre en compte la globalité de la personne. Nous présentons quatre associations qui ont été créées dans cet esprit mais il en existe d’autres.

2.5 Présentation d’associations d’aide à la réinsertion des sortants de prison

La « Fraternité du Bon Larron »[120] : C’est peut-être l’association  la plus connue et la plus représentative. De nombreux détenus connaissent bien la péniche baptisée Tibériade, amarrée sur les quais de la Seine, à Boulogne-Billancourt. Elle a accueilli en 8 ans 260 sortants de prison. Selon ses statuts, l’association a pour objet :

– durant la détention d’apporter aux détenus des prisons et à leur famille :

– une proposition aimante de la foi dans le respect de leur liberté.

– une aide efficace sur tous les terrains possibles d’ordre humain et spirituel en lien avec les autres initiatives d’aide aux détenus.

– à leur libération : Un accompagnement d’ordre humain et spirituel pour les aider à prendre ou reprendre place dans l’Église et dans la société.

L’historique de l’association : « En 1981, alors qu’il venait de créer des groupes de prière à Versailles, le Père Aubry eut la révélation par l’Esprit Saint qu’il allait être nommé aumônier de la toute nouvelle prison de Bois d’Arcy. Cela lui fut effectivement confirmé par l’Évêque de Versailles quelques jours plus tard. Entrant dans cette nouvelle prison, une parole de Dieu lui monta au coeur : « Tu annonceras ma Parole à temps et à contre- temps, à tous, partout, quoi qu’il arrive. Tu ne construiras pas de mouvement de ton initiative. Tu ne chercheras pas de collaborateurs, c’est Moi qui te les donnerai. » Dans cette prison, il était difficile de savoir par où commencer. C’est ainsi qu’un surveillant lui indiqua un jeune qui n’en pouvait plus, et qui pleurait. Ce fut le premier contact, suivi de nombreux autres. Le Père Aubry avait toujours la même parole : « N’aie pas peur. Il y en a Un qui t’aime. Il est plus fort que tout. Aucun mur de béton ne t’empêchera de le rejoindre. Il est ton ami, prends sa main, Il va te conduire. » Puis ce fut le directeur de la prison qui accepta qu’il réunisse les détenus par groupes de 25, lui assurant qu’il n’aurait pas beaucoup de travail car « ils ne couraient pas après le Bon Dieu ». Le Père obtint cependant de pouvoir réunir autant de groupes qu’il le voudrait. Il ne fallut que quelques semaines pour que les groupes se réunissent à l’aumônerie tout au long de la journée. C’est ainsi que, de messe de Noël en Résurrection, les détenus ont compris qu’un Autre les aimait tels qu’ils étaient, qu’au milieu de leur peine et dans leur cellule ils pouvaient découvrir la paix et la joie. Les détenus pouvaient ainsi s’écrier : « Les gars je suis heureux en prison ! Je ne sais comment vous dire, mais c’est vrai, je suis heureux en prison depuis que j’ai rencontré mon Seigneur. » Cette expérience de  Dieu qui guérissait les coeurs, les envahissant dans leur misère, a fait grandir cette conviction que la Parole de Dieu fait vraiment ce qu’Elle dit.

Fondé sur cette conviction, le Père Aubry a créé « Le Bon Larron » pour permettre à des chrétiens d’être évangélisateurs, et par là même de s’évangéliser eux mêmes. Ce sont des chrétiens qui annoncent la Parole avec force, avec conviction, avec une brutalité d’amour qui fait choc et qui réveille. Ces chrétiens sont alors des accompagnateurs spirituels de ceux des détenus qui ont découvert le Christ Jésus à l’annonce de la Parole de Dieu : «  Si quelqu’un garde ma parole, Je me manifesterai à lui. » « Le Bon Larron » a peu à peu pris de l’extension en France, et même à l’étranger. En 1998, un nouveau pas a été franchi avec la transformation de l’association, loi 1901, en Association privée de fidèles, reconnue par l’Évêque de Versailles. En 1990 est organisé à Draveil en lien avec la Fraternité Internationale des Prisons une réunion regroupant une vingtaine de pays dans  lesquelles commencent à naître des fraternités analogues au « Bon Larron ». Ce fut un CRS qui eut l’idée d’acquérir une barge, reste du débarquement en Normandie, pour accueillir des sortants de prison ! Après avoir commencé à accueillir quelques prisonniers, il fallut aménager plus sérieusement la péniche. Un sponsor accepta de payer les travaux. Un couple, Jacques et Geneviève, envoyé par le Seigneur, accepta de donner une âme à la future communauté qui allait embarquer sur « Tibériade ».

Témoignage de Jacques et Geneviève : Nous voulons accueillir les gars qui sortent de prison dan un climat familial et chaleureux. C’est cette atmosphère de famille qui les touche d’abord, eux qui n’ont connu le plus souvent que la haine, la division et le mépris. Nous tenons  aussi à les accueillir dans le respect et la dignité. Chacun a sa petite chambre, et les lieux de vie commune sont simples, beaux et confortables. Tout cela a été possible grâce à la générosité des membres de la Fraternité. Aidés par Bernard, précieux pour les travaux d’entretien du bateau, nous avons fait fonctionner la péniche pendant huit ans, assistés par Jean-Jacques et Marie-France dans les dernières années. Nous avons été soutenus par des « anciens » pour entraîner les nouveaux sur des chemins de vérité. Michel est l’un d’eux ; il sert d’ange gardien pour ceux qui ont besoin d’un accompagnement dans leurs démarches officielles et leur éviter les embuscades : bars, dealers…

Qu’avons-nous vécu avec les gars ? Certes nous les aidons dans leurs démarches d’insertion sociale et professionnelle, mais le plus important est leur reconstruction intérieure. « A quoi sert d’avoir une belle maison, un travail, si c’est fondé sur du sable (drogue, alcool) ? » leur disait Jacques. Il faut s’occuper des fondations et pour cela transformer son coeur. Par des rencontres régulières le lundi, Jacques donne, en bon père de famille, des nouveaux repères. Puis par des rencontres individuelles régulières, chacun peut commencer à livrer son coeur et à changer. La demi-heure de présence quotidienne à la chapelle est primordiale, elle est demandée à chacun le midi ou le soir. Là, ils apprennent les premières prières que l’on balbutiait autrefois sur les genoux de nos mamans : le « Notre Père », le « Je vous salue Marie ». Ils découvrent que le capitaine est un  Père attentif à leurs besoins et qu’ils ont une Maman : Marie.

Quels fruits avons-nous vu ? Il y a d’abord ceux que nous ne voyons pas, toutes ces merveilles que Dieu a faites dans les coeurs et que nous découvrirons au Ciel. Puis, il y a tous ces petits fiorettis qui mettent du baume au coeur dans les moments de découragement et donnent la force de continuer. Ainsi un jeune d’origine musulmane est venu chez nous sous un faux nom. Depuis plus de dix ans, il vivait avec cette fausse identité. Au bout de quelque temps chez nous, suite à une eucharistie où Jacques lui a donné le baiser de paix, il a complètement craqué et avoué sa véritable identité. « Je ne pouvais plus vous mentir, vous avez trop d’amour pour nous. » Priez pour lui, dans son pays, c’est la prison qui l’attend. L’Amour, oui c’est vraiment l’Amour qui sauve et reconstruit les gars, et qui les entraîne à faire la vérité dans leur vie. Un autre s’est confessé alors qu’il ne l’avait pas fait depuis de nombreuses années. C’est pour lui une joie de pouvoir aller maintenant communier et de trouver là un moyen de guérison pour sa maladie : l’alcoolisme. Deux gars, qui ont été accueillis il y a quelques années, se préparent à entrer chez les frères de St Jean. Enfin, il y a tous ces petits mots qu’on entend au quotidien : « on est au calme ici », « ici, j’ai trouvé une famille », « j’aime bien la chapelle ». De plus, il y a la participation active des gars à la prière. Ce qui nous a fait souffrir, c’est que nous ne pouvions accueillir seulement que dix gars à la fois. C’est ainsi que suite au texte reçu dans le groupe de prière de la péniche : « Allons ! Allons ! Quittez en hâte le pays du Nord, allons ! Sion échappe-toi, toi qui es installée à Babylone. » Nous recherchons un moyen de continuer dans un environnement plus favorable. Nous rechercherons alors, comme par le passé, toute sorte d’aide : permanente, temporaire, ponctuelle. L’aide apportée par des papis et des mamies, renforçant l’équipe, alors qu’une partie était en pélé a été précieuse. Des liens d’amitié  et de convivialité se sont alors créés. Vous ne pouvez savoir combien nos frères détenus sont des êtres sensibles et attachants, souvent pleins d’humour. Avec eux, on passe tellement de bons moments. Merci de vos prières. Jacques et Geneviève. »

Témoignage de Jean-Jacques Henri : « Je suis moi-même un ancien détenu ; j’ai 54 ans ; le Seigneur m’a ouvert les yeux et m’a guéri intérieurement, il y a 10 ans, lors d’un pèlerinage à Lourdes. Depuis, j’ai décidé de consacrer ma vie aux personnes qui souffrent. Marié depuis 8 ans avec Marie-France, je suis père de 3 enfants et grand-père. Je me suis d’abord occupé de mon frère paraplégique. J’ai ensuite travaillé pendant 5 ans comme responsable adjoint sur la péniche Tibériade à Boulogne. Je suis entré dans l’Oeuvre des Orphelins apprentis d’Auteuil pendant 2 ans et demi comme responsable d’une annexe d’établissement pour les jeunes les plus en difficulté. Je suis actuellement en train de créer un lieu de vie pour des jeunes de 16 à 21 ans en rupture sociale (PJJ et placement Aide Sociale à l’Enfance, ASE) à Chiche dans les Deux-Sèvres, soutenu en cela par une association que j’ai créée avec des amis et connaissances intitulée « La Maison Dominique Savio ». C’est volontiers que je réponds à l’invitation de D. Flichy de présenter ma candidature au Bon Larron afin d’aider à la continuité de l’oeuvre du Père Aubry que j’ai eu l’occasion de beaucoup apprécier. »

Léonard raconte comment il a retrouvé Dieu en prison, grâce au Père Aubry :

« Je m’appelle Léonard, je suis natif de la Haute-Corse. A 27 ans, je me suis marié. Pour faire vivre ma famille, j’ai décidé de devenir meunier. Puis j’ai voulu industrialiser la farine de châtaigne. J’ai convaincu les paysans de la région et au bout de quelques années, notre petite usine de séchage de châtaignes marchait très bien. J’étais un homme heureux. Quand tout paraissait aller bien, un drame est arrivé. Après 32 ans, j’ai dû tout quitter. De 1978 à 1983, Dieu était perdu pour moi. Puis un nouveau drame m’a amené à Bois d’Arcy où j’ai rencontré le Père Aubry. J’avais appris qu’il y avait une aumônerie et, petit à petit, tous les jours, j’y allais. Et cette parole du Père Aubry commençait à me remuer complètement. Je ne pouvais me passer d’entendre cette parole  et le soir dans ma cellule je la revivais. Le Père Aubry est allé rechercher ma foi, il l’a réveillée. Depuis, je n’ai plus qu’un désir : dire à tout le monde qu’il n’y a que Dieu qui peut nous donner la joie ! Les joies humaines sont des illusions. (…) Je lui ai donné ma vie. Dans la prison, à ceux qui me le demandaient je disais : « Pour être toujours joyeux, priez : vous ne trouverez le bonheur qu’en Dieu ». Les jeunes venaient vers moi : « Tu sais, Pépé, je fais une demande pour ma permission, il faut que tu pries. Il faut que nous soyons deux. Si tu pries aussi ce sera mieux. » Et il priait avec moi. Il faut témoigner ! Il faut parler de Dieu ! »

Père Aubry : «  tous les vendredis, Léonard faisait son chemin de Croix dans la cour, au milieu de tous les détenus, à genoux, chantant entre chaque station… Sa foi était si vraie qu’aucun autre détenu ne s’est moqué de lui. »

D’autres témoignages de détenus relatent leur rencontre avec Dieu et le changement produit dans leur vie. Ludovic, ancien détenu, ou cet homme de 55 ans toujours incarcéré, vont même jusqu’à reconnaître le bienfait qu’a pu leur apporter la prison dans ce chemin de reconstruction et de renouveau :

