Anaïs GRAND/École du journalisme Nice/oct 2019
Sortir de prison, mais toujours derrière les barreaux
Pas si simple de retrouver sa liberté après se l’être fait confisquer. À Nice, les associations, anciens détenus, et aumône de la Maison d’arrêt sont clairs : sortir de prison, c’est y garder un pied quand même. Jean-Paul Santinelli fait parti de l’association qui prend en charge tous les frais des anciens détenus. Besoins alimentaire, charges des loyers, frais médicaux… Tout y passe. « Ils ne peuvent pas sortir de prison s’ils n’ont pas de logement », alerte Jean-Paul Santinelli, qui attend depuis un an la création de 1 500 postes de conseillers en réinsertion, promis par Emmanuel Macron, dans le cadre du ‘‘Plan Prison’’.
Bénévole depuis 3 ans pour l’association Trait d’union Saint-Léonard, Jean-Paul Santinelli fait aussi partie de ceux qui aident les anciens détenus à se réinsérer. Créée depuis 9 ans, l’association est régulièrement sollicitée par des détenus. Recherche de logement, de travail… la dizaine de membres est là pour les aider. « Ce qui leur pose surtout problème est de retrouver un hébergement. Ils n’ont pas forcément les contacts, et le casier bloque parfois. Pourtant, c’est la première condition pour mettre un pied dehors », détaille-t-il. L’association en propose trois, tous mis à disposition par les propriétaires. Un dans le Vieux Nice, deux autres dans les quartiers Grosso et Pasteur. Mais pour y vivre, il y a des conditions. Les dossiers sont examinés pour sélectionner ceux qui ont le plus de chance de se réinsérer, et les contrats sont signés pour un an – sauf exception. Bilan ? Des résultats gratifiants : « Nous avons eu un jeune sous bracelet électronique qui est retourné en prison 5 jours après sa sortie, car il avait réussi à l’enlever. C’est le seul cas. S’il y en avait d’autres, on le saurait ». 94,7% des anciens détenus ont récidivé à cause de l’absence d’aide après leur libération, selon une étude réalisée par la faculté des sciences juridiques, économiques et sociales de Fès.
À Nice, Trait d’union Saint-Léonard, comme le Secours Populaire et quelques autres associations caritatives, sont les seules associations privées aidant à la réinsertion des sortants de prison. Mais Trait d’Union St Léonard est la seule à s’occuper spécifiquement de ce type de public. Des associations peuvent offrir des nuitées d’hôtel pour quelques jours en dépannage mais seule cette association prend en charge et héberge de façon durable les anciens détenus, que ce soient des hommes ou des femmes. Les aides publiques ? Il y en a peu. « Les personnes ne peuvent se tourner que vers le RSA ou Pôle Emploi, s’ils le peuvent » liste le retraité.
Le travail, deuxième priorité selon l’étude. 61,3% des récidivistes disent que les difficultés et les démarches administratives les dissuadent. « Les détenus ont peur d’en trouver un, ce qui est pourtant essentiel à avoir après leur sortie de prison. Et généralement, le casier judiciaire bloque directement l’accès », se désole Jean Lesparre, aumônier à la Maison d’arrêt de Nice.
Depuis 5 ans, il fait office de guide et de confident pour les détenus. Parfois, si tout se passe bien, les anciens prisonniers se réinsèrent en un an, « pour ceux qui ont de la chance », comme c’est le cas de Zitoun. Incarcéré pendant 10 mois à la Maison d’Arrêt de Nice, il a réussi à sortir. Mais sous conditions.
Bracelet électronique à la cheville, horaires précis de sortie, il retrouve petit à petit sa vie. « J’ai réussi à trouver un travail en tant que pizzaiolo. Si je n’en avais pas, ils ne m’auraient pas laissé mettre un pied dehors. Ça a été la condition pour que je sorte de la prison de Nice ». Cependant, il doit attendre encore 24 mois pour être totalement libre. Sauf si les tests toxicologiques se révèlent positifs. « J’ai rendez-vous tous les mois avec le service de probation et d’insertion pénitentiaire. S’ils voient que j’y arrive, ils vont me laisser tranquille ».
Mais il est des cas qui n’ont pas la même chance que lui. « Lorsqu’ils ne sont pas dans cette optique depuis le début, c’est plus dur. Pire encore, il y en a qui ne se réinsèrent jamais. Et c’est une dure réalité qu’il faut accepter », se désole l’aumônier.
Trois question à Jean Lesparre
Aumônier à la Maison d’Arrêt de Nice depuis 4 ans, il est l’œil et le confident des détenus, qui ont peur – pour beaucoup – de se réinsérer.
Quelles sont les modalités de sortie des détenus ? Les sorties sous condition peuvent être acceptées si le détenu a une promesse d’emploi, un logement, une situation favorable… Mais il peut y avoir des contrôles en fonction de la gravité de sa peine, comme porter un bracelet électronique. Par contre, quand on parle de ‘‘sortie sèche’’, le détenu est libéré d’office, sans condition, car il purgé sa peine, mais il n’a ni travail ni logement, et parfois pas de famille.