« Je ne souhaite à personne d’aller en prison, mais si je n’y étais pas allé, je ne vivrais pas ce que je vis actuellement, je n’aurais pas ce recul par rapport à ce qui se vit actuellement dans le monde, recul aussi par rapport au péché. L’image de la prison me revient à l’occasion de toute tentation de faute. Je prends conscience du mal que je commets, ou suis sur le point de commettre. Maintenant, je ne peux plus ne pas demander pardon ! »… « Voyez-vous, cher Père, cela peut paraître étrange mais je suis obligé de vous dire que je suis personnellement heureux ici, dans cette prison de B. Oui, particulièrement et personnellement heureux dans cette prison où le Bon Dieu a voulu me mettre. Oui, ses desseins sont impénétrables, indéchiffrables et je Le remercie à chaque instant pour ce bonheur qu’Il m’a donné de pouvoir, grâce à l’isolement ici, coupé de la vie courante, prier, méditer, m’entretenir avec Lui quand bon me semble. »

D’autres, comme Serge, converti en prison, ont ressenti le besoin de « se mettre totalement au service de leurs frères sortants de prison » :

« Je voudrais revenir en arrière, au temps où j’étais un délinquant… Cette grâce de conversion m’a été donnée par des personnes qui viennent annoncer la Parole en prison. J’étais si loin de Dieu ! La vie en prison nous met dans une situation d’angoisse lancinante… par l’enfermement, les portes qu’on ne peut ouvrir… l’angoisse du jugement qui vient… Il faut essayer de voir clair dans ce milieu angoissant ! Tout ce que m’a apporté le Bon Larron, c’est la vérité ! J’ai compris que Dieu était bien vivant, qu’on ne m’avait pas trompé ! Puis Dieu, c’est un Etre si merveilleux, si grand et si présent au fond de nous-mêmes que, lorsqu’on se convertit, on sent monter pour Lui un sentiment tellement grand, tellement fort…qu’on en devient amoureux. On est amoureux de Dieu ! C’est ce que j’avais compris. C’est cela que je veux communiquer aux autres. C’est-à-dire que la Lumière qui est Dieu illumine leurs ténèbres. En nous aidant à comprendre cela, le Seigneur nous envoie aimer ceux qui sont plus pauvres que nous, plus « écrasés », plus « dépassés »…

Dans la prison, j’ai rencontré Dieu en profondeur. J’ai eu une chance formidable, c’est d’avoir le Père Aubry qui, par l’annonce de la Parole qu’il faisait à l’aumônerie, tout d’un coup, m’a fait tomber en pleurs devant le Seigneur. Puis Sœur Marie-Agnès m’a beaucoup suivi en devenant la confidente de mes découvertes spirituelles et de mes combats. Sœur Marie-Agnès était ma visiteuse. Tout seul, je serais retombé dans la délinquance. Maintenant, je vis en communauté avec Sœur Marie-Agnès et Sœur Jacqueline : avec elles, tout au long du jour, je vis la règle de leur ordre et récite l’Office. Quelle découverte et quelle force j’y puise ! Un jour, j’ai compris que la justice condamne l’action d’un homme qui n’existe plus. On cherche à le punir mais pas à le guérir. Si personne ne l’aide, comment voulez-vous qu’il garde l’espoir de se relever ? Qu’en sera-t-il si la Parole ne nous est pas dite? Alors, j’ai voulu me mettre totalement au service de mes frères sortants de prison. J’ai donné mon compte, me privant de salaire. J’ai convaincu la Supérieure et la Congrégation et nous avons monté une association. Sous la conduite du Seigneur, nous avons appelé l’association « Lève-toi et marche ». Avant de nous préparer une maison, le Seigneur avait préparé mon cœur. Je crois maintenant deviner ce qu’est la Miséricorde. La plus belle preuve d’amour c’est de donner sa vie pour ceux qu’on aime. »

Commentaires du Père Aubry : Il ne faut pas oublier que Serge a découvert le Seigneur dans la prison. Il y a des situations très douloureuses pour l’homme qui sont en même temps des situations de salut. C’est vrai pour la prison, c’est vrai pour chacun d’entre nous. « Tout coopère au bien de ceux qui aiment Dieu ! » Remarquez comment Serge est devenu missionnaire dans sa prison et comment il le demeure à sa sortie ! Il a choisi, avec une toute petite retraite, de rester seul dans une petite chambre, dans la région parisienne. Il parcourt la France et témoigne. C’est maintenant sa vie!»

Il est intéressant de noter comment certains anciens détenus, tels Serge ou Jean Bernier, déjà cité, devenu moine cistercien après sa conversion en prison, peuvent apprendre à respecter les règles de leur ordre religieux, après celui de l’établissement pénitentiaire, alors qu’ils ne vivaient souvent auparavant que sous la seule loi de leur bon plaisir, en-dehors de toute règle sociale. La prison, selon ce que nous évoquions précédemment, ne serait-elle pas un lieu propice à la « conversion » en mettant le détenu dans des conditions de solitude et de retrait du monde aptes à les faire réfléchir et à entreprendre un chemin de renouveau humain et spirituel ? Voyons comment Serge a trouvé sa place dans cette communauté « Lève-toi et marche » et quelle est cette association d’aide à la réinsertion des sortants de prison.

L’Association « Lève-toi et marche »[121] : C’est une association qui concilie assistance spirituelle et aide matérielle en proposant un parcours de réinsertion vers l’autonomie, par l’hébergement collectif puis individuel, à des sortants de prison qui n’ont pas d’environnement humain pour les soutenir. La revue « Famille Chrétienne »[122] présentait cette association en ces termes : « Quinze ans d’existence et plus de quatre cents résidents accueillis : le foyer de l’association « Lève-toi et marche » est une oasis sur la route sinueuse d’hommes en grande difficulté. Notamment des anciens détenus. »

Rappel historique de sa création : « Depuis 10 ans, trois religieuses franciscaines et un ancien détenu, Serge, vivent en communauté et accueillent des frères sortants de prison ou sans domicile fixe. Cette mission, ils la vivent dans la foi en l’appel reçu du Seigneur. Sœur Marie-Agnès est visiteuse de prison et c’est en 1986 qu’elle y a rencontré Serge ayant vécu de nombreuses années de délinquance. Il allait terminer 12 ans de prison en des séjours répétés. Lors de sa première incarcération, le Seigneur l’attendait là… Accompagné par Sœur Marie-Agnès pendant 2 ans, il a fait la découverte de la miséricorde et de la tendresse de Dieu qui lui pardonnait toute sa vie passée. C’était un homme nouveau qui retrouvait la vraie liberté. Est né alors le désir d’aider d’autres frères en difficultés. Avec Sœur Jacqueline et Sœur Marie Fidèle, franciscaines également, tous les 4 sont arrivés à Maurepas dans une maison qu’on leur offrait ! C’était un signe du Seigneur ! En accord avec la Congrégation franciscaine, une nouvelle étape d’aventure commençait dans la foi.  Leur expérience interpellait beaucoup et beaucoup de donateurs se manifestaient. Ainsi très vite une association se créait, appelée « Lève-toi et marche ». Nous étions en 1989. »

Buts et moyens d’action : « L’Association  « Lève-toi et marche » est une association de Bienfaisance régie par la loi de 1901. Elle a pour but de permettre à des sortants de prison ou des personnes en difficultés, de prendre un nouveau départ en leur apportant un cadre de vie dans un climat fraternel, une rupture avec leur passé, une possibilité de réinsertion à partir d’un travail, de telle sorte qu’ils puissent retrouver leurs droits dans la société. Les moyens d’action consistent en la création d’une Maison Familiale d’Accueil pour hommes à Maurepas, en vue de la réinsertion, en collaboration avec les services sociaux privés ou publics, et en la création et la gestion de logements individuels. Après un parcours de réinsertion dans la Maison de Maurepas, certains résidents ayant fait un bon parcours, peuvent devenir locataires de ces logements et vivre ainsi une nouvelle étape d’autonomie, leur redonnant tous leurs droits de citoyens. »

L’association CHRIST (Centre d’Hébergement et de Réconciliation Intérieure des Sans Toit)[123] : « Cette association a été fondée par Jacky Van Thuyne en 1994. Marié et père de famille, il est né en 1945 dans le nord de la France. Il travaille dés l’âge de 14 ans comme garçon boucher puis fonde, à 21 ans, son entreprise de transport. A 28 ans, il se révolte et tombe dans le grand banditisme. C’est en prison qu’il découvre l’amour de Dieu, dix ans plus tard. Dès sa sortie, en 1986, il devient éducateur de jeunes marginalisés à Tourcoing puis responsable, à Paris, d’un centre d’hébergement pour sortants de prison. Aujourd’hui, il est directeur de l’association CHRIST, ce « lieu d’amour » qui accueille des personnes en situation précaire et les aide à retrouver leur dignité. »

Jacky van Thuyne présente son association : « Après dix ans d’expérience en tant que responsable d’un foyer et tout un parcours de marginal, je suis à même de savoir ce qu’il y a lieu de faire pour l’insertion  ou la réinsertion, ayant d’abord été client et ensuite thérapeute. (…) Ce sera  un lieu de guérison intérieure, une thalassothérapie pour les pauvres, un lieu de vie, de ressourcement, de restructuration, de structuration, de réadaptation. Il s’agit d’instruire, de former, d’éduquer afin d’insérer. Il n’y a pas de secret, c’est ce que font « Les Orphelins Apprentis d’Auteuil ». Il est évident qu’il faut donner ou redonner une colonne vertébrale à ceux qui n’en ont pas ou plus afin qu’ils prennent ou reprennent leur place dans la société car la plupart n’ont ni passé, ni présent, ni avenir. Ils n’ont pas de papiers, pas de parents, pas de qualification professionnelle, pas de culture mais sont heureusement dignes de l’amour de Dieu. (…) Dans le sigle de l’association, le mot essentiel est RÉCONCILIATION. Ce mot-là est plus important que n’importe lequel parce qu’un marginal qui se réconcilie avec Dieu se réconcilie avec lui-même, avec l’enfant qui est en lui et avec les valeurs universelles. (…) Ce sera un lieu spirituel de vie, de socialisation et de resocialisation. Elle agira sur les carences de l’accueilli, sur l’affectif, l’instructif, l’éducatif, socialement, spirituellement, pédagogiquement, physiquement et sur la créativité. Les personnes qui viendront chez nous seront envoyées par les aumôniers de prison, après renseignements auprès des services sociaux de la pénitentiaire. Nous préparerons leur sortie après Merval, les économies seront obligatoires : 6000 francs. L’association travaillera avec la commune de Merval, organisera des rencontres avec les communes avoisinantes, elle se voudra être une solution pour les plus dévalorisés du coin[124] ».

Là aussi, le projet éducatif prend en compte toutes les composantes de l’individu, considérant l’être humain dans sa globalité. La collaboration avec les travailleurs sociaux s’avère complémentaire et nécessaire : à chacun son rôle, sa place, ses missions et ses objectifs, mais le travail en partenariat se révèle important pour accompagner le sortant de prison dans toutes les dimensions de sa réinsertion.

Dernier exemple d’association qui travaille également avec le SPIP, l’association MIR, située à Sospel, près de Menton. Elle a été fondée par un prêtre, ancien infirmier de la Croix-Rouge, qui a ressenti l’appel à créer un lieu d’accueil et de vie pour les plus défavorisés. Elle travaille donc avec le SPIP de Nice qui lui envoie des sortants de prison, dans le cadre de mesures de fin de peine ou d’aménagement de peine. Les personnes accueillies vivent en petite communauté, encadrées par une équipe de salariés et de bénévoles. Des religieuses vietnamiennes, de la Congrégation des Sœurs de la Charité de Mère Térésa sont également présentes et apportent le témoignage d’une vie de prière et de service. Une petite ferme pédagogique, comme la Bergerie de Guy Gilbert, « le prêtre des loubards », permet aux résidents de travailler en s’occupant des animaux. Ils peuvent rester le temps nécessaire à leur reconstruction et à la préparation de leur réinsertion.

2.6 La Fraternité internationale des Prisons

Ces exemples de structures d’aide à la réinsertion des détenus ne se limitent pas au seul territoire français. De nombreux programmes sont développés à l’étranger par la Fraternité internationale des Prisons, créée sous l’impulsion de la Fraternité du Bon Larron. La 7econférence mondiale de cette Fraternité Internationale qui a lieu tous les 4 ans et s’est tenue à Toronto du 06 au 09 août 2003, a réuni 675 participants, représentant  les 105 pays membres. La dernière rencontre était à Sofia en 1999. Son Président, Michael Timmis, affirme : « Depuis notre dernière rencontre à Sofia, j’ai rencontré des conditions de vie en prison qui m’ont fait ressentir un sentiment d’horreur face à l’inhumanité de l’homme pour l’homme. Mais, même dans ces endroits obscurs, j’ai vu et ressenti la présence de Jésus. Quand je m’adresse aux prisonniers dans ces lieux si difficiles, j’entends ces mots dans mon cœur : « Il vit, Il vit ! » Et je sais qu’Il est présent, partout. (…) La Fraternité internationale des Prisons est vraiment un mouvement de miséricorde. En république Tchèque, j’ai rencontré un petit groupe de religieuses qui voulaient nous rejoindre et qui ont combiné deux grandes œuvres de miséricorde : la réhabilitation de femmes abusées qui ont commis des crimes, et les besoins de personnes âgées n’ayant personne pour s’occuper d’elles. Dans cette combinaison d’une prison pour femmes, et d’une maison pour personnes âgées, j’ai vu la miséricorde de Jésus d’une façon toute particulière, les prisonnières traitant tendrement les personnes âgées, et les personnes âgées rendant cet amour aux prisonnières[125] ».

Des programmes internationaux proposés par cette Fraternité sont déjà mis en œuvre dans un certain nombre de prisons à travers le monde :

– « Sycomore (du nom de l’histoire de Jésus et de Zachée) : ce programme, qui a été testé 3 fois dans des prisons, met en présence des détenus, des victimes, des volontaires pour permettre de faire prendre conscience aux détenus du mal qu’ils ont pu causer à leur victime, trouver des solutions envisageables pour réparer les dommages et augmenter l’apathie à leur égard. Il s’inspire de la « Justice réparatrice » développée par le fondateur de la Fraternité américaine, Charles W. Colson, un ancien du Watergate qui a découvert le Seigneur. Les résultats ont dépassé toutes les espérances, malgré les risques qu’on peut imaginer de prime abord. Il a démarré avec succès aux États-Unis, en Nouvelle-Zélande, en Angleterre, et aussi, de façon particulièrement émouvante, chez les victimes du génocide au Rwanda, en prenant là-bas le nom d’Umuvumu, le nom d’un arbre local. Les victimes et les contrevenants témoignent que cette expérience a changé leur vie.

-APAC : Approche alternative à la réhabilitation des détenus et à l’administration des prisons. Cette initiative d’origine chrétienne a réduit le taux de récidive à 5-12%, par rapport à plus de 80% dans d’autres prisons. Ce programme fonctionne dans plusieurs pays dont le Brésil, les États-Unis, l’Équateur, le Pérou, l’Angleterre, l’Écosse, l’Argentine, la Nouvelle-Zélande…

– Alpha : C’est une adaptation du Cours Alpha, pour le milieu des prisons. Le cours Alpha est né à l’église de la Sainte Trinité de Brompton, à Londres. C’est une méthode d’initiation à la foi chrétienne qui connaît un vif succès dans les paroisses françaises. Le but en est de faire entrer les détenus qui ne Le connaissent pas en contact avec Jésus. Pour ceux qui Le connaissent, il s’agit d’en parfaire sa connaissance. Ce programme est établi actuellement dans les trois quarts des prisons anglaises. Il en a résulté une augmentation de la fréquentation des chapelles de 35% et une baisse sensible de la tension régnant dans les établissements.

– Alcool et drogues : Le traitement se déroule en plusieurs phases : stabilisation, reconnaissance, éducation, traitement intensif individuel et en groupe qui conduit à une réintégration sociale par une formation professionnelle. Le but est d’obtenir la sobriété et non l’abstinence[126]».

D’autres programmes de « fermes-foi » ou de « prison-foi » ont vu le jour. Il s’agit de proposer à des détenus croyants ou en recherche spirituelle de vivre une expérience communautaire dans une perspective de réinsertion par la foi et le travail. Une unité prison-foi a ouvert le 16 octobre 1995 à Rimutaka en Nouvelle-Zélande et prévoit un environnement thérapeutique incluant l’étude de la Bible, la prière, des retraites spirituelles et des rencontres avec divers groupes d’Églises. Cette unité de 60 lits comprend une chapelle, des salles d’enseignement et un potager. Une « ferme de la jeunesse » a également vu le jour en Allemagne dans l’état de Baden-Wuerttemberg, offrant une alternative à l’incarcération des jeunes. Des cours et des formations professionnelles y sont dispensés ainsi qu’une aide à la réflexion sur leurs délits et la place de leurs victimes. L’étude de la Bible fait partie du programme quotidien.

Les responsables de la Fraternité internationale des prisons pensent que ces programmes pourraient être utilisés dans les prisons françaises, avec une adaptation à l’environnement spécifique de la France et de la prison où cela serait prévu.

2.7 Analyse des résultats obtenus

La religion, notamment catholique, semble bien être une aide et un soutien importants pour aider les détenus à préparer leur sortie et à se réinsérer. La présence des aumôniers et de leurs équipes constitue pour eux un lieu d’écoute et de parole, un lieu de liberté et de vérité, un lieu d’humanité et de spiritualité dans un univers marqué par la solitude, la peur, la violence, la haine et le mépris. Le fait de participer aux mêmes activités cultuelles crée des liens entre les détenus et les unit en une même communauté de « frères », les ouvrant ainsi à l’autre et à la (re)socialisation. Tous témoignent du besoin de respect pour rester des êtres humains dignes d’être regardés, écoutés, aimés. Tous disent l’importance du pardon pour se réconcilier avec eux-mêmes et avec les autres. Tous expriment la prépondérance des liens familiaux pour ne pas baisser les bras et ne pas sombrer dans le désespoir. Tous affirment enfin que seul le Christ a pu les libérer véritablement de leurs fautes, de leur culpabilité, de leurs remords et de leurs barreaux intérieurs, Lui qui a dit : « Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie » et « la Vérité vous rendra libres ».

Alors que les idéologies matérialistes du XXe siècle avaient nié la dimension transcendantale de l’Homme en présentant la religion comme « l’opium du peuple » et en promettant le « paradis » sur terre, leur caractère inhumain et « intrinsèquement pervers » selon l’expression du pape Pie XII, s’est manifesté douloureusement à travers la « Shoah » ou le goulag… Le XXIe siècle devait être religieux ou pas, d’après Malraux. L’humanité saura-t-elle tirer les leçons du passé ? Après les idéologies totalitaires niant l’individu et ses différentes libertés, la société de consommation lui permettra-t-elle de conserver son âme, malgré la marchandisation massive et croissante des biens et même des personnes ? Retrouvera-elle les racines de son origine et de son identité, « créée à l’image et la ressemblance de Dieu » ? On peut en douter lorsque l’on voit déjà simplement le débat soulevé par la question de la  mention des racines chrétiennes de l’Europe dans le préalable de sa constitution ou celui sur la laïcité…

Mais on peut également l’espérer devant l’émotion et l’intérêt mondial soulevés par la mort récente de Jean-Paul II et l’élection de Benoît XVI !… Devant ces multitudes d’hommes et de femmes, de tous pays, de tous âges et de toutes conditions, qui ont accouru et  se sont  rassemblé dans une même communion de pensée et de prière… Devant enfin ces millions de jeunes réunis à l’occasion des différentes Journées Mondiales de la Jeunesse qui chantent et dansent leur joie et leur foi en Dieu, en l’Homme et en la fraternité universelle !… Les jeunes ne sont-ils pas notre avenir ?…

Conclusion

Au terme de ce travail de recherche et d’étude sur l’influence de la religion sur la vie des détenus en prison et l’aide qu’elle peut leur apporter pour préparer leur réinsertion, il semble bien que la spiritualité joue un rôle important pour un certain  nombre d’entre eux. La surprise initiale de trouver des objets de piété en prison, pensant qu’il s’agissait d’un phénomène marginal et sans doute lié aux circonstances, s’est accrue encore, au contraire, en constatant l’importance que la religion pouvait représenter pour un très grand nombre de détenus. Cette étude est certes partielle et ne peut rendre compte de la totalité des situations que vivent les personnes emprisonnées. Il n’existe pas d’évaluation au niveau national sur cet apport de la religion qui reste de toutes façons difficilement mesurable quantitativement et plus encore qualitativement. Les statistiques concernant la religion sont d’ailleurs interdites. Les témoignages recueillis sont cependant suffisamment nombreux et diversifiés pour laisser penser qu’il ne s’agit pas d’un phénomène épisodique et isolé mais significatif et plus répandu qu’on ne pourrait le supposer à priori, comme je le croyais moi-même auparavant.

L’importance de la religion semble donc bien réelle pour les nombreux détenus,   d’ailleurs croyants ou non, qui fréquentent les aumôneries catholiques des prisons. Elles représentent cet espace de liberté, cette ouverture sur l’extérieur, ce lieu d’écoute, d’échange et de partage où le détenu est considéré comme un être humain à part entière, où le pardon et la réconciliation libèrent du poids de la culpabilité et ouvre un chemin de reconstruction et de réinsertion. En les aidant à retrouver une certaine paix intérieure et à reprendre espoir en l’avenir, la religion semble permettre la transformation de ce temps d’épreuve et de souffrance en un chemin de réconciliation et de reconstruction. Elle paraît ouvrir sur une nouvelle vie d’hommes et de femmes libres et responsables,  dignes et respectables, capables à leur tour de redonner ce qu’ils avaient reçu.

Ce travail voulait contribuer à une réflexion sur le rôle et l’intérêt de la spiritualité pour les détenus. En permettant une plus grande humanisation des prisons par la place centrale donnée à l’homme, en leur offrant la possibilité d’entreprendre un chemin de croissance en humanité, la religion semble participer pleinement, à sa place et en complémentarité avec les autres intervenants, à la mission prioritaire de resocialisation et de réinsertion des personnes incarcérées. L’Eglise et la société ont donc le même objectif, même si les moyens employés sont différents : permettre à l’individu d’être pleinement Homme et assurer toujours plus ainsi l’humanité de notre société.

Pourquoi, cependant, cette dimension humaine et sociale de l’action des équipes d’aumônerie, à défaut d’être spirituelle pour tous, ne semble-t-elle donc pas davantage connue et reconnue par les autres acteurs pénitentiaires ? Considère-t-on que la religion appartient à la sphère du privé et n’a rien à faire en détention ? Pense-t-on que la priorité est à la réinsertion sociale et que seul le domaine du « matériel » est important ? Quelle vision de l’homme a-t-on ? Une vision purement rationaliste et matérialiste, ou globale, incluant la dimension de l’esprit ? L’équilibre entre ces valeurs n’est-il pas nécessaire à celui de l’être humain et à celui de la société tout entière ? Que deviendraient l’homme et notre civilisation sans « le secours de la religion » ? Que deviendraient les plus petits, les plus faibles et les plus pauvres de nos sociétés (dont font d’ailleurs souvent partie les détenus) tournées vers l’efficacité, la rentabilité, la concurrence, le pouvoir, la force, la violence, l’apparence et l’éphémère ? La société serait-elle toujours humaine, au service de l’homme et de son développement ?

Quel que soit l’avenir et l’évolution technologique, scientifique ou économique de cette société, l’Homme restera cependant toujours le même, avec les mêmes sentiments,  les mêmes souffrances et les mêmes peurs, les mêmes besoins, naturels et surnaturels, le même désir d’être reconnu, protégé, aimé et intégré dans une communauté, qu’elle soit conjugale, familiale ou sociale. La misère et la souffrance humaines existeront donc toujours aussi et des travailleurs sociaux devront encore répondre à ces S.O.S. :

« Un jour, je reçus une lettre qui me parvenait de la Centrale de Clairvaux. Elle avait été écrite par un garçon qui connaissait bien David, un de mes amis de derrière les murs. Gilbert avait rencontré Jésus-Christ en prison. Comment ? Dans quelles circonstances ? Je l’ignore et ce n’est pas son histoire que je veux rapporter ici. Gilbert avait entendu parler de moi par David, ce qui lui donna l’idée de m’écrire pour me lancer un S.O.S. Il me parla longuement de Didier, un jeune détenu qui était en train de se laisser complètement couler. Moi-même, je relevais d’une grave opération à coeur ouvert et je me refusais à créer de nouveaux liens que je sentais incapable d’assumer d’une manière satisfaisante. Je répondis à Gilbert que je mettais en quête de personnes prêtes à vivre une telle amitié, mais cela ne se trouvait pas facilement. Alors, en attendant, je lui recommandais de transmettre au jeune en détresse… les encouragements d’usage que je m’efforçais d’exprimer le plus chaleureusement possible. En réponse, je reçus cette lettre de Gilbert, lettre suffisamment éloquente pour que je me contente de la retranscrire ici : « … Didier désespérant à St Maur, Didier qui lance des appels à l’aide, d’urgence… tentatives de suicide… Lui dire… écrire… de ne pas s’abandonner au désespoir… que le tunnel le plus long débouche toujours sur quelque chose… ce sont des mots, des phrases !