Que faudrait-il changer au système de réinsertion ? Faire quelque chose avec les familles. Pour ceux qui ressortent et qui ont de la chance d’en avoir, elles peuvent parfois ne pas se soucier de la situation de leur enfant sortant de prison. De plus, il faudrait instaurer des initiatives locales, davantage d’associations. Après, plus généralement, je suis très favorable à une justice dite ‘’restaurative’’. Plus de liberté, plus d’activité… Le tout pour une meilleure réinsertion. Mais attention, il faut l’adapter au type de population, et qu’elle soit acceptée par tous.
Y a-t-il des personnes qui ne se réinsèrent jamais ? Très clairement. Il faut être réaliste. Celles qui n’ont jamais travaillé de leur vie, dont le rythme de vie n’est pas du tout le même, ou qui n’ont pas de motivation ne s’en sortiront pas. D’autres qui ont toujours baigné dans le trafic. Pourquoi s’acharner à trouver un travail qui paie moins que les 5 000 euros qu’ils gagnaient
En prison, passer par la case formation
A la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, quelques centaines de prisonniers préparent des diplômes pendant leur détention. A l’atelier, les journées filent plus vite que dans les cellules et les détenus préparent la vie hors les murs.
La salle ressemble à n’importe quel atelier de formation en électricité. Une dizaine d’hommes en bleu de travail, souvent jeunes, relient minutieusement des câbles à des compteurs. Chaque élève possède un établi à son nom. C’est jour d’examen blanc et un formateur les supervise de loin. Il faut sortir des lieux par la porte verrouillée et jeter un oeil à l’extérieur, depuis le couloir, pour prendre la mesure du décor atypique. Des vitres cassées laissent entrevoir une cour de promenade, que des détenus arpentent par groupe de deux ou trois. Au-dessus, un mur grisâtre couvert de « yoyos », ces ficelles que les prisonniers tendent entre les fenêtres pour se passer des objets. Les ateliers sont ceux de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, dans l’Essonne, le plus grand centre pénitentiaire d’Europe.
Une dizaine de ces lieux sont installés le long des murs d’enceinte des bâtiments pour hommes. Y défilent les détenus qui mettent à profit leur détention pour préparer un diplôme. « Six heures par jour, tous les jours de la semaine sauf le mercredi où ils ont sport », égrène Thierry Pagès, formateur en électricité. Mécanicien, cariste, peintre… Les formations assurées par des organismes privés préparent à des titres professionnels de niveau IV ou V, équivalents du bac pro ou du CAP. Un grand nombre de détenus arrivent à Fleury-Mérogis sans qualification.
« Le juge en tient compte »
A l’atelier couture, Christian* écrase une manche de veste au fer à repasser. « J’ouvre la couture pour retirer de l’épaisseur », commente-t-il, crayon coincé derrière l’oreille. A quelques mètres de lui, des ciseaux de tailleurs pendent à des clous fixés sur un tableau. Leur empreinte peinte en rouge sert à vérifier qu’aucun détenu n’embarque un outil à la fin de la journée. Christian prépare l’examen de « fabriquant de vêtements sur mesure ». Beaucoup de détenus signent pour une formation dans l’espoir d’aménager leur peine. Christian ne s’en cache pas. « Si on se comporte bien dans les ateliers, le juge en tient compte. On est aussi mieux vu des surveillants. » Il devrait quitter Fleury en février au lieu d’avril, l’échéance initiale de sa condamnation.
Mais passer un diplôme adoucit aussi son quotidien. « Les journées filent deux fois plus vite », constate Christian. Comme tout stagiaire de la formation professionnelle en Ile-de-France, il est indemnisé 2,26 euros de l’heure. « En prison, ce n’est pas négligeable, explique-t-il. Ça sert à cantiner, à payer la télé ou le tabac des fumeurs, à faire sa ‘popote’. » Surtout, Christian prépare sa sortie. Avant son incarcération, il travaillait comme technicien de maintenance. « A 50 ans, je ne pourrai pas continuer longtemps. » Une fois dehors, il se voit bien poursuivre sa formation. « Je veux apprendre à dessiner les patrons. J’ai repéré deux cours en Ile-de-France. J’espère que Pôle emploi m’aidera. »
« Ils sortent avec un bon niveau »
José Luis Da Silva enseigne les bases de la peinture. Aux murs de son atelier, un logo géant du PSG côtoie du marbre en trompe-l’oeil. Il ne se plaint pas de ses recrues. « Le fait qu’ils soient prisonniers ne change rien, juge-t-il. Dans le lot, il arrive que l’un d’eux se fasse ‘déclasser’ [sortir du dispositif, NDLR], mais en quatre ans, je n’ai essuyé qu’une insulte. Ils sortent avec un bon niveau. Quand j’étais chef de chantier, certains de mes gars n’étaient pas aussi doués que ceux que l’on forme ici. » Le personnel pénitentiaire applaudit aussi, pour une autre raison. « La formation apaise la détention. Un détenu formé, c’est un détenu plus calme que celui qui passe 20 heures en cellule », pointe Thierry Péré. Surveillant « orienteur », il reçoit les demandes de formation des prisonniers. Tous ne font pas la démarche, loin de là. « Certains gamins ne savent pas ce que c’est que de se lever le matin. Ils restent ancrés dans la délinquance. Les conseillers d’insertion travaillent à les ramener vers un projet, mais ce n’est pas simple. »
« Son patron est prêt à m’embaucher »
A Fleury-Mérogis, autour de 70% des stagiaires quittent leur formation diplôme en poche. Le taux de succès oscille entre 100% en nettoyage industriel et 50% chez les tailleurs. La preuve que « les jurys ne montrent aucune complaisance », souffle Thierry Péré. Une fois hors les murs, les anciens détenus retrouvent l’anonymat du droit commun. Impossible de savoir combien décrochent du travail, combien mettent à profit leurs nouvelles compétences. Le conseil régional d’Ile-de-France, qui gère la formation professionnelle en prison depuis janvier, souhaite que les chômeurs diplômés en prison accèdent en priorité aux formations « à l’extérieur » s’ils en font la demande. « Il faut sensibiliser Pôle emploi et les missions locales à ce public », estime Pierre-Marie Atger, sous-directeur à l’ingénierie de la formation professionnelle.