IL EST dans le désespoir, seul L’AMOUR le sauvera, pas des mots, pas des phrases, mais des personnes, des COEURS très humains qui l’adopteront et l’aimeront à fond, fidèlement, obstinément, gratuitement. Alors ce gars, pas difficile à aimer et qui ne demande qu’à aimer, sera sauvé. Le Christ, en l’un de ses petits, des plus faibles et souffrants, l’aura sauvé [127] ».

Un directeur de CD exprime aussi l’importance de ce sentiment d’être aimé pour exister et être sauvé : « Il est souvent difficile de comprendre pourquoi tel homme triomphe à la fin de sa mauvaise étoile pendant que tel autre retourne sans cesse à ses ténèbres. Mais ce qu’il y a de sûr, c’est qu’un regard, un silence, une parole au bon moment peuvent sauver un être, parce que, à ce moment, il a senti qu’on l’aimait, et qu’il n’était pas tout à fait inutile sur cette Terre[128]».

L’aumônier de la prison de Château-Thierry  livre enfin le secret de la « grandeur  de l’homme », à travers son expérience auprès des détenus :

« « Grandeur et misère de l’homme » disait Pascal. Ce qui saute aux yeux d’abord, c’est la misère. Comme le regard plonge dans les ténèbres sans rien saisir de la lumière, entrer dans une cellule, c’est recevoir en pleine face la misère de l’homme : misère matérielle, morale, affective et spirituelle. La misère spirituelle est la plus longue à saisir. Je pense là à Éric qui me dit un jour : « Comment voulez-vous que je croie en Dieu avec le mal qu’Il laisse faire ? » Grave question, celle du scandale du mal. Comment oser théoriser ? Pas question de jouer les amis de Job qui veulent lui expliquer la souffrance. Je me suis tu. Une semaine après, j’ai, à mon tour, posé une question à ce détenu : « Quand vous parliez du mal que Dieu laisse faire, s’agissait-il du mal que vous avez fait ou du mal que vous avez subi ? » Je me doutais de la réponse. Il s’agissait bien évidemment du mal qu’il avait subi. Erik m’a alors raconté que ses parents nourriciers lui faisaient subir, à l’âge de 7 ans, le supplice de la baignoire. Peut-on imaginer l’angoisse d’un enfant dont on plonge la tête sous l’eau pour l’empêcher de respirer et dont les poumons se remplissent d ‘eau, mais aussi de haine ? Actuellement, Éric respire la violence. Comment rompre cette chaîne infernale de la violence qui entraîne la violence ? Pour Éric, cela n’a pas été possible. Je prie pour que cela le devienne. J’ai en mémoire un détail d’un tableau de Jérôme Bosch où l’on voit trois visages remplis de haine. L’expression de ces trois personnages reflète les images les plus noires de l’âme humaine. Qui est regardé comme cela ? Dans le tableau, c’est le Christ portant sa croix. Lui seul est capable de prendre sur lui cette haine tout en continuant à aimer. Lui seul a véritablement cassé cette logique de la violence entraînant la violence. Voilà la source de notre solidarité. Voilà pourquoi un homme ne pourra jamais être complètement détruit. Voilà pourquoi tout homme, à l’exemple de ceux qui se convertissent en prison, peut espérer se libérer de la violence qui l’habite. Pour conclure, je rapporterai simplement les paroles d’un détenu classé « psychotique maniaco-dépressif » et qui criait lors d’un groupe biblique : « On m’a tout pris, ma liberté, ma dignité, mon humanité. On m’a cassé la rotule… » Suit alors une longue liste de tout ce qu’il avait subi.  Ne sachant plus comment apaiser sa violence, je lui criais alors : « Christophe, on vous a donc tout pris. Il ne vous reste plus rien ». « Si, hurle-t-il. Il me reste ma foi et, ce, personne ne me la prendra. »

Voilà la grandeur de l’homme, voilà ce qu’il faut chercher dans tout être humain aussi délabré soit-il. Le regard qui s’habitue à la pénombre finit par saisir une lumière naissante. Et c’est cela le sens de la vraie solidarité. Elle s’origine bien au-delà de ce que nous pouvons en appréhender et elle nous emmène bien au-delà de ce monde qui passe [129] ».

Bibliographie

Ouvrages :

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Sites Internet et adresses des aumôneries au niveau national :

www.bonlarron.org    site de l’association « Le Bon Larron »

www.reinsertion.org   site de l’association « Lève-toi et marche »

www.prisons.free.fr    site de l’association « Prisons »

Aumônerie Catholique des prisons : 106, rue du Bac 75007 Paris

Aumônerie Protestante des prisons : 47, rue de Clichy 75311 Paris Cedex 09

Aumônerie Juive : BP 10 – 10001 Troyes Cedex

Commission d’Entraide pour les Détenus Et leurs Familles (CEDEF) : BP 3909 – 75421 Paris Cedex 09

Annexes

Annexe n° 1 : Conversions « célèbres » de détenus en prison.                               P. 86

Annexe n° 2 : L’aumônier des prisons en France, vu par un directeur de prison.  P. 98

Annexe n°1 : Conversions « célèbres » de détenus en prison

Après les témoignages de rencontre avec Dieu de nombreux détenus « anonymes », voici ceux plus connus et médiatisés d’anciens prisonniers ayant fait l’expérience d’une rencontre avec Dieu et d’un retournement de vie radical et définitif. Après Jacky Van Thuyne, voici André Levet à qui le Christ s’est manifesté dans sa cellule, Jean Bernier, figure du grand banditisme, devenu moine cistercien, et Jacques Fesch, le dernier guillotiné français âgé de 27 ans, athée convaincu, converti brutalement comme St Paul, dont la cause de béatification est en cours d’instruction.

André Levet, « la dernière cavale avec Jésus »[130] : André Levet est né en 1932 dans une famille athée. Il n’avait jamais entendu parler de Dieu ni de religion. Après la mort de sa mère et la déportation de son père à Auschwitz, il est placé dans une famille d’accueil dans les Pyrénées où il dit avoir reçu « plus de coups de pied au cul que de tendresse». Après le retour de son père, n’acceptant pas sa seconde épouse, il fait une première fugue et se rend à Marseille où il fait l’apprentissage de la rue. La police le place dans le quartier pour mineurs des Baumettes en attendant de le renvoyer chez son père. C’est là qu’il avoue être devenu un petit délinquant et avoir commencé sa vie de brigand. De retour chez lui, il fugue à nouveau et devient un chef de bande à 15 ans. Il est alors placé en maison de correction jusqu’à l’âge de 21 ans après une attaque à main armée. Libéré pour s’engager dans la guerre d’Indochine et de Corée, il est blessé, rapatrié et hospitalisé à Marseille pendant 2 ans. Handicapé, ne pouvant retravailler, il replonge dans le banditisme, mettant à profit son entraînement de commando parachutiste. A Laval en 1952, il rencontre dans la rue un prêtre en soutane qu’il interpelle : « Qui es-tu toi ? Un homme ou une femme ? » Le prêtre lui répond : « Je suis un serviteur de Dieu, je n’ai qu’un patron, c’est Dieu ! Si un jour tu as du temps, viens me voir. » Le prêtre lui donne son adresse oralement puis André Levet l’oublie. Plusieurs mois après, il repasse dans cette ville et se retrouve dans la rue Solferino qui lui rappelle l’adresse donnée par le prêtre. Il va le voir et le prêtre lui dit : « Je t’attendais ». Une amitié se noue entre les deux hommes. Après plusieurs années, André Levet se retrouve à Rennes pour une nouvelle attaque de banque. Alors que jusqu’ici, tout s’était toujours bien déroulé, un « grain de sable a tout enrayé ». La bande est cernée par la police, des coups de feu sont échangés et l’un de ses amis est tué. Arrêté, il fait une première évasion grâce à des amis étrangers puissants. Il va en Amérique du sud pour organiser un trafic de stupéfiants. De retour en France, il se fait de nouveau arrêté et s’évade encore, trois fois de suite ainsi. Il passe en cour d’assises et prend 15 ans d’emprisonnement. Il repasse également devant les tribunaux des départements où il a commis des méfaits et prend au total 120 ans de prison. Finalement, après confusion des peines, il doit exécuter 21 ans de détention. Placé en QHS à Fresnes, il réussit à s’évader mais est repris dans les murs. Il est transféré à Clairvaux, la centrale « des durs ». Un surveillant l’accueille par ces mots : « Ici, tu entres comme un lion, tu en sors comme un agneau ! Ici, il n’y a plus de caïd mais des clochards ! » Tentant une nouvelle évasion en creusant un tunnel, il est envoyé à Château-Thierry, la prison « des fous et des dangereux ». C’est dans cette prison qu’il va faire « sa grande Rencontre ». Un projet d’évasion échoue à nouveau, la personne devant lui faire passer des fils américains pour scier ses barreaux ayant été interceptée. André « tourne en rond dans sa cellule comme un rat en cage ». Il cherche par tous les moyens à s’évader. Se souvenant de la dernière lettre de son curé l’incitant à ouvrir la Bible, André Levet repense à Jésus dont il a lu divers épisodes marquants de sa vie. Il se tourne vers le Livre et s’écrie : « Si tu existes vraiment, viens me voir, je te donne un rendez-vous, à 2 heures du matin ; nous serons tranquilles pour discuter. Tu ouvriras mes barreaux pour que je puisse sortir.» La nuit venue, André Levet s’endort d’un sommeil profond, ayant oublié les paroles du matin de ce 12 juin 1969. Secoué soudainement, il se réveille et se lève d’un bond, cherchant la personne qui est entrée dans sa cellule. Il ne voit personne puis entend une voix intérieure lui parler : « Il est 2 heures du matin, André, nous avons rendez-vous ». André Levet appelle le surveillant : « Qu’est-ce que tu viens m’embêter, quelle heure est-il ? » « Il est 2 heures ». « 2 heures comment ? » « 2 heures justes ». Il se retourne dans sa cellule, « une voix intérieure forte résonne encore dans ses oreilles comme dans un tunnel » : « Ne sois pas incrédule, je suis ton Dieu, le Dieu de tous les hommes. » André Levet répond : « Comment se fait-il que tu me parles ? Qui es-tu ? Je ne te connais pas, je ne t’ai jamais vu…» Du côté des barreaux, une lumière apparaît éclairant un homme qu’il ne connaît pas, les mains, les pieds et le côté percés. Il entend alors une voix, non plus intérieure, lui dire : « C’est aussi pour toi ! » André Levet raconte : « Mes écailles lourdes de 77 ans de péchés sont tombées en un éclair ; je comprends que je suis un mauvais, un méchant. Lui, c’est un gentil, le Sauveur. Pour la première fois de ma vie, je fléchis, je courbe l’échine, le caïd pleure, tombe à genoux. Pour la première fois, quelqu’un voulait m’aimer. » De 2 heures à 7 heures du matin, André refait à genoux toute la marche à l’envers de sa vie pour « ressortir tout le mal qu’il a fait, toute la méchanceté, tous les vols, tous les coups, toute la haine. » « C’est Jésus qui est venu me libérer, moi qui ne suis que boue et que merde. Il est venu pour me pardonner et m’éclairer. C’est une nouvelle naissance pour repartir avec lui, lui tenir la main et ne plus la lâcher. Il est mon bâton, mon pilier, ma boussole, mon dictionnaire pour m’aider à corriger mes fautes passées et les fautes à ne pas faire plus tard. » André Levet  poursuit : « Les six ans de prison que j’ai encore faits ont été six ans bénis. Jésus m’a fait découvrir le vrai sens du mot liberté. Je suis bien avec lui, je ne veux plus m’évader. Je suis un homme libre entre quatre murs car je suis un homme libéré. »

Jean Bernier, du  grand banditisme à la Trappe[131] : « Jean Bernier est né le 21 octobre 1917.  A la différence de ceux qui peuplent ordinairement les prisons, il ne naît pas avec un billet d’écrou dans son berceau. La famille Bernier est honorablement connue. Les Bernier étaient chrétiens, mais trop pris sans doute par les nécessités de l’existence pour accorder à la foi l’importance qu’elle aurait méritée. Jean n’est pas ce qu’on appelle « un enfant difficile ». Il est dans sa seizième année quand son père meurt d’une congestion pulmonaire. Moins d’un an plus tard, sa mère meurt à son tour, emportée par le chagrin. Pour les Bernier, c’est la saison du malheur. Il a le coeur en berne, il ne croit plus à rien, et ne laisse présager aucun retour à Dieu. Après un engagement dans l’armée à 18 ans, il se fait remarquer au cours d’un incident avec l’un de ses camarades injustement accusé.  Entrant dans une spirale de réprimandes, le processus s’enclenche. Il va emporter l’engagé indiscipliné dans une longue suite punitive qui a tout d’une pente fatale. Il devient un habitué des prisons militaires. Sa réputation est plutôt celle d’un insoumis, pour ne pas dire d’un délinquant. Il en est à purger une peine de huit mois de prison ferme à Loos.  Après la guerre et la démobilisation en 1940, il va tomber dans l’argent facile et le proxénétisme. Officiellement, il est serrurier sous le nom de Jacques B. Ce prénom prétexte n’est pas celui de son baptême, mais il le suivra dans les prisons où on ne le connaîtra plus que sous cette dénomination : « Le grand Jacques ». Quelqu’un qui connaît sa situation de proxénète le dénonce. Jugé comme souteneur, Jean Bernier est incarcéré à la prison de la Santé. Les autorités l’ont classé dans la catégorie des « indésirables ». Après son transfert et son enfermement dans un camp en Allemagne, puis le retour de captivité, il replonge dans le «milieu ». Après une nouvelle arrestation à la Santé, il recommence son trafic. Cependant, le milieu, dont il est prisonnier à sa façon, ne le comble pas. Le vague à l’âme est là mais le milieu aussi. Il est le seul, estime Bernier, à lui faire une place qui lui vaudra, une bonne dizaine d’années durant, plus de séjours en prison qu’au soleil de la liberté. A force de se répéter, les peines de prison se cumulent et s ‘amplifient. De Fresnes à l’île de Ré, Bernier n’a plus d’autre adresse que des lieux de détention. Il y acquiert vite une réputation d’individu dangereux qui ne rassure guère ses gardiens. Il occupe souvent des quartiers de haute surveillance. Pour occuper le temps, il se rend à la messe au besoin. L’aumônier de la prison de Fresnes est alors le chanoine Popot. Lui-même a fait pendant la guerre l’expérience de la captivité, et il marque par sa parole et sa présence cette assemblée captive que Dieu ne déserte pas. Un détenu du nom de Richard en témoigne, lui qui s’est converti à la lecture du livre de Daniel Rops : « Jésus en son temps ». Condamné à dix ans de prison, ce Richard est un fort tempérament, mais ce n’est pas un tiède. Bernier le retrouvera à l’île de Ré où il ne sera pas pour peu dans ses retournements intérieurs. Richard n’a rien d’un enfant de choeur, il sert la messe à Fresnes. Il n’est pas le seul converti dans cette assemblée. Conséquence de ces inattendus de Dieu, un prisonnier écrit à sa compagne pour la prier de renoncer au trottoir. Bernier devient un habitué des mitards, ces prisons dans la prison qui sont comme autant de tombeaux. On y est isolé de tout dans un endroit qui ressemble à une véritable cage. Ces souvenirs terribles l’amèneront, au temps de sa vie monastique, à mener un combat pour l’humanisation des prisons. Jean Bernier n’eut aucune visite au long de ses années d’emprisonnement. « Quinze années avec le diable », comme il le dira lui-même. Après 3 ans à Fresnes, le voilà à Bourges. On est aux approches de Pâques, un moment dont le « grand Jacques » ne réalise pas l’importance. Ce qui ne l’empêche pas d’être touché par un désir spirituel qui a valeur d’appel. Il assiste à la messe, il voudrait bien communier. L’aumônier, informé de sa requête, le visite en sa cellule. Il est prêt à l’entendre en confession, mais Bernier, qui assume tout, a besoin de se justifier à ses yeux. Il prévient qu’il ne regrette rien de son passé. L’aumônier en conclut que son pénitent n’est pas en état de recevoir une absolution. Les choses en restent là.  Il passe 2 ans à Poissy, dans une centrale qui a la particularité d’être cistercienne d’origine. Il est loin de se douter du caractère prémonitoire de ces anciens monastères. Sa foi est en veilleuse mais il va à la messe autant pour se retrouver avec d’autres, sans doute. Mais le fait est qu’il y va, et qu’il est même admis à la chorale. Il lui reste à connaître d’autres étapes : Mauzac en Dordogne, Bergerac dans les mêmes parages et l’île de Ré. A Mauzac, Bernier en arrive à penser au suicide. Il passe commande d’une lame de rasoir mais la demande n’est pas honorée. En 1954, il a 33 ans. Après une nouvelle tentative d’évasion, il se retrouve à l’île de ré. La réputation de St Martin de Ré n’est pas des meilleures. Lieu de transit autrefois pour des bagnards à destination de Cayenne, la forteresse est devenue avec les années un établissement carcéral. Les lectures en cet endroit sont plus abondantes que dans les prisons précédentes. Ce ne sera pas indifférent à ses évolutions à venir. Il se fait aussi des amis dont l’influence se révélera durable sur lui. C’est le cas de Joseph, un nom inattendu en ce lieu, mais combien mérité. Avec ce compagnon, Jean Bernier a de multiples et profonds échanges. Les saints que n’entrave aucune barrière entrent dans cette prison avec un ouvrage qui relate la vie de St Jean de Dieu. Un autre paraît à Bernier plus rébarbatif : traité d’apologétique chrétienne sur les origines du monde. A sa stupéfaction, il est intéressé et se met à réfléchir sur les finalités de la vie, les complexités de l’être humain, et ses propres contradictions. Il éprouve un besoin de solitude qui l’amène à réclamer comme une faveur d’être placé en isolement, là où on met les punis ordinairement. Au terme d’un mois, il sollicite des travaux à faire, en solitaire. Dans cette solitude, il entend un matin une voix intérieure qui lui reproche sa vie antérieure. Lui qui se faisait fort de ne rien regretter de son passé, est soudain tourmenté. Bernier essaie bien de discuter avec lui-même, de se disculper. Ce n’est pas assez pour étouffer la voix. Trois jours durant, il est poursuivi par cette adresse qui le renvoie à lui-même, sans complaisance. Au quatrième jour, il tombe à genoux, comme St Paul sur la route de Damas. Une force plus puissante que lui l’a jeté à terre. Le chemin de Damas passe effectivement par la prison, et il conduit au-delà de tous les prévisibles. Jean Bernier reconnaît sa faute et se confesse. A ce moment seulement, il se met à réciter le Notre Père et le Je vous salue Marie, qui lui reviennent en mémoire, comme un écho de son enfance. Une joie immense l’envahit. Il éprouve alors le besoin urgent de se confesser et de communier. Le tout durant une semaine Sainte qui prend sa vraie dimension pour ce revenant du pays de la mort. On est en 1955, à échéance prochaine de sa peine. Sa confession a un effet libérateur. Bernier se sent délivré d’un grand poids. Il se met à prier chaque jour et à se nourrir de la Bible, des psaumes dont il fait siens certains versets. Il devient insatiable de la parole de Dieu. Dans la chapelle de la prison, il assiste à tous les offices, avec une ferveur qui ne va pas sans étonnement pour qui l’avait connu sous un autre jour. Cela suscite de l’incrédulité dans son entourage. Chaque dimanche désormais, il communie avec un tout petit groupe d’autres détenus qu’on surnommait « les moines » ; pressentiment dans le cas de Jean d’un destin dont l’aboutissement sera Ste Marie du Désert. Mais parce qu’il y a ce mystère de la communion des saints, la prière des moines de jadis n’était peut-être pas sans rapport. La prière imprègne les lieux d’où elle s’est élevée. Cette prison de l’île de Ré n’avait pas été par hasard un monastère autrefois. Déjà habite dans son coeur le besoin de tout donner à Dieu. L’histoire d’une âme de Thérèse de Lisieux le bouleverse. La petite carmélite de Lisieux avait une prédilection, on le sait, pour les condamnés, depuis qu’en ultime lui avait été faite la grâce d’apprendre le retournement de Pranzini, ce condamné à mort, qui avait embrassé un crucifix en haut d’un échafaud. La petite voie de Ste Thérèse fait à Jean Bernier l’effet d’une avenue à sa portée. François de Sales fait également partie de ses lectures familières. Le changement est tel que ses compagnons de misère ne le reconnaissent plus. Les gardiens ne sont pas moins stupéfaits quand ils le voient prier dans sa cellule. Bernier est l’objet d’une perplexité généralisée. L’intéressé sait à quoi s’en tenir. La Vierge entre dans la vie du converti. Son image est en bonne place dans sa cellule, une médaille, celle de la rue du Bac, l’a rejointe. Cette médaille, on la dit « miraculeuse », et elle l’est en la circonstance. Il n’y avait que Marie pour rendre à un homme qui l’avait perdu un coeur d’enfant. Deux ans s’écoulent. C’est le délai possible pour une libération conditionnelle. Il en fait la demande, avec, à l’appui, l’adresse d’un lieu d’accueil, condition obligée pour obtenir un élargissement avant l’heure. On lui a parlé d’une abbaye à une trentaine de kilomètres de Toulouse. On la nomme Ste Marie du Désert. Ce sont des cisterciens, des disciples de St Bernard et de Robert de Molesmes, les fondateurs  de Cîteaux et de Clairvaux. Ce sont des permanents de la prière. C’est Richard, l’ami providentiel, qui conseille à Bernier de s’adresser à Ste Marie du Désert. Converti lui-même, il ne gardait pas pour lui le trésor de croire. Nous sommes en mars de l’année 1957, le 25 de ce mois, confirmation est faite d’une libération conditionnelle. La date du 25 mars n’est pas indifférente. Ce jour-là, on fête l’Annonciation à  Marie, et c’est en mai que la libération conditionnelle devient effective. Mai, le mois consacré à Marie par la ferveur chrétienne. Jean Bernier est âgé de 38 ans quand il franchit l’enceinte de la forteresse pénitentiaire. Il en est déjà à la moitié de sa vie. Pour signifier le nouvel homme qu’il est devenu, le « grand Jacques » s’est revêtu de ses plus beaux vêtements, ceux du moins qui lui restaient. Il dit adieu à la prison, avec la certitude intérieure de n’y plus jamais revenir. Mais quand il franchit le portail de cette abbaye, ce n’est pas  une impression de détention qui prévaut mais de liberté. Le plus surprenant pour ce bagnard libéré de fraîche date, c’est la considération dont on l’entoure, et la confiance qu’on lui fait. On lui donne même la clé de sa chambre. Ce qui va de soi pour tout le monde est sujet d’émerveillement pour ce prisonnier, libéré depuis si peu. Autre détail, il n’y a pas de « judas » dans les portes, pas d’oeil indiscret qui vous met sous un regard de constante surveillance. Bernier, qui est dans son élément dans cette abbaye, est travaillé dans ses profondeurs. Ce qu’il a connu en prison n’a pas épuisé en lui la source des larmes. Ses compagnons de peine lui demeurent présents. Il rend grâce pour tout ce que Dieu a fait pour lui et de lui. Ce qui lui semble aller de soi, c’est la vie en Dieu désormais. Un beau matin, il ose se risquer à une question qui va décider de tout pour lui. Au Père Abbé, il demande : « Est-ce que je ne pourrais pas, moi aussi, devenir moine ? » « On peut toujours essayer, mais ce ne sera pas facile ». Ce jour de juin 1957, un homme change de nom, pour bien signifier en quelque sorte un changement encore plus radical. Jean Bernier devient frère Grégoire. Son mode de vie  est à l’image du retournement qui s’opère dans ce nouveau Frère. Le voilà appelé à obéir, lui qui n’en faisait qu’à sa tête.  La pauvreté qui fait du moine un dépossédé n’est pas la plus évidente pour cet apprenti en vie religieuse qui avait si longtemps fait de l’argent son maître. La prison certes avait été une école de dépouillement mais elle ne l’avait pas guéri de ses convoitises. Le vieil homme ne meurt pas si facilement. Le tempérament ne disparaît pas, il en reste des séquelles. Les années ont passé, il a fait ses voeux temporaires d’abord, puis solennels, moment d’accomplissement que connaissent tous ceux qui disent « oui » pour la vie, que ce soit dans le mariage ou la vie religieuse. Ce « oui » suppose un choix qui en élimine d’autres. Arrivent enfin les délais prescrits par l’autorité judiciaire pour le rétablissement des droits civils des condamnés. Nous sommes en 1963. Durant cinq années, les gendarmes ont mené enquête, l’assistante sociale a établi des rapports, alors même qu’elle sympathisait de plus en plus avec l’ancien détenu, elle était garante du sérieux de ses aspirations à une vie complètement nouvelle au service de Dieu.  Frère Grégoire se sent maintenant empli d’une paix immense, dans la certitude que tout est bien et que de son passé trop chargé, il ne restera plus rien sur ses papiers. Ce jour-là, tout est signe positif sur le chemin de sa réconciliation avec les hommes qui suit son retour à Dieu. En compagnie de son Père Abbé, frère Grégoire arrive au tribunal vêtu de ses habits religieux. Le Président prend la parole et lui demande ce qu’il désire. « Être relevé des peines qui figurent dans mon casier judiciaire », répond-il calmement. Le Président se tourne vers le Procureur et lui demande : « Monsieur le Procureur, voyez-vous un inconvénient à la réhabilitation du Frère ?» Le Procureur se lève et prenant alors la parole d’un ton solennel : « Messieurs de la Cour, en ce jour de la Purification de la Vierge Marie, on ne peut refuser cela au Frère ». Le Président se tourne vers lui et lui demande s’il a quelque chose à dire. Non sans une émotion contenue, la réponse jaillit, vraie et sincère : « Je remercie la Cour de sa bienveillance ». Jean Bernier est réhabilité, frère Grégoire peut lui succéder à part entière. »