Quelques histoires heureuses remontent aux oreilles des formateurs. Patrice Gazziero prépare les détenus au nettoyage industriel. A chaque fin de session, il leur laisse son numéro. « Je connais du monde dans le métier, assure-t-il. Si quelqu’un de sérieux me demande un coup de main à la sortie, je le fais. » Il est fier de raconter qu’un ancien prisonnier qu’il avait épaulé vient d’être promu chef d’équipe. « Un qui s’en sort, estime-t-il, c’est déjà une grande victoire. » Joseph, 23 ans, sera peut-être de ceux-là. Il pose une installation électrique dans un des ateliers. « Si tout se passe bien », il quittera Fleury la veille de Noël, sans crainte. Au parloir, raconte-t-il, son frère lui a annoncé une bonne nouvelle: « Son patron est prêt à m’embaucher. »
* Les prénoms des personnes détenues ont été modifiés
La ferme de Moyembrie, en Picardie, accueille des détenus en fin de peine. Une seconde structure doit ouvrir dans l’Aude, avec toutes les questions que pose la duplication du modèle.
Après ce passage à la ferme, 60 % des détenus en fin de peine sortent avec un travail ou une formation. / Jean-Paul Guilloteau/Express/REA
Des champs et des forêts pour remplacer les murs aveugles et les barreaux de prison. Depuis sa création en 1990, la ferme de Moyembrie, située sur la commune picarde de Coucy-le-Château-Auffrique (Aisne), accueille chaque année une cinquantaine de détenus en fin de peine, pour faciliter leur réinsertion.
Les pensionnaires de cette ferme unique en son genre sont logés sur place ou, si leur peine est terminée, dans une maison-relais située à proximité. Ils bénéficient d’un contrat d’insertion de vingt heures par semaine, pour cultiver légumes, produire du fromage de chèvre ou des œufs. « Ce séjour les aide à reprendre contact avec leurs proches et à retrouver une activité professionnelle », explique Anne-Marie Pery, la présidente de l’association qui gère le lieu.
À la ferme, la vie est collective et l’ambiance se veut familiale. « Il existe de grosses structures dans le secteur de l’insertion par le travail. Mais pour réussir à surmonter ses peurs, à se confier, un ancien prisonnier doit avoir confiance », argumente Anne-Marie Pery.
La méthode semble porter ses fruits : environ 60 % des personnes accueillies à la ferme, qui fonctionne avec six salariés et une vingtaine de bénévoles réguliers, en sortent avec un travail ou une formation. Membre du mouvement Emmaüs depuis 2009, l’association réfléchit désormais à ouvrir d’autres antennes. Ce qui soulève bien des questions, car Moyembrie s’est développée de manière empirique, hors institution – et constitue donc un projet difficile à dupliquer.
Pour initier un nouveau projet, il faut d’abord réunir de nombreux acteurs autour d’une même table : les collectivités territoriales, les services du ministère du travail qui gèrent les structures d’insertion par le travail, les services pénitentiaires d’insertion et de probation (Spip) de la région, et surtout les juges d’application des peines, seuls à même de placer un détenu dans une structure ouverte.
Toutes ces conditions semblent réunies à Lespinassière, petite commune de l’Aude, où un ancien bénévole de l’association doit ouvrir une « petite sœur » de Moyembrie début 2017. « Le porteur de projet est très motivé, il connaît bien l’institution judiciaire et, élément indispensable, la commune l’a très bien accueilli, se réjouit Hector Hubert, employé à l’Avise qui conseille l’association. Mais il ne faut surtout pas chercher à faire un copier-coller de ce qui existe à Moyembrie. Chaque projet correspond à un territoire et à un fondateur. »
La nouvelle structure prévoit de cultiver des arbres fruitiers. À condition qu’elle trouve les financements pour rénover le lieu, propriété d’Emmaüs. Budget des travaux : entre un et deux millions d’euros.