Jacques Fesch : « Dans 5 heures, je verrai Jésus » [132] : « C’est sur ces mots que s’achève le journal de Jacques Fesch, condamné à mort et guillotiné en 1957, à l’âge de 27 ans. Dans sa cellule de prison, deux mois avant son exécution, il entreprend la rédaction d’un Journal destiné à sa fille Véronique alors âgée de 6 ans. Il se sait condamné. Il y inscrit le quotidien d’un homme qui, jour après jour, voit la dernière aube se rapprocher, mais qui, jour après jour, se rapproche de Dieu. »

« Ma petite fille chérie, Ceci est mon Journal, tout mon bien, que je te lègue à défaut d’autres biens que les pères ont coutume de donner à leurs enfants. Ce que j’ai, je te le donne pour le jour où, devenue une femme, tu pourras, par ces lignes, suivre la vie de celui qui fut ton papa et qui n’a pas cessé de t’aimer un seul instant. J’ai depuis de longs mois tes photos devant les yeux, et je dévore tes cheveux blonds que j’aimerais bien pouvoir toucher de mes doigts. (…) Puisse la vie te bénir et t’épargner de trop cruelles meurtrissures dont je serais peut-être responsable. (…) Si je réussis à la fin de ces pages à te faire toucher ce que peut être la vie, la vraie vie, celle qui débute dans ce monde pour s’épanouir là où tout est lumière, si tu as pu pressentir la grandeur et le prix d’une âme, et le peu d’intérêt de ce qu’on appelle la «réussite terrestre », ces lignes ne seront pas vaines, et peut-être toi-même un jour, devant Dieu sait quelle épreuve, tu puiseras dans cet exemple si près de toi, la force et le courage de discerner de quel côté vient la lumière. Je vais mourir, petite fille, et ceci est une longue agonie lucide et froide. Dans deux mois, je serai mort puisque le recours en grâce doit être présenté fin septembre. Se faire des illusions sur son issue ? J’en ai passé le stade. Je sais qu’il ne peut être que refusé. Mon intelligence me laisserait-elle croire à quelque hypothétique chance de la dernière heure, que la foi qui m’habite et la volonté qui me pousse à faire le don de ma vie dans une paix que le monde ignore, me seraient à elles seules une certitude suffisante. Je voudrais pouvoir dans les pages qui suivront te faire sentir aussi visiblement que possible la manifestation de la volonté divine qui, par ses voies impénétrables, amène une âme à la lumière de la vie, l’enchaînement des actes dont nous ne discernons pas les tenants et les aboutissants, jusqu’au jour où tout se résume par ce mot : « Amour ». Ainsi tu apprendras à me connaître et petit à petit le passé et le présent ne feront plus qu’un pour aboutir à cet acte pour lequel je suis né et qui procède d’une grande miséricorde.

Samedi 3 août : Joie, joie, joie, et grâces soient rendues à Dieu. Depuis trois jours, j’ai de nouveau la foi. Non pas qu’elle m’ait jamais quitté entièrement, mais avec le temps et les épreuves, elle s ‘était confortablement installée dans une tiédeur que même l’enfer, dit-on, n’apprécie pas. Pour la deuxième fois dans ma vie, les écailles me tombent des paupières et je connais à nouveau combien le Seigneur est doux. Il faut bien sûr que je te raconte auparavant comment j’ai trouvé le Christ pour la première fois. C’était un soir dans ma cellule, il y a de ça bientôt trois ans. Malgré toutes les catastrophes qui s’étaient abattues sur ma tête depuis quelques mois, je restais athée convaincu et même essayais par amusement de convertir mon avocat à la négation de toute vie de l’esprit hors du corps. Je me souviens encore de mes puissants arguments intellectuels que j’avais glanés un peu partout et qui me semblaient irréfutables. (…) Or, ce soir-là, j’étais dans mon lit, les yeux ouverts et je souffrais réellement pour la première fois de ma vie avec une intensité rare, de ce qui m’avait été révélé touchant certaines choses de famille, et c’est alors qu’un cri jaillit de ma poitrine, un appel au secours : « Mon Dieu » et instantanément, comme un vent violent qui passe sans qu’on sache d’où il vient, l’esprit du Seigneur me prit à la gorge. Ce n’est pas une image, on a réellement la sensation que la gorge se resserre ; et qu’un esprit rentre en soi, trop fort pour l’enveloppe qui le reçoit. C’est une impression de force infinie et de douceur qu’on ne pourrait supporter trop longtemps. Et à partir de ce moment-là, j’ai cru, avec une conviction inébranlable qui ne m’a pas quitté depuis. J’ai commencé à prier et à diriger mes pas vers le Seigneur avec une volonté soutenue par des grâces toutes puissantes. Tout me semblait facilité, chaleur et lumière. Dieu était prodigue de consolations de toutes sortes que dans mon enthousiasme et mon zèle je pensais mériter par mes invocations répétées. (…) Il est impossible pour celui qui a reçu cette prise de possession, de l’oublier à jamais. Et même si les tentations ou la faiblesse de la chair finissent par transformer le chrétien brûlant en une tiède ouaille, il lui restera toujours au fond de la mémoire le souvenir de ces heures de paix et de parfaite félicité. Pendant six mois environ, j’ai cherché le Seigneur, m’imposant de longues prières et une méditation de tous les instants. (…) Cette phase de félicité facile s’est terminée un soir par une union brève mais intense avec Dieu que je n’oublierai jamais. Ensuite, ce fut la sécheresse relative, tout était devenu dur, sombre et lointain, avec quelques petits élans passagers comme des oasis dans le désert et l’effort que je fournissais me semblait vain et inutile. Et puis ce fut le lent écroulement de mes bonnes résolutions, l’effondrement de mon zèle, je finis de croupir dans un marais de mollesse, d’indifférence paresseuse et de dégoût pour tout effort, tout en restant parfaitement convaincu des vérités de la foi.  (…) J’avais la foi sans les oeuvres et suis resté dans cet état jusqu’à cette semaine. Mais maintenant victoire ! Les temps sont courts et le travail que j’ai à faire long. Alors courage ! (…) Lorsque, pour la première fois, le Seigneur a daigné visiter mon âme et lui transmettre son message d’amour, j’ai parfaitement compris ce que j’avais à faire et si je devais mettre par écrit ce que j’ai retenu, je pourrais peut-être écrire ceci : « Mon fils, je t’ai aimé depuis le premier jour même lorsque tu m’outrageais et surtout à ces moments-là. Mon pardon, je te le donne entier et absolu et je te donnerai beaucoup plus encore. Reçois mon amour, goûte combien je suis doux pour ceux qui m’invoquent, et ne t’occupe pas de savoir si tu souffres justement ou non. Tu es mon fils béni, c’est pour toi plus spécialement que j’ai été crucifié et vois ce que tu ne pouvais voir. Ne comprends-tu pas que ma croix est le seul chemin qui mène à la vie éternelle ? Que si tu es mon fils, tu dois souffrir ce que ton père te donne, afin d’hériter toi aussi de ce qui est à moi ? Heureux es-tu si on te persécute. Moi seul peux lire dans ton coeur et estimer tes fautes. Vois, je ne te condamne pas. Tout ce qui est à moi sera le rebut du monde, et plus on te méprisera, plus tu me seras cher. »

Quelques réactions et témoignages de personnes qui ont connu Jacques Fesch :

« Il me dit : « Ne me parlez pas d’une grâce, parce que je suis maintenant prêt à mourir et je suis incapable de passer vingt ans dans une prison de façon normale. Je me pourrirais et je veux mourir maintenant. Pour lui, il allait au ciel, en somme il avait une foi extraordinaire, il était déjà dans l’éternité, il vivait déjà… Il m’a même dit : « Je vous aiderai plus tard, je vous aiderai. Vous serez bonne avec les condamnés à mort, c’est dur voyez. » Et il semblait déjà n’être plus sur terre [133] ».

« Jacques, par son témoignage de Foi et de confiance aide beaucoup de prisonniers à vaincre cette solitude pesante de la cellule. Il les aide à retrouver Foi et Espérance [134] ».

« Ce livre (Lumière sur l’échafaud) est d’une telle puissance qu’on continue de le méditer comme un psaume [135] ».

« C’est un livre formidable, que j’ai littéralement dévoré en une seule journée. Jacques Fesch me donne un exemple de foi et de courage que je vais m’efforcer de suivre. Comme je vous l’ai dit au parloir, je ne me fais aucune illusion sur le verdict : l’opinion est tellement montée contre moi… Même une fois condamné à la peine capitale, mon moral ne sera pas altéré pour autant, et la foi que j’ai acquise depuis dix mois – bien que j’aie encore beaucoup de choses à apprendre – est suffisamment grande pour que je fasse confiance à Dieu. Je m’en remets entièrement entre ses mains… pour nourrir ma foi chaque matin, je me plonge dans ma Bible. Cette merveilleuse Parole de Dieu me donne les armes nécessaires pour passer deux journées en harmonie avec Notre Seigneur [136] ».

Jacques Fesch termine son Journal par ces mots d’adieu :

A Maître Baudet, son avocat : « En ces derniers moments, je ne puis vous souhaiter rien d’autre que de devenir de plus en plus semblable à Jésus crucifié. Que la paix qui dépasse tout entendement vous inonde et que le seigneur vous garde jusqu’au dernier matin où une nouvelle aurore luira aussi et enfin pour vous. A vous revoir en Dieu, je vous embrasse dans le Christ Jésus et Marie. Votre frère en Dieu, Jacques.»

A frère Thomas : « Maintenant, c’est moi qui te serai donné pour que tu reçoives de là-haut tous les dons que Dieu a déversés sur moi… puisque je serai à la source de toute miséricorde. Va en paix petit frère, que la route soit pour toi droite et unie… et un jour viendra où tu iras rejoindre, toi aussi, notre unique amour avec le bon larron crucifié qui a entendu en ce jour : « en vérité, je te le dis, tu seras aujourd’hui avec moi au paradis ! [137] »

Annexe 2 : L’aumônier des prisons en France, vu par un directeur de prison[138]

« Contrairement à la représentation que l’on pourrait en avoir à l’extérieur, l’aumônerie constitue une ressource essentielle dans la vie de la prison. En effet, la discrétion qui caractérise son expression ne doit pas tromper les observateurs : les aumôniers sont des acteurs à part entière de l’organisation que constitue l’établissement pénitentiaire. Investis d’une mission spirituelle, ils contribuent de manière efficace au repérage des personnes traversant des situations individuelles difficiles, et apportent un soutien irremplaçable aux personnes connaissant des moments de souffrance psychologique trop pénibles.

La confiance est le maître-mot qui régit les rapports entre le directeur et l’aumônier. Ce dernier représente une « valeur sûre » en termes de respect d’une déontologie très forte et peu susceptible de « dérapages ». Il faut souligner que la qualité de cette relation concerne également les rapports qu’entretiennent les aumôniers et tous ses interlocuteurs dans la prison.  L’aumônier représente, à ce titre, un « catalyseur » de relations authentiques entre les êtres humains dans un milieu artificiel. Le signe institutionnel traditionnel de la confiance accordée à l’aumônier n’est-il pas l’attribution d’un trousseau de clés, symbole très fort. Qu’ils soient bénévoles ou rémunérés, les aumôniers jouent, précurseurs bien avant l’heure des propositions de la Commission Canivet, le rôle de médiateurs et se présentent comme des vecteurs incontestables pour la résolution des problèmes humains rencontrés en détention. Ils ne sont pas vécus par le personnel et la direction comme exerçant un contrôle sur le fonctionnement ou les situations mais plutôt comme apportant une aide dont personne n’ose avouer l’institutionnalisation.

S’il est un acteur de terrain, le directeur souhaite en général que son rôle dépasse celui du simple apport spirituel et il n’est pas rare qu’un aumônier soit présent dans les différentes commissions ou groupes de réflexion pluridisciplinaires visant à mieux travailler ensemble (commissions d’indigence, par exemple). Aumônier des détenus, il l’est aussi des personnels dont certains trouvent en lui une aide morale inespérée dans l’exercice de leurs métiers difficiles. L’évolution « implicite » de leurs missions fait qu’aujourd’hui les aumôniers se structurent et l’évolution semble conduire vers des partenariats de plus en plus actifs dans les modes d’intervention retenus par les équipes d’aumônerie pour offrir une assistance spirituelle aux détenus entrants. Ce besoin de structuration signe l’objectif de réaliser un « travail » en prison, travail accepté et compris par tous. Plus que tous les autres intervenants dans le groupe chargé de la prise en charge des personnes incarcérées, l’aumônier est celui qui peut déceler le désespoir profond et muet de la personne qu’il reçoit en entretien. Le fait est qu’aujourd’hui, certains directeurs associent les aumôniers voire les équipes d’aumônerie à des groupes de travail sur le fonctionnement de la prison (ex : Fleury-Mérogis, groupe de travail sur les suicides).

Le directeur apprécie l’aumônier qui ne se bat pas contre un système mais essaie d’apporter un peu plus de chaleur humaine au sein d’une collectivité qui tend à dépersonnaliser les hommes qui la composent. Si la présence de la religion a toujours été très forte au sein des établissements (historiquement parlant), l’aumônier mérite presque aujourd’hui l’appellation d’auxiliaire de justice. Outre le fait que son action participe directement aux indispensables questionnements auxquels se confrontent les personnes incarcérées quant à leur histoire personnelle, sa présence et son soutien montrent clairement que la religion n’exclut pas ses fidèles lorsqu’ils sont détenus. Ces effets consolident les efforts d’insertion qui peuvent être entrepris. Cette volonté de ne pas rompre les liens avec le tissu extérieur se manifeste aussi par l’élargissement des équipes d’aumônerie qui comprennent de plus en plus des personnes extérieures participant aux activités organisées à l’intérieur de la prison. Je ne m’appesantirai pas sur l’interface que l’équipe d’aumônerie constitue au regard de l’articulation des besoins exprimés par les détenus, et les aides apportées via les réseaux caritatifs dans lesquels ils sont investis dans l’environnement de la prison. En un mot, l’aumônier est porteur d’espérance. Sa mission me paraît immense. Son action n’a pas de limites, elle est infinie. »

[1] GANDHI.

[2] Ces conversions sont présentées en annexe n°1, p. 92.

[3] Une des sources importantes des témoignages qui seront cités dans cette étude provient d’un ouvrage réalisé par l’Aumônerie catholique des prisons, La peine et le pardon, qui recueille la parole de plus de 700 détenus de divers établissements pénitentiaires de toute la France.

[4] MARX, Critique Philosophique du droit de HEGEL.

[5] « Éternel miroir de la société, microcosme où les contrastes se renforcent, la prison en subit les mêmes évolutions et comme dans les autres institutions,  la nouvelle donne religieuse y est posée », La prison a-t-elle une âme ? Contact, Lettre d’information de la Direction Régionale des Services Pénitentiaires de Paris, novembre 2004, p. 5.

[6] « … je vous redis ma foi et mon optimisme dans notre capacité, en 2005 et au-delà, à atteindre ensemble nos objectifs prioritaires : préparer et assurer la meilleure réinsertion sociale possible aux personnes que la société nous confie, afin de lutter, au mieux, contre la récidive », P. MOLLE,  Message du directeur de l’AP à l’occasion de la nouvelle année.

[7] Art. N°59, Genève 1955. PMJ3, La préparation à la sortie, intervention à l’ENAP, 35e promotion de directeurs, 10/09/2004.

[8] Par exemple, la problématique alcoolique, cause de nombreux délits, exprime souvent un mal être interne.

[9] « La section du code de procédure pénale relative aux actions de préparation à la réinsertion des détenus débute par le chapitre consacré à la réinsertion des détenus et l’assistance spirituelle, avant même les actions culturelles et l’enseignement. On peut dans ce contexte se demander  si, dans l’esprit du législateur, la réinsertion sociale ne passe pas par la réinsertion morale et si le salut de l’âme n’est pas un préalable à toute acceptation sociale. » E. NGUYEN-PHUNG, Les aumôniers catholiques et la réinsertion du détenu : l’exemple de la maison d’arrêt de Loos, mémoire, ENAP, CIP 4, 2000.

[10] Traité établissant une Constitution pour l’Europe, Partie II, Préambule, p. 21.

[11] « Dis-moi comment  sont tes prisons, je te dirai qui tu es », P. AUZENET, ancien aumônier protestant de la MA de Laval.

[12] Histoire des religions, Encyclopédie Momes.net.

[13] J.-P. VERNANT, Le religieux dans le politique. Quand quelqu’un frappe à la porte, op. cit.

[14]F. HANKUS, La religion catholique en prison : vraie spiritualité ou stratégie de lutte contre la souffrance de l’incarcération ? Mémoire, CIP 1, ENAP, 1997, p. 10.

[15]H.CARRIER, Lexique de la culture, la culture et l’inculturation, Montréal, Desclée de Brower, 1994, p. 270.

[16] L.HERBETTE, Exposé général à l’occasion de l’Exposition Universelle.

[17] La prison a-t-elle une âme?, Contact,  op. cit,  p. 5.

[18] Ibid, p. 6.

[19] N.SARKOSY, La République, les religions, l’espérance, op. cit. p. p. 52, 135 &136.

[20] J.-B. DUROSELLE et J.-M. MAYEUR, Histoire du catholicisme, Que sais-je? PUF, 1990.

[21] Cardinal SUHARD, Essor ou déclin de l’Eglise, lettre pastorale pour le carême 1947. (Documentation catholique, n°987, 30 mars 1947).

[22] Patrologie grecque, t. V, col.714.

[23] Ibid, t. XXXIII, col. 1043.

[24] Le pape est d’ailleurs appelé « le serviteur des serviteurs de Dieu », La doctrine sociale de l’Eglise, Que sais-je? PUF, octobre 1989.

[25] J. NIEUVIARTS et J.-M. POIRIER, La Passion du Christ. Le procès de Jésus est-il encore ouvert ?, Bayard, mars 2004.

[26] « La religion connaît, au même titre que le droit criminel, les injonctions, les interdits, le châtiment et l’expiation ; le Christ n’a-t-il pas expié sur la croix pour sauver l’humanité ? Le phénomène de la confession dans le sacrement de la pénitence est l’équivalent de celui de l’aveu dans la procédure criminelle. La compulsion d’aveu a vu le jour dans un contexte religieux, elle a par la suite évolué dans un sens laïc. La confession n’est qu’un volet du processus de la contrition et l’on peut imaginer qu’un parallèle est possible entre le sacrement de la pénitence et la procédure judiciaire. Ceci montre bien combien le droit et la vie religieuse étaient à l’origine voisins l’un de l’autre. Tout comme l’aveu dans la procédure judiciaire, la confession est considérée comme une circonstance atténuante, qui justifie la clémence de la divinité offensée (cf. la nouvelle procédure du « plaider coupable » dans la loi dite « Perben 2 »). En se confessant, le « pécheur s’en remet à la grâce divine, de même que le criminel en appelle inconsciemment par son « aveu » à la bienveillance de ses juges », M. SOULETIE, Aveu, religion et droit criminel…les passerelles sont nombreuses…www.farapej.fr/Apps/Forum, février 2005.

[27] Association présentée p.

[28] St Jean Chrysostome, Fraternité du Bon Larron, www.bonlarron.org, 12/11/2004.

[29] Trésor de la langue française, Dictionnaire de la langue du XIXe et XXe siècles, CNRS, Gallimard

[30] Trésor de la langue française, Dictionnaire de la langue du XIXe et XXe siècles, op. cit.

[31] « Au Moyen-Age, les sociétés civile et religieuse n’en faisaient qu’une : la respublica christiana, où le sacerdoce et l’empire formaient les deux colonnes de la cité des hommes. Le spirituel était un élément important de la vie publique et la notion de chrétien se confondait avec celle de citoyen », V. DELACROIX, Les rapports de l’Eglise et de l’Etat au 19e siècle : la place du religieux dans l’institution pénitentiaire, Revue Pénitentiaire et de Droit  pénal n°4, 1989.

[32] (La présence de l’aumônier en détention) est « une réponse à un besoin spirituel fondamental pour des hommes face à une étape radicale de leur vie.La prison correspond à un basculement complet et entraîne une confrontation avec soi: Qui  je suis? Qu’ai-je fait? Face à un acte terrible, comment continuer à vivre? C’est l’ouverture du chemin de la vérité. La rédemption devient possible dés lors qu’on sait ce qu’on a fait », La prison a-t-elle une âme, Contact, op. cit. p. 7.

[33] Histoire de Clairvaux, actes du colloque,  Association pour la renaissance de l’abbaye, juin 1990.

[34] R. MASSON, C’était un larron ! Du banditisme à la Trappe, Parole et Silence, septembre 2004, p. 40.

[35] R. MASSON, ibid,  p. 45.

[36] V. DECROIX, op. cit, p. 82.

[37] La prison a-t-elle une âme ? Contact, op. cit.

[38] CNCDH,  Etude sur les droits de l’homme dans la prison.  Propositions. Adoptée par l’assemblée plénière du 11 mars 2004.

[39] « Philippe est celui qui m’en a le plus appris sur la philosophie. Ce que je lis depuis plus de vingt ans dans les beaux livres de Platon, que la philosophie peut changer les hommes, je l’ai vu s’effectuer avec une puissance inouïe pour cet homme, condamné à  séjourner très longtemps dans les centres pénitentiaire, qui m’écrit:. »Avant, je ne savais pas qui j’étais, et dans ce cas ce n’est pas si étonnant de déconner. Maintenant, je sais que je suis un être humain, c’est-à-dire un être dont tout le sens est de rechercher la vérité », H. GO, S’évader ici-bas ou philosopher en prison,  Bulletin de l’enseignement en milieu pénitentiaire, n° 2, 1998.

[40] Service Médico-Psychologique Régional.

[41] J.-J. C., Ma réalité carcérale, Le Courrier de Bovet, n° 23.

[42] P. DILS, Je voulais juste rentrer chez moi…, Propos recueillis par K. ABOAB, Michel Lafon, octobre 2002.

[43] J.-P.R. (Villepinte), Le Courrier de Bovet, op. cit.

[44] Famille Chrétienne, archives, www.edifa.com

[45] Déclaration faite lors de la rencontre nationale des acteurs de l’aumônerie des prisons à Lourdes les 12, 13 et 14 octobre 2001.

[46] S. BUFFART, Le froid pénitentiaire, cité dans « Détention et anxiété, G. MOINE, op. cit, avant-propos.

[47]J. TROUSSIER, J’aurais préféré que l’on me tue…, Presses de la Renaissance, 2002. « Deux dates : 1980-1999, de l’incarcération à la libération. Un condamné à perpétuité raconte sa vie de rebelle dans la langue rude des prisons et sans concession aucune vis-à-vis de la pénitentiaire. De transfert en transfert, passant par presque tous les mitards des prisons françaises, J. TROUSSIER expose toutes ses stratégies pour survivre malgré la souffrance. La prison est décrite comme un enfer qui se transforme en purgatoire au fur et à mesure de son évolution personnelle et de celle du monde carcéral ».

[48] G. GILBERT, Les petits pas de l’Amour, Livre de Poche, 1998.

[49] Isabelle Stefani, CD de Tarascon, cité in La peine et le pardon, le cri des détenus, op. cit.

[50] La peine et le pardon, le cri des détenus, op. cit., p. 24.

[51] La peine et le pardon, le cri des détenus, op, cit.,

[52] « En 20 ans, la proportion des suicides en prison a doublé: 10 pour 10 000 en 1980 contre 21,6 pour 10 000 en 2001. Il y a sept fois plus de suicides en prison qu’en milieu libre. Un détenu se donne la mort tous les 3 jours dans les prisons françaises (Bon Public, Association d’anciens détenus, Le Monde, avril 2003).

[53] Le Courrier de Bovet, octobre 2002.

[54] La peine et le pardon, le cri des détenus, op. cit. p. 27.

[55] E. BLANCHON,  Le choc de l’incarcération, Mémoire, ENAP, CIP 7, 2003.

[56] D. LHUILLIER,  Le choc carcéral, Bayard, Paris, 2001.

[57] J.-L. REYMONDIER, Aumônerie catholique des prisons, 11 décembre 2004

[58] « On a mérité notre peine mais on n’a pas mérité de perdre espoir dans le futur ». Ce cri d’un détenu résume l’objet de cet ouvrage (J. CACHOT, H. RENAUDIN, J.-H. VIGNEAU, La peine et le pardon, le cri des détenus,  Editions de l’atelier, janvier 2001). Du silence et de l’ombre, des personnes détenues prennent elles-mêmes la parole.. Avec leurs mots de tous les jours, elles disent à temps et à contretemps la personne, ses brisures, son broiement, ses broussailles et aussi sa beauté abîmée. Ils balbutient aussi le pardon: celui qu’on n’ose pas donner; celui qui prend du temps; celui qui paraît impossible et qui, un jour peut-être, ouvre à l’avenir. Parfois à la limite du silence, parfois cri, ces mots écrits du fond des cellules sont là pour renouer le dialogue vital avec soi, avec les autres, avec Dieu. Les paroles dans ce livre dépassent les camps des « eux » (ceux du dedans) et des « on » (ceux du dehors) pour devenir celles de nous tous.

[59] J.-L. REYMONDIER, aumônerie catholique des prisons, op. cit.

[60] « La première démarche pour aider à la réinsertion, c’est l’écoute – le premier signe distinctif de l’action de l’Église doit être la qualité de son accueil – L’Église doit créer des lieux de ressourcement et de guérison morale et spirituelle pour les blessés de la vie : que les détenus soient d’abord libérés dans leur tête… », Père J.-H. VIGNEAU, Aumônier général des prisons, 13/10/2001.

[61] « Au sens étymologique, la pénitence est une « conversion », un changement de route. Ce processus est connu sous le nom de Metanoia, mot grec qui signifie « changement de pensée », et renvoie à la peine qui serait pénitentielle, c’est-à-dire liée à l’aveu, le repentir, et la réconciliation avec Dieu et avec les hommes », R. MERLE, 1985, p. 29.

[62] « Nous côtoyons quotidiennement des personnes détenues, nous ne sommes pas envoyés auprès d’eux pour les justifier, eux et leurs actes et les prisonniers qui viennent aux aumôneries  ne demandent pas qu’on les excuse, encore moins qu’on s’apitoie sur leur sort. Nous voulons rendre compte auprès de ceux que la justice a condamnés et l’opinion publique stigmatisés, qu’un avenir leur reste ouvert : quoi qu’ait pu commettre un homme, Dieu ne l’enferme pas dans son passé et ne désespère jamais de lui. C’est notre manière d’œuvrer à la réinsertion et nous croyons qu’ainsi nous contribuons, modestement mais très efficacement, à la sécurité de tous », H. RENAUDIN, évêque de Pontoise, Président du comité épiscopal Justice et Société et de l’aumônerie catholique des prisons, 25 avril 2002.

[63] L. LELOUP, La place de l’aumônier catholique au regard de la réinsertion des détenus, op. cit, p.p. 14-21.

[64] Voir annexe n°2, p.p. 126&127.

[65]Isabelle Le Bourgeois  raconte son expérience d’aumônier à Fleury-Mérogis dans un ouvrage : Derrière les barreaux, des hommes, Desclée de Brouwer : « Aumônier dans le quartier des hommes à Fleury-Mérogis, Sœur Isabelle Le Bourgeois a choisi de se mettre à l’écoute des détenus. A travers leur histoire, leur parole, elle nous fait partager son expérience, son cheminement, ses réflexions, ses doutes aussi. Dans son récit, Karim, Pierre, Marco, Steve, Gérard, Roland… Tous parlent… Ils nous livrent des bribes de leur parcours et nous parviennent alors violences, haine, désespoir, souffrance, solitude au travers du récit de ces vies fracassées. Sans relâche et souvent en silence, Sœur Isabelle entend ces hommes réputés dangereux, malades, assassins, violeurs, menteurs ».

[66] La prison a-t-elle une âme? Contact, op. cit.

[67] Extrait de l’exposé général de L. HERBETTE à l’occasion de l’exposition universelle, cité dans

[68] Mgr M. POLLIEN, préface de La peine et le pardon, le cri des détenus, op. cit., p. 7.

[69] J-M. BORELLO, Personne n’est jamais au bout de son histoire, Interdépendances n°49,  p.3.

[70]La peine et le pardon, le cri des détenus, op. cit, p. 58.

[71] Ibid, p. 50.

[72] Ibid, p. 51.

[73] Police et Humanisme : Section de T. de la région de Paris, ibid, p. 64.

[74] X. d’une maison d’arrêt de la région parisienne,  ibid, p. 59.

[75] H.CARRIER, op. cit., p.15.

[76] Jean-Pierre B., détenu au CD de Tarascon, cité dans l’enquête de l’aumônerie des prisons.

[77] A. VERGOTTE, Religion,  foi, incroyance, études psychologiques, Ed. Mardaga, Liège, 1983, p.97.

[78] F. HANKUS, op cit, p. 20

[79] Cité dans La peine et le pardon, le cri des détenus, op. cit, p.61.

[80] Alain, ibid, p. 88.

[81] E. BLANCHON, Le choc de l’incarcération, op. cit, p. 25.

[82] On retrouve ici encore le parallèle entre l’institution carcérale et religieuse…

[83] A. MOLINA, L’enfermement, espace, temps, clclôture, p. 109.

[84] Alain, cité dans La peine et le pardon, le cri des détenus, op. cit, p. 68.

[85] S. FREUD, L’avenir d’une illusion, 1927, Paris, PUF, 1971, p. 94.

[86] La peine et le pardon, le cri des détenus, op. cit, p. 56.

[87] Cf  M. SOULETIE

[88]A. VERGOTTE, op. cit, p. 62.

[89] F. HANKUS, op. cit. p. 17&18.

[90] La peine et le pardon, le cri des détenus, op. cit, p. 66.

[91] Ibid, p. 77.

[92] Aumônerie catholique des prisons, lettre d’information n°1, op. cit, p.2.

[93] X. d’une MA de la région parisienne, La peine et le pardon, le cri des détenus, op. cit., p. 58&59.

3 Ibid, p. 9.

4 Ibid, p. 60.

[95] Aumônerie catholique des prisons, lettre d’information n°1, op. cit, p.4.

[96] La peine et le pardon, le cri des détenus, op. cit. p.64&65.

[97] Aumônerie catholique des prisons, op. cit, p.2.

[98] Paul, La peine et le pardon, le cri des détenus, op. cit, p. 98.

[99] P. AUZENET, Prisons : la vérité, site « prisons », www.prisons.free.fr, 07/01/2004.

[100] Brice D., Jacques G. et Olivier M., aumôniers protestants de la maison d’arrêt de la Santé.

[101] Eglise catholique en France, www.cef.fr/catho/endit/prison/declaration.php, 11/12/2004.

[102] PMJ3, Les principes fondamentaux de préparation  à la sortie, Intervention à l’ENAP, op. cit, p.10.

[103] Ibid, p.4/8.

[104] Ibid, p.5/8.

[105] E. NGUYEN- PHUNG, Les aumôniers catholiques et la réinsertion du détenu, op. cit., p.18.

[106] R. GASSIN, 1996, p. 48, cité dans : ibid.

[107] L. LELOUP, La place de l’aumônier catholique au regard de la réinsertion des détenus, mémoire, ENAP, CIP 1, 1997

[108] Comment ne pas penser aux problèmes de développement des jeunes enfants privés de soins et d’attention maternelle qui peuvent déboucher sur des conduites autistiques ou mélancoliques ?

[109] J- L. CHABOT, La doctrine sociale de l’Église, Que sais-je ?, PUF, octobre 1989.

[110] La peine et le pardon, op. cit, p. 67.

[111] F. HANKUS, op. cit, p. 52.

[112] B. CYRULNIK, in Cosmopolitain, mars 2003.

[113] Paroles de détenus…Aumônerie catholique des prisons, lettre d’information n°1, op. cit. p. 4.

[114] E. NGUYEN-PHUNG, Les aumôniers catholiques et la réinsertion du détenu, op. cit., p.p.40, 41&42.

[115] Ibid, p.p. 29&30.

[116] « Tout seul, je serais retombé dans la délinquance.. » » Extrait du témoignage de Serge  présenté au paragraphe 2.5.1.

[117]  Simon M., Le Courrier de Bovet, op. cit, p. 15.

[118] La peine et le pardon, le cri des détenus, op. cit., p. 48.

[119] J. VAN THUYNE, Je veux que tu sois mon père, Fayard, janvier 2000, p. 150.

[120] Les textes et témoignages qui seront cités ont été recueillis sur le site de l’association : www.bonlarron.org

[121] Les textes et témoignages qui seront cités ont été recueillis sur le site de l’association : www.reinsertion.org

[122] B. COSTE, Un toit en guise de tremplin, Famille Chrétienne n° 1395 du 9 au 15 octobre 2004. Voir annexe n°3, p. 128.

[123] Les textes et citations sont extraits du livre de Jacky Van Thuyne, Je veux que tu sois mon père, op. cit.

[124] Ibid, p.p.147 à 150.

[125] M. TIMMIS, cité in « Le Bon Larron », bulletin de liaison de la Fraternité des Prisons, n°22, déc.2003.

[126] On peut retrouver ces informations sur le site www.bonlarron.org

[127] V. MERCI, La prison… Et après ? Fayard, Collection Les Enfants du Fleuve,  septembre 1990, p. p. 231&232.

[128] J.-L. DAUMAS, directeur du CD de Caen.

[129]B.- M. GEFFROY, L’aumônerie de la prison de Château-Thierry, 31/01/2004, www.trinitairescerfroid.free.fr/prison

[130] Témoignage extrait d’une cassette vidéo « Lumière dans la prison », Editions de l’Emmanuel, 1988.

[131]Récit tiré du livre de R. MASSON, C’était un larron. Du banditisme à la Trappe, op. cit.,

[132] J. FESCH, Dans 5 heures, je verrai Jésus. Journal de prison, Sarment, Témoins de la lumière, mai 2003.

[133] Melle ANSTETT, son assistance sociale, 10 fév. 1973, ibid, p. 241.

[134] Patrick P., le 11 septembre 1982, ibid, p. 241.

[135] Un détenu suisse, le 18 janvier 1988, ibid, p. 242.

[136] P. Henry, lettre à J. TOULAT (publiée par le journal La Croix), ibid, p. 242.

[137] Ibid, p p. 243&244.

[138] S. SALVADORI, Directeur de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, pour La Voix Protestante, mai 2000.